Dominique Strauss-Kahn en Afrique : enquête sur ses réseaux et sa stratégie
Chefs d’État, hommes d’affaires, communicants, ex-collaborateurs… Jeune Afrique a mené l’enquête sur les hommes du premier cercle africain de l’ex-patron du FMI et sur ses méthodes de travail.
Après l’affaire du Sofitel de New York, l’ancien patron du FMI Dominique Strauss-Kahn (DSK), 71 ans, s’est reconverti en tant que consultant en Afrique, spécialisé dans les questions de finances publiques. Il sillonne le continent où sa notoriété lui ouvre les portes des palais présidentiels francophones.
L’ex-ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie de Lionel Jospin (1997-1999) est actuellement sous contrat avec le Congolais Denis Sassou Nguesso et le Togolais Faure Essozimna Gnassingbé. En 2017, associé à la banque de conseil Arjil de son ami Wladimir Mollof, avec qui il demeure lié par un contrat non exclusif, il a également aidé à mettre sur pied le Forum d’investissement Tunisie 2020 (coorganisé par Jeune Afrique Media Group).
Si l’économiste français a démarché en vain le Sénégal, le Mali, le Bénin ou encore le Burkina Faso, la réforme du franc CFA et dernièrement la crise liée à l’épidémie de Covid-19 lui ont donné l’occasion de faire un retour remarqué dans les médias.
DSK n’en reste pas moins d’une discrétion absolue sur ses propres affaires. Contacté, il n’a pas donné suite à nos sollicitations. Selon nos sources, il a par exemple été consulté pour la mise en place du statut Casablanca Finance City (CFC), qui offre des avantages fiscaux à certaines entreprises implantées au Maroc, dont la sienne. Via sa société Parnasse International, il a engrangé plus de 20 millions d’euros de bénéfices exonérés d’impôts entre 2013 et 2018.
Jeune Afrique vous dévoile les personnalités qui l’entourent et l’aident à faire prospérer ses activités.
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Les anciens de Bercy
Pour l’organisation et la gestion de sa société Parnasse International, Dominique Strauss-Kahn se repose sur Philippe Valachs, qui l’accompagne souvent lors de ses déplacements en Afrique. Les deux hommes ont appris à travailler ensemble au début des années 1990, quand ce dernier s’occupait de la communication et de la presse en tant que chef de cabinet adjoint de DSK, alors ministre de l’Industrie et du Commerce extérieur.
Avant de devenir son bras droit, ce titulaire d’un DEA en sciences économiques, qui possède sa propre société de conseil (Archimède Consultants), a également été chef de cabinet de Jean-Marie Messier lorsque celui-ci était à la tête de Vivendi. Il a été le directeur général d’une des premières Web TV européennes, CanalWeb, qui a fait faillite en 2002.
Pour faire avancer les dossiers de Parnasse, DSK peut compter sur le réseau de Philippe Valachs dont fait partie l’énarque Pierre-François Couture, qui s’est rendu en mission pour Parnasse au Togo à la fin de 2019. À la demande de Valachs, ce spécialiste des finances publiques et des matières premières, également expert associé au cabinet de consulting Lysios fondé par Jean-Luc Archambault, a fait jouer son carnet d’adresses parmi les anciens des ministères français pour muscler les ressources nécessaires à la gestion des dossiers congolais et togolais.
Sur le continent, l’ex-patron du FMI a retrouvé d’autres anciennes connaissances de Bercy, dont son ex-conseiller Matthieu Pigasse, qui fut jusqu’à la fin de 2019 le directeur général délégué de la banque Lazard. À la fois proches et concurrents, les deux hommes ont eu pour mission de gérer avec les autorités locales l’épineux dossier de la dette congolaise ; DSK, en froid avec Christine Lagarde, s’est focalisé sur la restructuration des créances dues à Pékin et aux entreprises chinoises. L’arrivée de Kristalina Georgieva à la direction générale du FMI en septembre dernier pourrait changer la donne.
Fin 2019, Matthieu Pigasse, qui a rejoint la banque américaine Centerview, a laissé la place sur ce dossier à l’énarque et normalien Thomas Lambert, directeur du département dette souveraine de Lazard. Mais il est toujours actif au Congo où il est officiellement et à titre personnel conseiller de la République pour les négociations avec le FMI et les autres institutions. Une lettre de mission lui a été remise par le Premier ministre Clément Mouamba au premier trimestre 2020.
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Les chefs d’État
Ses contrats de conseil aux États, DSK les signe directement avec les présidents africains. « Il vient challenger les ministres des Finances et cela crée souvent des tensions », confie un proche. Reconnu pour son expertise, l’ancien patron du FMI est connecté chez de nombreux chefs d’État en exercice auxquels il parle avec franchise.
