Au cœur de la junte au pouvoir au Mali
Le colonel Assimi Goïta devenu "chef de l'État" malien, le 24 août à Bamako. © Baba Ahmed/AP/Sipa
Ils sont au pouvoir depuis la démission forcée d’Ibrahim Boubacar Keïta. Qui sont les leaders de la junte ? Comment se sont-ils réparti les rôles ? Plongée au cœur du dispositif des nouveaux hommes forts du Mali.
Une fine pluie tombe sur Kati. Sur l’immense base militaire de la ville-garnison, des enfants jouent au football, insouciants, lorsqu’un cortège de véhicules militaires passe en trombe près d’eux. Le convoi se dirige vers le poste de commandement, en face du terrain de jeu. C’est ici que se trouve la base des nouveaux maîtres du Mali, les militaires qui composent le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) qui ont renversé Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août.
Quand le cortège entre dans la cour et se gare en face du bâtiment principal, les militaires présents se mettent au garde-à-vous. La portière d’un massif Hummer s’ouvre, Assimi Goïta en surgit. Le jeune colonel de 37 ans, qui a été proclamé « chef de l’État » par l’acte fondamental du CNSP publié au Journal officiel le 27 août, porte la même tenue de combat que celle des hommes de sa sécurité rapprochée, des éléments du bataillon autonome des Forces spéciales et du centre d’aguerrissement, qu’il commandait jusqu’au coup d’État. Il esquisse un rapide salut, et disparaît dans le bâtiment. C’est là, dans une pièce d’à peine 14 m2 qui lui sert de bureau, accessible via un escalier vétuste, qu’il recevait les premiers jours qui ont suivi le putsch.
L’homme est discret. Peu prolixe. Fils de militaire, élève consciencieux, Assimi Goïta est un pur produit des écoles et centres de formation de l’armée malienne. Il est passé par le Prytanée militaire de Kati et l’École militaire interarmes de Koulikoro, où il a choisi l’armée de terre, spécialité « armes blindées et cavalerie ». Le nouvel homme fort du Mali a également suivi des formations aux États-unis et en Allemagne.
Assimi Goïta, « un homme posé »
Au lendemain du putsch, la junte a publié sa biographie officielle, dans laquelle il est présenté comme un homme « adepte de défis ». À part cela, peu d’informations filtrent sur lui ou son parcours. Difficile de connaître, également, sa vision du « Mali nouveau » que le CNSP entend mettre en place.
Le président du Comité ne s’est exprimé face aux médias qu’une seule fois, le jour de sa désignation, afin de se présenter et d’appeler à l’unité. Depuis, il « prend de la hauteur », et ne participe qu’aux rencontres jugées stratégiques : celles avec les partenaires internationaux et avec des personnalités influentes à Bamako.
Après les reproches des leaders du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP), qui ont accusé la junte de s’être coupée du peuple et de faire cavalier seul, Assimi Goïta a rencontré les familles fondatrices de Bamako, et s’est rendu chez l’ex-président Moussa Traoré – un ancien général, putschiste lui aussi qui avait participé au coup d’État qui a chassé le président socialiste Modibo Keïta du pouvoir en 1968. Objectif : s’assurer un soutien populaire. Mais si ces visites ont été médiatisées, Assimi Goïta s’est abstenu de s’exprimer devant micros et caméras.
« C’est un homme posé, qui s’exprime peu », rapporte un diplomate africain. « C’est un homme de terrain, humble et effacé », ajoute un autre, qui le décrit même comme « frêle », compte tenu de sa taille.
S’il est encore en quête d’un soutien franc au sein de l’opinion publique et de la classe politique, au sein de l’armée, la désignation d’Assimi Goïta comme président du CNSP est un symbole. Le colonel était en effet jusque-là à la tête d’une force d’élite qui réunit des militaires issus de plusieurs corps. « Contrairement à ce qui s’est passé en 2012, il y a eu pour ce coup d’État une synergie entre officiers de plusieurs corps. On a d’ailleurs pu observer, lors des premières sorties du CNSP, des bérets de différentes couleurs », souligne Marc André Boisvert, chercheur spécialiste de l’armée malienne.
