[Tribune] L’école ivoirienne doit revoir sa copie

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André Silver Konan est un journaliste et éditorialiste ivoirien, collaborateur de Jeune Afrique depuis Abidjan.

Pour mettre un terme à la grève des enseignants et améliorer le système scolaire, un diagnostic profond, courageux et consensuel, incluant tous les acteurs de la formation, doit être mené. Le gouvernement doit notamment faire appliquer la pédagogie par l’exemple et remettre de l’éthique dans le système.

La déclaration a de quoi étonner. Nous sommes en octobre 2017, dans l’extrême nord de la Côte d’Ivoire. Au micro d’un journaliste de l’Agence ivoirienne de presse (AIP, média officiel), deux inspecteurs de l’enseignement primaire dénoncent, à visage découvert, l’insuffisance de formation de nombreux enseignants. « Nous constatons que certains de nos maîtres ont de sérieuses difficultés de langue et de connaissances. Certains d’entre eux sont incapables de formuler une phrase correcte. D’autres ne connaissent pas l’Abidjanaise [l’hymne national], alors qu’ils sont appelés à l’apprendre aux élèves », s’indignent-ils.

Le constat est sévère. Mais est-il exagéré ? Je ne le crois pas. De fait, en dépit d’avancées indéniables réalisées depuis la fin de la crise postélectorale, en 2011, le système éducatif ivoirien continue d’être le parent pauvre de « l’émergence à l’horizon 2020 » promise par le président Alassane Ouattara.


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Menace d’une année blanche

Au tableau sombre des insuffisances figurent en bonne place les grèves à répétition, celles des professeurs aussi bien que celles des élèves, qui répondent au mot d’ordre de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). En janvier, des enseignants ont encore appelé à cesser le travail pour réclamer, entre autres, une revalorisation de leur indemnité de logement. Ce mouvement, qui dure depuis bientôt deux mois, faisant planer la menace d’une année blanche, et qui a été émaillé d’incidents, est l’un des symptômes de cette maladie qui ronge l’école ivoirienne.

Dans son « plan sectoriel éducation-formation 2015-2025 », cosigné par le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, par Kandia Camara, la ministre de l’Éducation nationale, et par Ramata Ly-Bakayoko, alors ministre de l’Enseignement supérieur, le gouvernement relevait déjà la gravité de la situation.

87 % et 73 % des élèves de CE1 maîtrisent moins de la moitié de ce qu’ils devraient avoir acquis

Il notait que « les évaluations standardisées nationales et internationales du niveau des acquis scolaires, notamment au primaire, indiquent que la majorité des élèves n’acquiert pas les connaissances fondamentales : 87 % et 73 % des élèves de CE1 maîtrisent moins de la moitié de ce qu’ils devraient avoir acquis […]. La majorité des écoles primaires publiques sont dépourvues d’infrastructures d’accompagnement de base, telles que l’électricité, les points d’eau potable, les latrines et les cantines, avec une situation qui se dégrade dans le temps ».


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Une thérapie nécessaire

Mais que faire ? Manifestement, la solution ne réside pas dans le déni, pas plus que dans le bras de fer parfois ubuesque que se livrent responsables politiques, enseignants et apprenants. Le gouvernement doit, en la matière, s’astreindre à une certaine orthodoxie et commencer par appliquer la pédagogie par l’exemple. Tant que nos dirigeants continueront à envoyer leurs propres enfants étudier en Europe et aux États-Unis, ils ne pourront pas faire croire que le système scolaire dont ils ont la charge et qu’ils sont censés rendre plus performant est à même de garantir un avenir meilleur aux nouvelles générations. De même, il sera toujours difficile pour le ministre de tutelle d’être exigeant envers les directeurs régionaux ou les chefs d’établissement tant que lui-même refusera d’être transparent sur la gestion des frais d’inscription et sur le budget des examens.

Il est en outre essentiel de remettre de l’éthique dans le système. Il est inadmissible que des soupçons de racket entourent le concours de recrutement d’enseignants et que l’on ait des preuves – nombreuses – que certains professeurs s’arrogent un droit de cuissage sur des élèves, parfois mineures.

Une thérapie réaliste et adaptée à notre temps doit être appliquée

Enfin, tous les rapports s’accordent pour dire que d’importants problèmes subsistent quant à la qualité et au contenu de la formation dispensée dans nos écoles. Est-il raisonnable de continuer à orienter tant d’étudiants vers les sciences économiques, au risque de faire grossir les statistiques du chômage, dans un pays qui manque par exemple cruellement de spécialistes de la monétisation des contenus sur les réseaux sociaux ? Un diagnostic profond, courageux et consensuel, incluant tous les acteurs de la formation, doit être mené. Une thérapie réaliste et adaptée à notre temps doit être appliquée.