Le président togolais Faure Gnassingbé, en 20 janvier 2017 © Présidence togolaise
Au Congo, Denis Sassou Nguesso, qui le connaissait déjà, l’a recruté en 2016. C’est Jean-Paul Pigasse, propriétaire du journal Les Dépêches de Brazzaville et oncle de Matthieu Pigasse, qui l’a introduit auprès du président congolais. L’an dernier, Strauss-Kahn a obtenu la restructuration de la dette chinoise. Le pays ne bénéficie actuellement pas de la facilité d’urgence du FMI, qui n’a pas totalement fermé la porte mais attend des avancées dans la restructuration de la dette due à Glencore et Trafigura et des efforts de transparence concernant le budget 2020.
DSK est également sous contrat au Togo. Il a d’abord approché le président Faure Essozimna Gnassingbé pour le compte du groupe suisse Sicpa, leader mondial des solutions de traçabilité et fournisseur de l’encre infalsifiable des billets de la zone euro, avant de décrocher un contrat de conseil portant sur la « modernisation de la gestion des finances publiques ». Selon des sources proches du dossier, le courant entre les deux hommes passe particulièrement bien.
À la recherche d’autres contrats, il a aussi démarché Macky Sall (il s’était positionné sur le Plan Sénégal émergent), Ibrahim Boubacar Keïta et Roch Marc Christian Kaboré, sans succès. Ses bonnes relations avec Alassane Ouattara ne lui ont pas non plus permis pour le moment de concrétiser ses ambitions en Côte d’Ivoire.
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Les communicants
Pour diversifier son réseau africain, DSK peut compter sur ses amitiés chez les communicants. Au Maroc, il s’est rapproché ces derniers mois d’Omar Alaoui, l’ancien directeur de cabinet de Salaheddine Mezouar, à l’époque où ce dernier était encore le patron des patrons du royaume.
Le communicant marocain Omar Alaoui © Twitter
L’an dernier, sa présence avait été annoncée à la surprise générale à l’université d’été de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), avant qu’il ne décline cette invitation. Très récemment, à la demande d’Alaoui, qui a rejoint en novembre 2019 le cabinet de lobbying ESL & Network dirigé par Alexandre Medvedowsky, il a contribué à une réflexion sur la mobilisation du secteur privé africain face à la pandémie de Covid-19.
Le Français est également proche du Franco-Tunisien Karim Guellaty, patron de la société Infolink et du média en ligne Business News. Tous deux se connaissent depuis le début des années 1990 par le réseau de la Mnef, mutuelle étudiante dissoute après un scandale d’emplois fictifs et de détournements. En juin 2014, ce dernier l’avait invité en Tunisie pour une journée de travail afin de muscler le programme économique du futur président de la République, Béji Caïd Essebsi.
Enfin, DSK peut aussi compter sur les réseaux de ses amis intimes comme Stéphane Fouks. Le patron d’Havas Worldwide avait participé à sa campagne lors des primaires socialistes de 2006, puis à celle pour la direction générale du FMI. En 2010, il a également collaboré avec Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, avant de conseiller l’homme d’affaires mauritanien Mohamed Ould Bouamatou.
DSK et Fouks sont par ailleurs très proches de Jean-Marie Le Guen, ex-secrétaire d’État français au Développement et à la Francophonie, également actif en Afrique.
- « Marrakech connexion »
Propriétaire d’un riad à Marrakech, DSK y passe depuis 2013 une partie de l’année avec son épouse, la communicante marocaine Myriam L’Aouffir. Ensemble, ils ont créé l’association MekkiL’, qui finance des actions destinées à protéger les mères et les enfants.
Mohamed BouamatouTar Debates© Thomas Preston © Mohamed Bouamatou Tar Debates © Thomas Preston
Avec l’appui de Mohamed Ould Bouamatou, DSK pourrait vendre ses services au président Ould Ghazouani
Dans la ville ocre, l’économiste, qui fréquente d’autres Français habitués des lieux comme le philosophe Bernard-Henri Lévy, s’est aussi rapproché de Mohamed Ould Bouamatou. Tous deux ne se connaissaient pas, avant que le Mauritanien n’achète une villa voisine de la sienne. Ce dernier a donné de grands dîners chez lui, consolidant ainsi leurs carnets d’adresses.
L’homme d’affaires avait investi 5 millions d’euros dans la société de gestion Leyne Strauss-Kahn & Partners (LSK), qui a fait faillite en 2014. Mais cela n’a pas entaché leur amitié.
Après dix ans d’exil, Bouamatou est rentré à Nouakchott en mars. Un important appui que DSK pourrait utiliser dans les prochains mois pour vendre ses services au président Mohamed Ould Ghazouani, également courtisé par les banques d’affaires Lazard et Rothschild. Au Maroc, le patron de Parnasse entretient aussi des relations amicales avec les ex-ministres Salaheddine Mezouar et Nizar Baraka, lequel est aujourd’hui secrétaire général du parti de l’Istiqlal.