Malick Diaw, en première ligne des négociations avec la Cedeao
Malick Diaw (béret vert), accueille l'ex-président nigérian, Goodluck Jonathan (au centre) lors de son arrivée au Mali, le 22 août 2020. © AP/Sipa
La deuxième personnalité-clé de la junte est le colonel Malick Diaw. Premier vice-président du CNSP, il est chef-adjoint du camp de Kati. Il a également été chef d’état-major adjoint de la Garde nationale de la 3e Région militaire de Kati.
Le colonel Diaw est en première ligne dans les négociations entre la junte et la Cedeao. Le 27 août, c’est lui qui s’est rendu au Niger pour y rencontrer Mahamadou Issoufou, puis à Ouagadougou pour échanger avec Roch Marc Christian Kaboré. Il avait alors un objectif clair : convaincre les deux chefs d’État de plaider en faveur d’une levée des sanctions, à la veille d’un sommet extraordinaire des présidents de la région.
C’est également lui qui était à la tête de la délégation composée d’une dizaine d’officiers qui a reçu le M5-RFP dans la soirée du 29 août, afin d’apaiser des tensions naissantes. Alors que la junte au pouvoir est prise en étau entre, d’une part, la Cedeao qui exige une transition d’un an maximum, dirigée par un civil, et, d’autre part, le Mouvement du 5 Juin qui n’entend pas se laisser écarter de la transition, le rôle de Malick Diaw est à la fois discret et central. « Ce sont des jeunes officiers de terrain, novices au sommet du pouvoir, qui se retrouvent du jour au lendemain à devoir s’occuper de la gouvernance, à gérer les relations internationales et la médiation », confiait récemment à Jeune Afrique Hamidou Boly, représentant résident de la Cedeao au Mali, qui est en contact direct avec le colonel Diaw.
Deux colonels actifs auprès des troupes
Le colonel Sadio Camara et le colonel Modibo Koné, respectivement deuxième et troisième vice-présidents du CNSP, sont aussi des officiers très actifs auprès des troupes sur le terrain.
La colère des Forces armées maliennes (Fama) est montée d’un cran quelques semaines avant le coup d’État. Les militaires se plaignaient du manque d’équipement pour faire face aux jihadistes dans le centre et le nord du pays. Le niveau et le versement des soldes étaient également au cœur du mécontentement. Les nouveaux dirigeants du pays, dont certains étaient eux-mêmes sur les terrains d’opérations il y a peu, s’emploient donc à rassurer les troupes.
Ancien directeur du Prytanée militaire de Kati, Sadio Camara a effectué une série de rencontres les 26 et 27 août dans la 6e région militaire, à Sévaré, dans le centre du pays. Il s’est également rendu dans les postes de sécurité de Koro, Boulkessi et Hombori. Partout, le colonel Camara a exposé les raisons de ce coup de force. Les militaires ont, eux, saisi l’occasion pour exprimer leurs doléances, qui portaient essentiellement sur la réorganisation de l’armée et la formation. Ils ont aussi insisté sur la corruption qui règne dans l’armée.
Le colonel Modibo Koné, membre de la garde nationale et ancien commandant à Koro, dans la région de Mopti, a pour sa part opéré un déplacement à la base aérienne 101, engagée dans l’opération Maliko. Le 1er septembre, il s’est rendu à la direction du Génie militaire, puis au régiment des Commandos parachutistes pour « s’enquérir de leurs préoccupations ». Le lendemain, il a visité l’école de gendarmerie de Faladiè, et, enfin, le camp des gardes de N’Tomikorobougou. Là encore, il a surtout été question « d’écouter les hommes ».
Ismaël Wagué, figure médiatique
Ismaël Wagué à Kati, le 20 août 2020. © Baba Ahmed/AP/Sipa
Dans l’ordre protocolaire, le cinquième homme fort, devenu l’une des principales figures médiatiques des putschistes, est le colonel-major, Ismaël Wagué. Chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, il bénéficie d’une solide réputation aussi bien au sein de l’armée qu’auprès d’une partie de l’opinion publique. C’est lui qui, le jour du putsch, a lu la déclaration du CNSP à la télévision nationale. Il a ensuite multiplié les interventions dans les médias, accordant des entretiens aux journalistes maliens et internationaux.
