Côte d’Ivoire : pourquoi l’Église catholique a renoncé à sa marche du 15 février
L’Église catholique ivoirienne a annoncé l’annulation de la marche prévue le 15 février en faveur d’« élections apaisées ». Le diocèse d’Abidjan justifie cette décision en évoquant un « danger d’infiltration », sur fond d’âpres débats entre partisans du PDCI et du RHDP sur la pertinence de l’événement.
« Le pasteur qu’est le cardinal [Jean-Pierre Kutwa] ne voudrait pas que le sang d’un seul de ses fidèles soit versé », a annoncé l’abbé Augustin Obrou, chargé de communication de l’Église catholique, lors de sa conférence de presse, le 26 janvier. Après dix jours de tensions, le diocèse d’Abidjan a pris sa décision : la marche pour la paix, prévue le 15 février, est annulée. « Face au danger d’infiltration et soucieux de la sécurité de ses fidèles », cette journée de prière se tiendra exclusivement au sein de la cathédrale Saint-Paul du Plateau, a-t-il précisé.
Annoncée dans un courrier du cardinal Jean-Pierre Kutwa, archevêque et chef du diocèse d’Abidjan, cette marche, dont les initiateurs espéraient qu’elle rassemblerait « environ 20 000 personnes », se voulait « une occasion pour sensibiliser à la paix et [pour] prier pour des élections apaisées dans notre pays ». L’appel, intitulé « Allons à la paix », devait conduire le cortège de la place de République, au Plateau, jusqu’à la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan.
Alors que l’Église avait déposé un courrier d’autorisation de la marche sur la table du préfet Vincent Toh Bi et que celui-ci analysait avec ses équipes la meilleure manière de l’encadrer, Kutwa décide alors d’annuler la procession. Abdication, dénoncent certains, sagesse estiment d’autres. Pourquoi l’Église est-elle revenue sur sa décision ?
« Il faut tout simplement interdire cette marche »
L’affaire prend une dimension politique peu après l’annonce de la date du 15 février. Le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié, est le premier à réagir à ce projet, invitant ses militants à participer à cette marche.
De son côté, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, parti du Président Alassane Ouattara) se montre plus discret. La conférence de presse, que son porte-parole Kobenan Kouassi Adjoumani comptait organiser le 22 janvier pour dénoncer cette initiative de l’Église, est annulée.
[La marche] va fragiliser notre unité nationale en construction
Si l’Église catholique a assuré n’avoir « subi aucune pression qui aurait motivé » la décision de l’évêque, plusieurs personnalités politiques réputées proches du RHDP ont toutefois invité publiquement à l’annulation de la marche. « Il faut tout simplement interdire cette marche », martèle Soumaïla Doumbia (alias Doumbia Major), un ancien proche de Ibrahim Coulibaly qui s’est rapproché du RHDP depuis plus de deux ans. Au motif, selon lui, qu’elle « va fragiliser notre unité nationale en construction ».
« Non à la marche du 15 février sinon, nous appellerons tout le peuple à les rejoindre pour cette marche », menace pour sa part Touré Al Moustapha, ancien jeune patriote proche de Laurent Gbagbo, qui a rallié le RHDP lors de la crise postélectorale de 2011.
Sur les réseaux sociaux, les appels à la violence se font sans retenue, obligeant le procureur de la République Richard Adou à lancer un appel à témoin en vue de retrouver deux individus ayant ouvertement invité au meurtre de chrétiens.
Tensions entre le pouvoir et l’Église
La marche « Allons à la paix » intervient dans un contexte de tensions entre les catholiques et le pouvoir Ouattara. Le 19 janvier, à l’issue d’un conclave à Korhogo, fief du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, les évêques avaient énoncé quatre conditions pour une élection présidentielle transparente en octobre 2020, notamment la réconciliation et l’indépendance de la Commission électorale indépendante (CEI), dont la composition suscite la controverse. Une sortie critiquée par le ministre Sidi Tiémoko Touré, porte-parole du gouvernement : « Les prises de positions doivent être mesurées », a-t-il suggéré.
De nombreux ministres n’ont par ailleurs pas encore digéré l’homélie osée du cardinal Kutwa, prononcée devant le président Ouattara, le 30 décembre 2019, à l’occasion d’une messe en faveur de la paix. « Je vous demande humblement, monsieur le président de la République, vous qui détenez le pouvoir de la grâce présidentielle, de bien vouloir accepter de faire sortir du cachot tous ceux qui ont été arrêtés, à la suite des derniers événements que connaît notre pays », avait-t-il déclaré, une semaine après l’arrestation d’une quinzaine de personnalités proches de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro.