Deux ouvrages indispensables pour décortiquer le racisme

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Deux livres forts qui affinent grandement le débat sur le racisme et précisent tous les notions qui s'y rattachent.

Deux ouvrages parus à quelques mois d’intervalle explorent en profondeur la question du racisme, toujours aussi virulent dans nos sociétés contemporaines.

Prendre le temps de réfléchir sur des questions essentielles : voilà ce à quoi nous invitent deux ouvrages parus à quelques mois d’intervalle. Deux ouvrages qui creusent en profondeur la question du racisme, toujours à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines, en dissèquent les mécanismes et les expressions cachées, en exposent les conséquences.

Les lire, c’est prendre conscience d’un fléau qui touche tout le monde et qui mérite d’être combattu au quotidien. Dans la sphère publique, en militant, peut-être, mais aussi dans le secret de l’intime, car qui peut se dire immunisé contre toute réaction raciste ? Pas grand monde en réalité.

• Des mots pour combattre le racisme

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Ce livre « remue-méninges » se présente sous la forme d’un abécédaire qui commence avec « affirmative action » et se termine avec « Zoos humains », offrant pour chaque mot un court texte pédagogique, des renvois à d’autres termes et des titres de films ou de livres en rapport direct avec le sujet.

« Au-delà de la définition des termes, de l’apport des statistiques ou de l’Histoire pour mettre en perspective le racisme, cet ouvrage se veut avant tout un outil de lutte : lutte contre les stéréotypes en aidant à les débusquer partout ; lutte contre les discriminations en rappelant la loi et les moyens qui existent pour la faire appliquer ; lutte contre l’intolérance par la découverte des autres cultures et de leurs différences ; lutte contre la violence en développant l’esprit critique et le dialogue », écrivent les auteurs dans leur introduction.

Ensuite, à chacun de piocher selon ses interrogations. Ainsi, au mot « Haine », on pourra lire : « Si la peur et la haine sont des sentiments naturels communs à l’espèce humaine, le racisme en revanche n’est pas inné. On ne naît pas raciste. On le devient. Mais le racisme se construit bel et bien autour de la haine : haine de la différence, haine de l’Autre, haine de l’“étranger”, qui n’est pas comme nous. »

Martin Luther King, Mandela, Gandhi…

Au fil des pages, le lecteur navigue entre personnages célèbres (Martin Luther King, Mandela, Gandhi…) et notions plus génériques (langue, immigration…), chaque terme étant traité sur deux ou quatre pages en toute simplicité, mais sans simplification excessive. Attentifs aux polémiques de notre temps, les auteurs n’hésitent pas à signaler les divergences de points de vue sur des questions aussi complexes que la laïcité, le métissage, l’affirmative action… Ainsi peut-on lire : « Si la notion de métissage est très largement répandue dans les sociétés actuelles, elle n’en demeure pas moins controversée puisqu’elle part du principe qu’il existe différentes “races” au sein de l’espèce humaine. » Ou encore : « En France, contrairement aux États-Unis, la discrimination positive de type ethnique n’existe pas, car elle est considérée comme un concept d’inspiration raciste. »

Entre « Anthropométrie » et « Antisémitisme », l’« Antiracisme » est expliqué avec clarté, mais les auteurs se permettent de préciser que tout n’est pas toujours rose entre les différents antiracismes. Et rappellent qu’en France, notamment, les tenants de deux courants différents s’opposent, parfois assez violemment. « Ces deux approches s’opposent parfois, écrivent-ils, la première s’appuyant sur le concept d’universalisme républicain (tous égaux, donc sans différence), la seconde sur celui de multiculturalisme (toutes les cultures et donc toutes les différences doivent pouvoir s’exprimer et se revendiquer). » Pour aller plus loin sur ce sujet brûlant, le livre de Jean-Loup Amselle offre une excellente analyse en profondeur, aussi pertinente qu’iconoclaste.

Des mots pour combattre le racisme, de Jessie Magana et Alexandre Messager, Syros, 194 pages, 12 euros.

• L’Universalité du racisme

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Avec cet essai, l’anthropologue Jean-Loup Amselle, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris, revient dans le détail sur la création proprement humaine, et somme toute récente, qu’est le racisme. Dès son introduction, il précise ainsi : « Qu’il s’agisse de l’Occident, de la France ou du Mali, le racisme ou les racismes ne sont pas des phénomènes anciennement apparus dans l’histoire de l’humanité, mais tout au contraire des productions relativement récentes que l’on peut faire remonter en gros au XIXe siècle. »

Selon lui, le « racisme antisémite » comme le « racisme intercommunautaire » procèdent « de l’anthropologie physique appliquée aussi bien aux Juifs qu’aux Arabes, aux Roms qu’aux Africains ». Plus précisément, il ancre la naissance du racisme dans les premières mesures de crânes et d’os effectuées par l’Allemand Eugen Fischer parmi les Hereros et les Namas de Namibie, qui furent comme on le sait les victimes du premier génocide du XXe siècle. Il pointe aussi du doigt les travaux de Louis Faidherbe sur les populations « blanches », « rouges » et « noires » d’Afrique subsaharienne, parfois encore opérants aujourd’hui. Ce qui lui permet de conclure que « les guerres tribales, dans la forme qu’on leur connaît actuellement, loin d’être une invention africaine, sont au contraire le produit d’une technologie en grande partie importée d’Occident ».

« L’antisémitisme est un racisme comme les autres »

La première partie de l’essai d’Amselle en irritera plus d’un, puisqu’elle entend démontrer que « l’antisémitisme est un racisme comme les autres ». Il ne s’agit évidemment pas de minimiser les dégâts produits par l’antisémitisme au cours de l’Histoire comme actuellement, mais d’appréhender les racismes dans leur ensemble.

Au passage, l’auteur fait preuve de quelques fulgurances utiles à la réflexion. Ainsi, il écrit : « Le racisme, ce n’est pas tant ou pas seulement détester un groupe quelconque, c’est également l’aimer dans son entièreté, en étant incapable d’y distinguer les individus qui le constituent. » Ou encore : « La race n’existe pas, nous disent les généticiens, même si l’ADN et la carte géographique de la répartition des gènes à la surface de la Terre sont censés permettre aux individus de savoir d’où ils viennent, et donc de reproduire d’une autre façon l’idée même de race. En cela, les biologistes font rentrer la race par la fenêtre alors qu’ils l’ont chassée par la porte. »

Nous vivons désormais dans un monde globalisé dont la temporalité est uniforme

Bon connaisseur du Mali et des questions décoloniales, Amselle conclut ainsi son essai : « Nous vivons désormais dans un monde globalisé dont la temporalité est uniforme parce qu’elle résulte des effets de la mise en place, au XIXe siècle, d’une matrice de savoir et de pouvoir conjoignant anthropologie physique, raciologie et domination coloniale, matrice dont nous ne sommes pas encore sortis et qui continue d’informer les différentes formes de racisme qui sévissent un peu partout. »

Cependant, sa conclusion la plus percutante sans doute se trouve en amont, quand il évoque ce qu’il nomme le « racisme de classe ». « En réalité, écrit-il, le racisme contemporain est la résultante de la domination qu’une élite, un groupe ou une classe dominante exerce sur des groupes ou des classes dominées et, à ce titre, il peut concerner une race, une ethnie, une religion, un genre, sans que ces différentes catégories soient radicalement étanches les unes par rapport aux autres. »

L’Universalité du racisme, de Jean-Loup Amselle, éditions Lignes, 128 pages, 12,90 euros

 
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