[Chronique] CFA, franc souverain

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Mis à jour le 26 août 2020 à 09h13
 
 

Par  Joël Té-Léssia Assoko

Joël Té-Léssia Assoko est journaliste économique à Jeune Afrique et ancien chef d'édition de Jeune Afrique Business+. Ivoirien, diplômé de Paris-Dauphine et de Sciences-Po Paris, il suit le secteur de la finance en Afrique.

(@ralphlessia)

Billets de francs CFA de l'Afrique centrale.

La crise malienne montre que des questions cruciales ont été éludées dans le débat autour de la souveraineté des États et du franc CFA.

L’Uemoa a-t-elle trop de pouvoirs ? La question n’est pas rhétorique. Et la crise militaire et constitutionnelle qui a suivi le soulèvement militaire du 18 août au Mali lui donne une actualité indéniable.

Au lendemain de l’événement et dans la foulée de la réunion des chefs d’État ouest-africains, la BCEAO a ordonné la fermeture – momentanée – de ses agences dans la troisième économie de l’Union (17,5 milliards de dollars de PIB en 2019), coupant l’accès à ses guichets de refinancement à tous les établissements bancaires du pays.

Manque d’autonomie

Une décision prise en fonction des textes statutaires de la BCEAO en cas de « rupture de l’ordre constitutionnel », a concédé le patron de l’une des cinq premières banques du Mali, interrogé par Jeune Afrique. Sans accès aux financements de la BCEAO, selon les estimations de ce banquier, le système – 14 banques pour un bilan de 4 665 milliards de F CFA fin 2018 – n’aurait pu assurer qu’une semaine de retraits à ses guichets, avant d’être contraint à un rationnement de ces derniers. Et ce en pleine période de versement des salaires.

Les États membres de l’Uemoa partagent surtout entre eux une souveraineté monétaire sévèrement amoindrie, du moins déléguée à la BCEAO, à son gouverneur, au comité de politique monétaire, sous le contrôle des « instances décisionnelles » – que sont le Conseil des ministres de l’Uemoa et la Conférence des chefs d’État – auxquelles la France ne participe pas.

Les pleins pouvoirs

La crise politico-militaire de la fin d’août 2020 au Mali vient rappeler ce que celle de 2010-2011 en Côte d’Ivoire avait abondamment prouvé : l’ampleur colossale du pouvoir dont disposent les instances de l’Uemoa.

En décembre 2010, le conseil des ministres de l’Uemoa, réuni à Bissau, avait franchi un pas inédit. Au plus fort de la querelle de légitimité qui sévissait à Abidjan, il avait « pris acte des décisions de l’ONU, de l’Union africaine et de la Cedeao de reconnaître M. Alassane Dramane Ouattara comme président légitimement élu de la Côte d’Ivoire ».Et ordonné aux équipes de la BCEAO, tout comme aux banques de l’Union, de n’autoriser l’accès aux comptes de l’État ivoirien qu’aux « seuls représentants régulièrement désignés par le gouvernement légitime de Côte d’Ivoire ».

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L’UEMOA EST LA SEULE INSTITUTION AUTORISÉE À DÉCIDER DE QUI ACCÈDE LÉGITIMEMENT « AU NERF DE LA GUERRE »… OU DE LA PAIX

Pour avoir bravé en 2011 ce blocus afin d’accéder aux comptes de l’État – ce qui était indispensable pour payer fonctionnaires et militaires –, l’ex-président Laurent Gbagbo, son ancien Premier ministre Gilbert Aké N’Gbo, les ex-ministres du Budget (Koné Katinan) et de l’Économie et des Finances (Désiré Dallo) ont été condamnés à vingt ans de prison en 2018.

Vraies questions éludées

Quelle que soit la lecture faite de la crise actuelle au Mali ou de celle de 2011 en Côte d’Ivoire, il est indéniable qu’un immense pouvoir régalien a été cédé par chacun des huit pays de l’Uemoa à une institution commune, seule autorisée à décider de qui accède légitimement au « nerf de la guerre »… ou de la paix.

Dans les débats enfiévrés sur la souveraineté, que restaurerait le remplacement du franc CFA par l’eco, des questions cruciales sont éludées. La pérennité de l’Union, le maintien de sa cohésion et l’adhésion continue des populations aux diktats venus des « instances décisionnelles » – surtout lorsqu’elles sont en désaccord avec la volonté majoritaire des peuples – sont-ils garantis ?

À l’origine, être « franc » signifie simplement : être « libéré de certaines servitudes ». On l’oublie trop souvent.