Mali : la France cible-t-elle plus le GSIM que l’État islamique ?

| Par - à Bamako
Vue depuis un hélicoptère français de l'opération Barkhane, en mai 2017 au dessus de Gao, dans le nord du Mali.Que

En quelques semaines, la France a annoncé avoir neutralisé plusieurs des chefs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Choix stratégique ou tactique conjoncturelle ?

Il y a près d’un an, lors du sommet de Pau, le président français Emmanuel Macron et les chefs d’État du G5 Sahel décidaient de concentrer leurs efforts contre l’État islamique au grand Sahara (EIGS), qui opère au Sahel et qui s’était illustré, quelques mois auparavant, dans une série d’attaques causant la mort de plus de 200 personnes au Mali et au Niger.

Durant dix mois, sur le terrain, les opérations aéroterrestres conjointes se sont multipliées, avec pour objectif d’asphyxier l’EIGS : « Deux opérations emblématiques, l’opération Monclar, dénombrant près de 5 000 militaires français et sahéliens, et l’opération Bourrasque, comptant plus de 3 000 militaires, ont été menées et se sont focalisées contre l’EIGS, avec des succès tactiques notables », détaille à Jeune Afrique le colonel Frédéric Barbry, porte-parole de l’état-major des armées (EMA) français.

Capacités de nuisance intactes ?

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À l’en croire, l’EIGS sortirait largement affaibli de ces dix mois de campagne. Ses capacités et sa liberté d’action seraient « considérablement restreintes ». Le groupe ne pourrait plus mener d’attaques complexes, et ne pourrait plus accéder à ses ressources et à ses filières de recrutement.

Pourtant, le 11 novembre, l’EIGS revendiquait une embuscade contre un convoi militaire dans le nord du Burkina Faso. Cette attaque, l’une des plus meurtrières ayant frappé les forces de sécurité burkinabè, s’est soldée par la mort de 14 soldats. Ce qui a démontré que les capacités de nuisance de l’EIGS restaient effectives. « L’EIGS a subi de nombreuses pertes, mais n’a pas été mis à genoux. Il est toujours là et il frappe toujours, car il a une capacité d’absorption des pertes qui lui permet de se reconstituer et de continuer, analyse le professeur Djallil Lounnas, spécialiste de la mouvance jihadiste, et notamment auteur de « Le djihadisme au Sahel après la chute de Daech », un article publié dans la revue de l’Institut français des relations internationales en 2019.

« Il faut dézoomer. Regarder ce que l’on a connu avant le sommet de Pau, et la situation actuelle. Ces groupes sont-ils capables de mener des attaques complexes d’envergure ? Va-t-on en rester à quelques raids sporadiques ? » s’interroge le colonel Barbry. Et le militaire français d’insister : « Il faudra en juger dans un délai un peu plus long, mais, depuis un an, on constate une nette amélioration et un travail particulier réalisé sur l’EIGS. »

Mais dans le Gourma malien, la lutte contre l’EIGS n’a, pour le moment, pas permis d’en neutraliser des chefs importants, alors que sur un autre front, face au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), les annonces se succèdent.

Le GSIM, principale cible ?

Abdelmalek Droukdel, tué le 3 juin 2020.
Abdelmalek Droukdel, tué le 3 juin 2020. © AP/SIPA

 

En l’espace de cinq mois, le groupe né de la fusion d’Ansar Eddine et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a perdu deux de ses principaux leaders : l’Algérien Abdlemalek Droukdel, chef d’Aqmi tué en juin dernier par les forces armées françaises et depuis remplacé par Abou Oubaïda Youssef al-Annabi, un Algérien lui aussi, et Ba Ag Moussa, chef militaire du GSIM, tué le 10 novembre dans la région de Ménaka.

« Dans l’EIGS, à part les grands chefs, il n’y a aucune figure majeure. Lors de ses opérations, Barkhane tue 20, 30, ou 40 membres de l’EIGS, et si un chef de groupe est tué, il n’est généralement pas connu », estime Djallil Lounnas.

Conséquence, « les gens pensent que la France est là uniquement pour le GSIM et qu’elle intensifie ses attaques contre ce groupe, et pas contre l’État islamique, car le GSIM a décidé de négocier avec Bamako et que Paris ne veut pas de ces négociations », explique un travailleur humanitaire de la région.

« Les chefs du GSIM sont visés parce qu’ils font beaucoup d’actions contre la France et le Mali. Mais du côté de l’EIGS, à part Adnan Abou Walid Al Sahraoui et Abdul Hakim, je ne vois pas de chefs connus », remarque pour sa part un habitant de N’Tillit, dans le cercle de Gao, qui entretient des liens avec certains des membres des groupes présents dans la région.

L’intensification des actions militaires contre le GSIM intervient dans un contexte particulier : celui de  la remise en liberté, en octobre dernier, de quelque 200 prisonniers incarcérés pour des faits de terrorisme en échange de la libération de l’opposant malien Soumaïla Cissé et de la Française Sophie Pétronin, retenus en otage par le GSIM. Son leader, Iyad Ag Ghaly, qui affirmait en mars dernier être prêt à négocier avec Bamako à condition que la France et l’ONU retirent leurs troupes, en est sorti renforcé.

Mais depuis, les opérations se sont intensifiées. Plus d’une quarantaine de membres du GSIM ont été neutralisés dans des opérations menées par la force française depuis la vague massive de libérations d’octobre.

« Il y a deux lectures à cette intensification des attaques contre le GSIM : la première serait en effet une réponse aux libérations de prisonniers et une volonté de frapper fort pour enrayer le processus de négociation, mais je ne partage pas trop cette idée, parce que Bamako et Paris ont des liens diplomatiques trop forts pour que le Mali puisse se permettre d’aller trop loin sur un sujet pareil sans l’aval de Paris, avance Djallil Lounas. Je pense plutôt que la France frappe fort pour affaiblir le GSIM afin d’être en position de force dans les négociations. »

Une « mauvaise lecture stratégique »

C’est une « mauvaise lecture de la stratégie de ciblage des têtes de l’organigramme de ces groupes », estime le porte-parole de l’état-major français, qui réfute que le GSIM soit soumis à une plus grande pression que l’EIGS. « À partir du moment où des renseignements arrivent, vous n’appliquez pas un pseudo-filtre politique pour savoir s’il faut agir ou non. C’est une frappe d’opportunité », insiste le militaire.

Il en veut d’ailleurs pour preuve que, si les « neutralisations » de Ba Ag Moussa et de Droukdel ont rencontré un large écho, « dans la même période, a également été capturé Mohamed El Mrabat, un cadre important de l’EIGS, un vétéran du jihad sahélien ».

Le militaire français l’assure : « Qu’il s’agisse de Daech ou d’Al-Qaïda, il n’y a pas de changement de paradigme ou de ligne stratégique. On continue l’action et on combat les groupes armés terroristes dès lors qu’ils s’en prennent aux populations civiles et qu’ils ne renoncent pas à leur idéologie. »