Depuis plus de 15 ans, les femmes continuent à être violées à l’Est de la RDC
Du 17 au 27 juillet 2012, s’est tenue dans les locaux de la Maison provinciale des Missionnaires d’Afrique à Bukavu (RD Congo) la première rencontre du groupe interdisciplinaire, international et oecuménique de réflexion et d’action sur les violences en RDC avec 13 participants. Ce séminaire de recherche a été organisé sous la houlette du père Bernard Ugeux, Missionnaire d'Afrique.
Au cours de la première semaine, nous avons été exposés au contact de différentes associations (Centre Olame dont la mission est d’aider les femmes victimes à recouvrer les forces vitales après des séances d’entretien et d’écoute, hôpital général de Panzi spécialisé dans l’accueil de victimes liées au genre, soigne entre 3000 à 3600 femmes chaque année , SOSAME dont la mission est d’accompagner les victimes qui souffrent des troubles mentaux, qui essaient de redonner l’espoir aux victimes directes et indirectes de la violence sexuelle à l’Est de la RDC depuis une dizaine d’années. Nous avons également écouté quelques témoins comme le père Didier de Failleur, jésuite qui connaît bien la situation de la RDC depuis plus d’une quarantaine d’années, L’Abbé Justin Nkunzi, secrétaire de la commission Justice et paix de Bukavu avec leur 16 centres d’écoute pour les femmes victimes, l’ONG Suisse Sentinelle. Voici quelques observations au terme de cette première semaine :
* Viol comme arme de guerre ? Les violences sexuelles sont des armes très efficaces pour détruire et dégrader l’autre, le soumettre et le réduire à l’état d’objet et d’esclave (Conakry en septembre 2009, des destructions massives dans le cadre de génocide : Viols en Bosnie, au Rwanda, à l’Est de la RDC depuis plus de 15 ans…..)
* Viol est avant tout une arme redoutable de destruction de la famille: Quel est le statut social d’un homme dont l’épouse a été violée devant lui, des enfants qui ont assisté au viol de leur maman, des parents qu’on a obligés de coucher avec leurs enfants, l’avenir des enfants issus du viol dans un contexte patriarcal ? Des filles mineures devenues mères étant orphelines de père et de mère qui vivront malades pour toujours ?
* Les violences sexuelles touchent aussi les hommes et les enfants. Souvent, il n’y pas de centre d’écoute psychologique pour eux.
* Que dire du caractère massif de ces violences sexuelles à l’Est de la RDC qui dure depuis 15 ans ?
* L’impunité à tous les niveaux de la société et le manque d’un état fort favorise les violences.
* La fréquence de la violence sexuelle semble très élevée dans les zones d’exploitations minières anarchiques, zones où pullulent des groupes armés de tout poil.
* La guerre n’a jamais fini à l’Est du Congo : c’est une zone de conflit permanent et non une zone de post-conflit. Et le nerf de la guerre, c’est l’exploitation des ressources humaines et minières de la RDC
* D’un côté le nombre très élevé des ONG et des associations qui s’occupent des femmes victimes des violences sexuelles et de l’autre côté, le nombre de femmes ayant subi des violences sexuelles qui ne cessent d’augmenter. Certaines ONG profitent de cette situation pour ramasser de l’argent pour elles-mêmes non pour les victimes.
* La violence en général et la violence sexuelle en particulier sont une pratique courante adoptée par tous les groupes armés, par l’armée, voir même les civils comme une méthode de terreur.
* Le viol et les violences sexuelles seraient- ils devenus comme une culture à l’Est de la RDC ?
* Les violences sexuelles sont des crimes justifiés souvent par des intérêts d’ordre économique, politique et social.
* Le viol touche tous les membres de la communauté car il détruit la vie communautaire sans la renforcer. La famille, cellule de base de la société est détruite.
* Que dit l’Eglise, la communauté aux victimes directes (femmes et filles violées) et aux victimes indirectes (enfants nés du viol, enfants qui ont assisté à ce drame, toute la famille dont l’harmonie est brisée…). Comment revisiter le discours de l’Eglise sur la femme et la sexualité dans le cadre de ce drame qui peut être considéré comme un lieu théologique ?
* Faut-il croire en Dieu qui dort quant je subis cette violence sans savoir pourquoi ? Que Dire du Dieu tout Puissant, de la volonté de Dieu dans ce contexte précis ?
La seconde semaine fut un temps d’approfondissent à partir des lectures personnelles, des jours d’immersion à Bukavu, de temps de prière et de réflexions personnelles. Il en ressort très clairement que la violence en général et le viol en particulier entraînent des conséquences psychologiques, relationnelles, sociales et religieuses sur les familles, communautés ainsi que sur toute la société.
