Albert Zeufack (Banque mondiale): «Une crise alimentaire pourrait s’ajouter
à la récession en Afrique»

Une rizière en Côte d'Ivoire (photo d'illustration).
Une rizière en Côte d'Ivoire (photo d'illustration). ISSOUF SANOGO/AFP

L’économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique estime que la récession qui va frapper l’Afrique cette année pourrait avoir des conséquences désastreuses, si la communauté internationale n’agit pas. Un moratoire sur le remboursement des intérêts de la dette est essentiel, selon lui.

RFI : Pourra-t-on éviter une récession en Afrique en 2020 ?

Non, nous vivons un moment d’une extrême gravité pour l’Afrique. La croissance risque de passer de + 2,4% en 2019 à - 2%, voire - 5% en 2020, ce qui sera la première récession depuis vingt-cinq ans. L’impact se fera sentir sur le bien-être social, c’est-à-dire sur les revenus et la consommation des populations en Afrique.

Comment expliquer une telle ampleur ?

Il y a quatre canaux de transmission de cette crise mondiale à l’Afrique. Le premier, c’est la baisse du commerce international et la chute des cours des matières premières qui s’ensuivit. Le pétrole a perdu 50% de son prix et les pays dépendant des recettes pétrolières sont plongés en pleine crise budgétaire.

Le deuxième canal de transmission, ce sont les flux financiers des pays avancés vers l’Afrique subsaharienne. Cela va des investissements directs étrangers, l’aide, le tourisme – qui s’est effondré – et les transferts d’argent de la diaspora vers les familles. Le troisième canal de transmission, c’est le choc sur le secteur de la santé. Beaucoup de gens vont être malades et il faudra les prendre en charge. Le dernier canal, c’est la perturbation des activités économiques induite par les politiques de confinement que sont en train d’adopter les pays.

Faut-il redouter une crise alimentaire ?

Notre rapport établit qu’il faut s’attendre à une baisse de la production agricole de 2,6% en 2020. Il faut savoir que cette crise frappe au moment où approchent les récoltes en Afrique de l’Est, et à un moment où l’on commence à planter dans les régions proches de l’équateur, donc il y aura un impact sur les productions agricoles.

À cela s’ajoute une baisse de l’importation des produits alimentaires. Or, l’Afrique importe pour 35 milliards de dollars de denrées chaque année. Avec les entraves au commerce provoquées par le Covid-19, nous observons que plusieurs pays ont déjà des difficultés à s’approvisionner en denrées de base. Donc, oui, une possible crise alimentaire pourrait s’ajouter à cette crise économique.

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Qu’est-ce que la Banque mondiale va faire pour atténuer cette crise en Afrique ?

La Banque mondiale travaille avec les pays africains pour mettre en place une réaction basée sur deux piliers. Le premier pilier consiste à sauver des vies… Mettre en place des programmes d’urgence sanitaire et de renforcement des systèmes de santé. Le deuxième pilier, c’est celui qui consiste à protéger le bien-être social, les activités des hommes et des entreprises, pour qu’il n’y ait pas une explosion du chômage et un arrêt brutal des activités. Il est important de ne pas opposer la santé à l’économie, mais de travailler sur les deux fronts.

Par ailleurs, il est nécessaire pour les gouvernements africains de ne pas se contenter de recopier ce qui se fait ailleurs, mais de s’adapter à la structure des économies et aux ressources à notre disposition. Comme vous le savez, les économies africaines sont caractérisées par un grand secteur informel qui regroupe parfois 90% de la force de travail. Donc les politiques de confinement doivent s’accompagner de politiques d’assistance sociale directe aux populations, y compris au niveau des denrées de base.

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Il y a déjà de nombreux pays qui ont pris le taureau par les cornes. L’Afrique du Sud, le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Rwanda, l’Éthiopie, le Burkina Faso… Les gouvernements sont en train de mettre en place des programmes qui peuvent permettre aux ménages de garder un peu de pouvoir d’achat et aux entreprises d’éviter de licencier massivement. Il faut prendre des mesures pour soutenir les travailleurs du secteur informel et cela pourrait passer par des transferts directs d’argent, comme on le fait déjà au Kenya par exemple. Certains pays assistent les ménages et les entreprises en retardant le paiement de taxes et de factures.

Sur la question de la dette et des mesures de soutien, que fait la Banque mondiale ?

Elle a mobilisé près de 160 milliards de dollars pour aider les pays dans le monde à faire face. Avec les pays africains, nous travaillons à mettre en place des programmes d’urgence, aussi bien dans le domaine de la santé, que pour les budgets nationaux des pays afin de recréer un peu de marge de manœuvre. La Banque mondiale a déjà approuvé des programmes d’urgence pour une dizaine de pays africains.

Nous travaillons aussi avec le FMI pour nous assurer qu’au niveau de la communauté internationale, on puisse s’accorder pour une sorte de moratoire pour le paiement des intérêts de la dette. Parce que ces intérêts représentent un montant important. Si vous prenez l’année 2018, les intérêts de la dette des pays africains se sont élevés à 35 milliards de dollars, dont neuf milliards sont dus à des pays au terme de la dette bilatérale. Il est important que l’on puisse tous comprendre que cette crise nécessite une réponse globale et qu’il faut aider les pays africains à recréer un peu d’espace budgétaire pour en affronter les conséquences.

Moratoire ou annulation ?

L’Afrique subsaharienne pourrait avoir besoin de cent milliards de dollars cette année pour faire face à cette crise. Toute solution serait donc la bienvenue. Mais il faut aussi se rendre compte que la structure de la dette a changé et qu’une bonne partie est désormais privée. Ce sont des émissions par les pays d’eurobonds ou d’obligations. Donc il faudra trouver un mécanisme pour discuter avec le secteur privé et voir dans quelle mesure il pourrait aussi contribuer à l’effort général.

Comment éviter que la crise sanitaire n’entraîne une crise alimentaire?

 
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