Forum Social Mondial et semaine sainte à Tunis

Comme les douze éditions précédentes du forum social mondial1 (FSM), celui qui vient de se dérouler en Tunisie du 26 au 30 mars, permet à des hommes et des femmes d’horizons très divers de créer des liens et de proposer des alternatives concrètes à un monde de plus en plus menacé par la mainmise de la finance, avec son lot grandissant de mal-vivre social et de destruction de l’environnement. Mais FSM 2013 est le premier qui se passe dans un pays arabe. Cette particularité, plus le fait que l’Eglise du continent est poussée par l’élan du document pontifical « Aficae munus » qui nous presse à un plus grand engagement avec la justice et la réconciliation, a suscité en moi le désir de participer à cet événement historique. La providence à voulu qu’il coïncide avec la semaine sainte. Voici mes impressions.

 Dimanche des rameaux

Les premiers participants au forum commencent à arriver. Accueil formidable à l’aéroport par les jeunes volontaires tunisiens : ils ne doivent pas faire la queue comme les autres voyageurs car ils ont priorité au control de passeports. Carte téléphonique, renseignements sur les hôtels, carte de la ville, etc. Ceux qui le désirent peuvent déjà s’inscrire dans l’une des grandes tentes installées en plein centre-ville et même si la police n’est pas loin elle laisse faire et l’ambiance est incontestablement détendue. Ayant traversé une crise sans précédents, le secteur touristique (hébergement, transports, restauration, artisanat…) voir de très bon yeux l’arrivée de quelques 60.000 participants au FSM. On peut dire que, comme Jésus dans la liturgie du matin, il s’agissait d’une entrée triomphale dans la ville !

Mardi saint

Le matin assemblée des femmes et l’après-midi marche pacifique et festive dans les rues de la capitale avant de conclure par une fête populaire. Ce matin, au campus de l’université El Manar (cédée pour le forum) l’ambiance était un mélange de fête foraine, rassemblement politique, exposition d’artisanat et premier jour de rentrée académique. Toutes les langues, toutes les tenues, toutes les causes du monde semblent s’être donné rendez-vous ici. Des centaines d’offres permettent, chaque jour, aux organisations et associations présentes de faire connaître leurs luttes et leurs propositions : réfugiés, environnement, éducation à la paix, luttes paysannes, liberté de presse, prisons, droits des femmes, religions et paix, mini-crédits, cinéma et citoyenneté…
Même si l’Eglise de Tunisie (un seul diocèse pour tout le pays) ne participe pas officiellement au FSM, elle a voulu organiser, une messe d’accueil pour les participants chrétiens. Y compris à l’in
 térieur de la cathédrale on ressent fort cette ambiance internationale car justement ces chrétiens présent au FSM viennent de tous les pays, et les consignes (même à la sacristie) doivent être données en plusieurs langues ! Dans son homélie, le P. Nicolas, vicaire général, a dit : L’engagement social de notre Eglise et de nos communautés ne coïncide avec aucun projet politique. Il s’enracine dans cette conviction que le Christ a donné sa vie pour tous sans distinction, et que dans ce don qu’il a voulu faire gratuitement de lui-même, il redonne à chacun sa pleine dignité, cette dignité que toutes les logiques de mort, d’injustices et de péché continuent de vouloir détruire. Ce Forum Social Mondial se tient dans une Tunisie en grands bouleversements. Dans une Tunisie qui a crié sa soif de liberté, sa soif de dignité, et qui fait face aujourd’hui à d’immenses défis. La question que nous devons nous poser, comme participants à ce Forum au nom de l’engagement de notre foi, est de savoir comment aider à étancher aujourd’hui cette soif. Tendre un verre d’eau à mon frère, c’est donner à boire au Christ en personne. Nous le faisons au quotidien, dans toutes ces formes d’engagement qui sont les nôtres sur les cinq continents. Nous le faisons ici, à travers de nombreuses œuvres, en partenariat avec nos frères tunisiens ».

Mercredi saint 

La journée est centrée sur le monde arabe et ses révolutions : comment expliquer et soutenir les revendications de justice sociale, de respect de la légalité, de la priorité de la citoyenneté face au control des partis-états, de la lutte contre les détournements des biens publics… ?
Dans le campus, chaque fo
is qu’on me demande à quel organisme j’appartiens, on est surpris et heureux de rencontrer un missionnaire catholique dans le forum : avec cette femme médecin nous avons parlé pour savoir si c’est bon ou pas d’unir religion et politique ; avec ce jeune d’éducation informelle ; avec cette autre de dialogue interreligieux ; avec ces deux messieurs de dialogue islamo-chrétien ; avec les membres de cette organisation d’extrême gauche de style de vie simple ; avec les derniers occupants du camps de réfugiés de Choucha (frontière tuniso-libyenne) nous avons parlé de mes confrères qui y sont présents depuis deux ans ; avec cette dame tunisienne, qui s’efforce de me parler en espagnol, alors que je m’efforce de lui parle en arabe, il a été question de libération de la femme… Parmi les nombreuses activités proposées les thèmes en lien avec la paix-conflits-politique-religion-éducation-minorités-etc. attirent des nombreux participants. Et je vous assure que la parole y est absolument libre.
Lors de la messe chrismale, au coucher du soleil, Mgr. Alphonse (évêque émérite d’Oran en Algérie) est entouré de presque tous les prêtres du pays plus ceux qui sont venus pour le FSM. Venus d’ailleurs ou résidents en Tunisie tous sont au service d’un monde meilleur. Quand ils renouvellent leurs engagements sacerdotaux, la promesse de vivre l’Evangile avec désintéressement, gagne du relief dans le cadre du forum.