Que faut-il faire pour réhabiliter la femme dans son rôle principal après le viol ou autres formes de violence ? Comment soutenir la vie bouleversée pour que la victime retrouve sa capacité à se projeter dans l’avenir ? Comment passer de la survie à la vie après ce drame ?
Rappel : La femme (sœur, mère, maman, symbole de vie, protectrice des valeurs, agent du développement…) est systématiquement violée par les combattant comme butin de guerre, comme arme de guerre, comme fétiche de guerre (viol de fillette ou de vieilles), comme arme de destruction des familles. Il s’agit plus de détruire la famille et de vider les villages. La femme est comparable à cet « homme au bord du chemin et souffrant des coups reçus par la violence humaine » (Luc 10, 30) : appel aux bons samaritains (symbole de différentes associations qui luttent pour stopper ce drame)
Alors que faire de la part des Eglises, des communautés chrétiennes, des autorités politiques, de la communauté internationale pour stopper cette déshumanisation qui perdure ? Des paroles fortes et des gestes d’espoir doivent être intensifiés par tous les acteurs sociaux au nom de notre humanité commune et de l’Evangile du Salut.
Quant à moi, j’estime que les attitudes de Jésus dans les évangiles envers les faibles et les rejetés ainsi que ce que dit le pape Benoît 16 dit dans « Africae munus » aux numéros 55 à 59 peuvent nous aider à aller plus loin sur la route d’éradication de cette horreur de notre région : « les femmes apportent une grande contribution à la famille, à la société et à l’église avec leurs talents ». Toute violence les empêche de jouer leur rôle.
Le pape invite les disciples du Christ à combattre tous les actes de violence contre les femmes, à les dénoncer et à les condamner.
En visant la femme garante de la culture, symbole de la vie, de l’éducation, c’est l’honneur, la virilité et la dignité du père, du mari, du frère et du cousin qui est atteint. Ainsi, la victime, la femme (mère, sœur, épouse) peut - être mal jugée. Le viol est une source de honte, c’est un tabou. Un enfant issu du viol sera toujours perçu comme l’enfant de l’ennemi.
Le viol a des conséquences considérables comme la destruction physique, et psychologique de la femme. Le viol ébranle la société dans son fondement car il anéantit l’avenir de la société. Détruire la femme, c’est tuer le fondement de la société car la femme porte les valeurs culturelles. Elle est l’éducatrice de la société, génératrice des êtres, pilier de l’économie, elle est l’âme de la société, qui tue la femme détruit la société, détruit la vie.
Alors comment accompagner, plaider et soigner les victimes de cette violence pour qu’elles retrouvent leur place centrale au cœur de la société, au coeur de la famille, au cœur de l’Eglise ? Et quelle catéchèse donner aux familles, aux communautés de base, sur le péché pour que la victime soit accueillie, intégrée et célébrée comme une résurrection ?
(a) Nous saluons le travail d’écoute, d’accompagnement et d’aide pour redémarrer dans la vie que réalisent les ONG, les associations, les églises. bien que tout cela se fait en ordre dispersé et semble devenir le gagne pain pour certains ONG, associations ou des personnalités. Il est de notoriété publique d’inclure les femmes violées dans n’importe quel projet. Il s’agit d’aider la victime à se réconcilier avec elle-même. Car elle a tendance à se déprécier, à se culpabiliser et à être stigmatisée par sa communauté et sa famille : développer des lieux de formation et d’écoute pour cette femme en y intégrant l’Enseignement social de l’Eglise basé sur la dignité humaine qui reste inviolable.
(b) Mais ce premier niveau nécessaire de prise en charge de ces victimes de violences est cependant insuffisant car il installe les victimes dans les groupes vulnérables dont on doit s’occuper mais ne restaure pas les victimes dans leur rôle social (période avant la violence et après la violence).
(c) Il faut aller plus loin comme le dit si bien le document d’ Africae munus : « les femmes sont pour les églises locales comme leur colonnes vertébrales, l’Eglise compte sur elles pour créer une écologie humaine. »
C’est pourquoi, des actions prophétiques fortes doivent être prises en faveur des femmes violées pour qu’elles retrouvent leur rôle comme mères, éducatrices, gardiennes des valeurs en les formant à devenir responsables de leur destin, en leur enseignant les principes de la doctrine sociale de l’Eglise Famille, les aidant à prendre leur part au développement de la communauté.
Emmanuel Ngona