Début septembre, le CNSP a en outre constitué des équipes d’officiers qui vont à la rencontre de civils, à Bamako, pour recueillir leur vision de la transition. Des représentants des partis politiques de l’ancienne majorité comme de l’ancienne opposition ont été reçus, de même que des responsables associatifs et des syndicalistes. Et si ces discussions donnent parfois lieu à des tensions, le CNSP entend bien montrer, en les menant, qu’il est ouvert au dialogue.
Les concertations nationales, d’abord annoncées pour le 29 août avant d’être annulées après que le M5-RFP a rué dans les brancards pour ne pas avoir été associé à l’organisation, sont de nouveau inscrites au calendrier. Elles devraient se tenir ce samedi 5 septembre, dans toutes les régions. Organisations de la société civile, partis politiques, syndicats et groupes armés signataires de l’accord d’Alger de 2015 sont invités pour l’occasion à « un atelier de validation des termes de référence sous la direction des gouverneurs », a précisé le porte-parole du CNSP, le colonel-major Ismaël Wagué.
Les généraux pressentis pour prendre la tête de la transition
Outre ces officiers en pleine lumière, le CNSP est également « conseillé », de manière discrète, par plusieurs personnalités. Bien qu’il dément être l’un des cerveaux du putsch, le général Mahamane Touré, ancien commissaire chargé des Affaires politiques, de la Paix et de la Sécurité à la Cedeao, est ainsi apparu aux côtés des leaders de la junte lors de plusieurs réunions stratégiques.
Mahamane Touré a été directeur de l’École de maintien de la paix, chef d’état-major de l’armée malienne de 2013 à 2016, avant d’être nommé ambassadeur du Mali au Niger en 2018. Depuis août 2019, il dirige le Centre d’études stratégique du ministère des Affaires étrangères. Selon nos sources, la Cedeao ne serait pas réticente à voir ce général en retraite ayant occupé des fonctions dans des organisations civiles prendre la tête de la transition.
L’autre général dont le nom est cité est Cheick Fanta Mady Dembélé. Officiellement, ce dernier ne fait pas partie du CNSP. Mais plusieurs de nos sources diplomatiques et sécuritaires le présentent comme un homme-clé du dispositif. Il est diplômé de l’école militaire de Saint-Cyr en France, de l’Université de l’armée fédérale allemande, à Munich, et de l’École d’état-major général de Koulikoro.
Ce général a également dirigé l’École de maintien de la paix et est passé par l’Union africaine, où il était chargé de la gestion des conflits et de la planification stratégique au sein de la Commission paix et sécurité. Le général Dembélé est aussi un proche de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga, qui multiplie ces derniers jours les sorties médiatiques.
La répartition des rôles au sein de la junte a fait l’objet de décrets, rendus publics le 2 septembre. Le colonel Assimi Goïta a alors procédé à une vingtaine de nominations à des postes stratégiques. Le général Oumar Diarra a notamment été nommé chef d’état-major général des armées. Considéré comme « intègre et rigoureux » par des sources militaires, il aura la tâche de réformer l’armée. Il remplace le général Abdoulaye Coulibaly, qui est, lui, toujours détenu par la junte.
Autre nomination, celle du colonel Lassina Doumbia, qui devient directeur général de la Sécurité d’État, les services de renseignement. Le colonel Jean Dao devient quant à lui chef d’état-major de la Garde nationale et le général Souleymane Doucouré a été désigné secrétaire général du ministère de la Défense.
Des civils
Si les nominations concernant essentiellement des militaires, quelques civils ont également été nommés à des postes de conseillers. C’est le cas de Moussa Camara, désormais conseiller spécial du président du CNSP chargé des ressources humaines, de Cheick Oumar Traoré, conseiller spécial chargé de l’information et de la communication ou encore de Youssouf Coulibaly, chargé des Affaires juridiques.
Célébrés en héros sur la place de l’Indépendance, le 21 août, pour avoir mis fin à la crise socio-politique qui s’enlisait, les militaires qui ont poussé Ibrahim Boubacar Keïta à la démission sont désormais attendus de pied ferme sur l’organisation des débats pour la mise en place de la transition. Les premières rencontres qui doivent se tenir à travers le pays à partir de samedi 5 septembre, et dont l’objectif est de fixer une feuille de route, seront cruciales. Ce sont elles qui donneront le « la » quant à la direction que prendra la transition, tant sur sa durée que sur le profil de son président.