Guinée : polémique autour du texte modifié de la Constitution
Le texte promulgué le 14 avril au Journal officiel est différent de celui soumis au référendum du 22 mars, assurent des avocats guinéens et certains membres de l’opposition.
La polémique bat son plein en Guinée depuis qu’en début de semaine le Barreau guinéen s’est fendu d’un communiqué critiquant la version du texte de la nouvelle Constitution publiée au Journal officiel. Les avocats, bientôt rejoints par des membres de l’opposition, ont relevé que le texte est différent de celui qui avait été soumis aux électeurs et adopté à 91,59 %, lors du référendum du 22 mars.
Évoquant une « altération frauduleuse » du texte, qui aurait à les en croire été « vidé de sa substance », les avocats soulignent que pas moins de 21 articles ont été « substantiellement modifiés ou substitués ». Pour eux, la « volonté du peuple » s’en trouve par conséquent « travestie ». « La Constitution est la base juridique de l’État, le contrat qui lie les gouvernants et les gouvernés. Le texte [promulgué] est un texte falsifié qui ne correspond en rien à un contrat d’adhésion », précise à Jeune Afrique le bâtonnier du barreau Djibril Kouyaté.
Parrainages et partis
Parmi les modifications considérées comme « les plus problématiques » par le Barreau guinéen, celle qui touche aux candidats indépendants, initialement consacrée par l’article 42. Dans sa version publiée au Journal officiel, la Constitution prévoit que tout candidat à la présidence de la République doit « justifier le parrainage des électeurs déterminé par le code électoral » et précise qu’ »aucune candidature n’est recevable si elle n’est présentée par un parti politique légalement constitué ou par une coalition de partis politiques ». Autant de dispositions absentes du texte dans sa version antérieure.
De même, l’article 64, qui fixait les prérogatives de la Cour des comptes pour le contrôle des déclarations de biens des membres du gouvernement, a été amendé. Cette responsabilité est confiée à la Cour constitutionnelle. « La Cour constitutionnelle a pour compétence de gérer les contentieux relatifs à la Constitution. Pourquoi confier cette tâche à cette institution, alors qu’un autre organe [la Cour des comptes] était déjà prévu ? Cela signifie qu’on ne prend pas au sérieux la déclaration des biens des membres du gouvernement », déplore Djibril Kouyaté.
Le problème n’est pas de savoir si c’est ce qui a été modifié est bon ou mauvais : c’est une question de principe
Les deux principaux partis d’opposition guinéens, l’Union des forces démocratique de Guinée (UFDG) et l’Union des forces républicaines (UFR), qui avaient boycotté le double scrutin controversé, ont emboîté le pas aux avocats, dénonçant une « fraude à la Constitution ». « Le problème n’est pas de savoir si c’est ce qui a été modifié est bon ou mauvais : c’est une question de principe. C’est le texte qui a été présenté au peuple qui doit être promulgué », estime l’avocat et membre de l’UFDG Amadou Diallo. « Aucune règle n’a été respectée. Pourtant, le gouvernement avait tout le temps pour faire rectifier ce texte si besoin et reprendre la procédure telle qu’elle est décrite dans la Constitution », regrette l’opposant.
Mais aux avocats, qui plaident pour que la Cour constitutionnelle s’auto-saisisse, Amadou Diallo rétorque qu’elle n’en a pas le pouvoir. « ll n’y a pas de base légale pour saisir la Cour constitutionnelle sur cette question inédite. Elle ne peut se prononcer valablement que sur la Constitution en vigueur au moment de sa saisine, en décembre, et sur le projet de texte sur lequel elle a émis un avis consultatif. »
Mise au point
Face à la polémique qui enfle, le ministre guinéen de la Justice, Mamadou Lamine Fofana, a convoqué la presse, ce jeudi 4 juin, pour une conférence de presse sur le « débat en cours relatif à la Constitution du 22 mars ». « Il y a lieu de rappeler que le texte en question a fait l’objet de plusieurs consultations et autant d’amendements pour prendre en compte toutes les préoccupations de l’ensemble des Guinéens », a insisté le ministre, dans une courte déclaration qu’il a lu devant les journalistes. « C’est suite à tout cela qu’après avis de la Cour constitutionnelle, le projet a été soumis au référendum, et adopté ».
Cette polémique est plus politique que constitutionnelle
Surtout, le ministre insiste : « L’adoption du texte final par le référendum met hors d’usage tous les documents qui ont contribué à son élaboration ». Le texte, promulgué par un décret du 6 avril et publié au Journal officiel le 14, « est applicable et opposable à tous », a-t-il encore martelé.
« La « bonne » Constitution est bien celle qui a été promulguée par le président de la République », assure à Jeune Afrique le ministre de l’Hydraulique, Papa Koly Kourouma, évoquant lui aussi des différences dues « au processus d’élaboration de toute Constitution ». « La rédaction de la première mouture est discutée, adoptée en Conseil des ministres. Ce qu’on publie est sujet à des modifications, aux contributions des uns et des autres, qui doivent pouvoir amender [le texte]. C’est à l’issue de ce processus que l’on parvient à une mouture finale, et que le peuple peut voter », expose Papa Koly Kourouma. Il assure par ailleurs ailleurs que le texte publié le 14 avril est le même que celui qui était « affiché au niveau des bureaux de vote », le 22 mars. « Je pense qu’il n’y a même pas de débat : cette polémique est plus politique que constitutionnelle. »