Jeudi saint

Ce matin encore les révolutions arabes étaient à l’honneur et c’est la Palestine qui, de loin, attire le plus de sympathies et capitalise un très grand nombre de propositions. Mais à côté des pays arabes encore en conflit, les associations arabes des droits humains, de femmes, de lutte citoyenne et contre la corruption, de transparence dans les élections, ainsi qu’une meilleur et plus responsable gestion de l’eau et de l’écologie se font connaître.
Certains participants sont des vrais « professionnels » : ils ont des tee-shirts uniformes, une tente avec logo à eux, pancartes de qualité avec leurs slogans en plusieurs langues, pamphlets et dépliants en grande quantité, volontaires venus de plusieurs pays et tous polyglottes. D’autres organisations sont plus modestes et à peine s’ils possèdent une table à l’ombre d’un arbre avec un cahier pour y inscrire tes coordonnées. Mais tous ont quelque chose en commun : une grande générosité et un enthousiasme contagieux.
Et l’après-midi, à nouveau dans la cathédrale, les chrétiens réunis et un évêque qui lave les pieds : tous veulent le prendre en photo ! La petite Eglise du Maghreb, chaque jour, se met au service des plus délaissés. Avec peu de ressources humaines et matérielles, complètement donnée à ce peuple avec qui il a conclu une alliance d’un nouveau genre. Comme Jésus qui, dans sa relation d’amour avec l’humanité, fût celui qui se donna le plus. Sans ce service concret et quotidien toute cette liturgie ne serait que « du charabia ». Dans l’assemblée, nombreux sont ceux qui porte le sac et les
badges du forum. Présence mondial des chrétiens, discrète et silencieuse, mais efficace et transformatrice, comme le levain dans la pâte.

Vendredi saint

 Les “assemblées de convergence” ont commencé ce matin. Il s’agit de faire que les associations du monde entier qui travaillent sur les mêmes sujets puissent se donner rendez-vous pour essayer de parvenir à des stratégies communes pour l’action. Ici, encore une fois, les volontaires du FSM sont précieux pour assurer les traductions. Les nouvelles technologies sont également omniprésentes et il y en a qui « retransmettent » à partir de leur tablette ou de leur téléphone portable la rencontre à leurs camarades qui n’ont pas pu faire le déplacement.
Ce matin j’ai vu la mise en scène de l’enterrement d’un jeune palestinien : une douzaine de ses amis le portaient sur leurs épaules, avant de le mettre à terre, sous les cris des uns, l’indifférence de la majorité ou un regard moqueurs chez certains. L’après-midi nous avons lu la condamnation et la mise à mort, il y a 2.000 ans, d’un autre palestinien. Face à la croix, à la souffrance organisée et injuste de tant de “fils de l’Homme”, face à l’indifférence d’un si grand nombre, rares sont ceux qui se trouvent aux pieds du Nazaréen. Soignant ses plaies, écoutant ses cris, séchant les larmes de ses proches… sans savoir si demain, chacune des luttes ici présentes, trouvera un écho digne, une solution humaine. Les participants chrétiens au forum sont aussi exténués : sur leurs visages le soleil a laissé ses traces, la fatigue, le manque de sommeil et il se peut que même un peu de déception : « Nous pensions que le Royaume commencerait ici… »
Dans la liturgie de ce vendredi saint la grande prière d’intercession acquiert une profondeur particulière :
Dieu éternel et tout puissant, toi qui tiens en ta main le cœur des hommes, et garantis les droits des peuples, viens en aide à ceux qui exercent le pouvoir ; que partout sur la terre s'affermissent avec ta grâce la sécurité et la paix, la prospérité des nations, et la liberté religieuse.

Samedi saint. Nuit pascale

Les dernières cartes de visitent sont échangées, les derniers dépliants aussi. Certains regrettent de ne pas avoir fait connaissance de tel ou tel partenaire potentiel beaucoup plus tôt ! Tout (ou presque) ce qui a été forgé dans les assemblées de convergence est présenté à lors de la clôture du FSM. Puisque ce n’est pas un organisme centralisateur le produit final ressemble à un patchwork de possibles actions. L’essentiel n’est pas de trouver une unique forme d’engagement, mais de permettre à tous ceux qui se sont senti proches de rester en contact et de se soutenir mutuellement. Le forum prend fin avec une marche solidaire qui traverse la ville de Tunis.
La nuit, comme à Jérusalem il y a 2.000 ans, certains dorment, d’autres sont déjà partis. Dans la cathédrale une petite lumière grandi jusqu’à tout inonder de sa clarté :
Il est Vivant ! Celui à qui on a fait confiance ne nous a pas déçus ! Il a la Vie et Il l’offre en plénitude ! Ces chrétiens venus au forum rentrent chez eux, dans leurs Galilées respectives, ayant contribué à changer le monde, le cœur brûlant et les énergies renouvelées, avec la joie supplémentaire d’avoir trouvé dans cette terre nord-africaine des disciples qui gardent vivant le message du Maître.

José María Cantal Rivas