“Le Cardinal Lavigerie est devenu pour moi un guide et une source d’inspiration, me stimulant à entrer dans le combat contre la traite humaine”, dit Connie. Lea ajoute : “Depuis les débuts, notre charisme a été la promotion de la femme africaine. En 1888, notre fondateur a lancé une grande campagne européenne de lutte contre l’esclavage. Pour ces deux raisons je vois mon travail en pleine communion avec le charisme de ma Congrégation, puisque je sauve des femmes africaines, de l’esclavage de la traite.”
Des femmes victimes d’un nouvel esclavage
Aujourd’hui, la traite des femmes aux fins d’exploitation sexuelle s’est transformée en une réalité complexe aussi opaque que juteuse. On a dit que la traite des femmes serait au XXIème siècle au troisième rang des problèmes importants, après celui du trafic de la drogue et des armes. Il y a quelques années, le Conseil de l’Europe alertait sur ce problème en disant qu’en Europe, des millions de femmes étaient vendues chaque année, avec l’obligation de travailler durant plus de quinze heures par jour, soumises à toutes sortes d’humiliations, de violences physiques et psychologiques en vue de les rendre plus vulnérables. Vivant sous la menace de représailles sur elles-mêmes ou leurs familles, très peu d’entre elles osent dénoncer leur terrible situation.
Informer, dénoncer et agir
Connie Gemme travaille depuis de nombreuses années au Ghana lorsqu’elle s’engage dans la lutte contre la traite humaine. En 1995, une consœur visite le Ghana, en tant que représentante de la fondation néerlandaise SRTV (Stichting Religieuzen Tegen Vrouwenhandel). Cette fondation est constituée de religieuses et de laïcs luttant contre la traite des femmes. La déléguée cherche quelqu’un qui puisse faire le pont entre la SRTV et le Ghana, pour faciliter la réinsertion des femmes qui voudraient revenir au pays. A Tamale elle trouve Connie, la personne idéale. Connie initie le projet COLWOD : « Collaboration avec les Femmes en Détresse ». Il veut aider des femmes à acquérir des compétences afin de gagner leur vie par le travail sans être obligé de se prostituer. Connie accepte d’être cette personne “pont” et pendant des années, elle s’implique à fond pour informer et pour faire prendre conscience aux victimes potentielles, des dangers de l’émigration faite à cause des fausses promesses d’un bon travail, d’études et même de mariage…Elle utilise tous les moyens à sa portée : elle parle dans des églises, des écoles, à des groupes de femmes en ville ou au village, à la radio, à la télévision et donne des interviews dans les journaux…
Parmi les nombreux cas rapportés par Connie, concernant des filles livrées à la traite, en voici un qui montre comment les mafias fonctionnent : « Huit jeunes entre 15 et 19 ans avaient été envoyées clandestinement du Nigeria au Ghana pour obtenir des passeports ghanéens avec la complicité de fonctionnaires, pour pouvoir être expédiées outre-mer. Elles ne s’étaient pas rendues compte qu’elles partiraient comme prostituées, trafiquantes de drogue ou les deux en même temps ».
En 2004, Connie revient aux USA, et de là, continue d’appuyer le « Foyer de Secours d’aide aux Victimes du Trafic Humain au Ghana ».
Lea Ackermann découvre la réalité terrible du tourisme sexuel au Kenya. À Mombasa, elle s’intéresse à ce que ces femmes vivent et en fait son terrain d’action. Peu à peu elle peut établir une relation de confiance avec quelques prostituées qui lui parlent de leurs problèmes : les maladies, les recettes irrégulières, les frais excessifs, leur santé et celle de leurs enfants, le mépris des gens, la peur de la police.
L’Evêque de Mombasa met à leur disposition une maison pour que les femmes puissent se réunir, réfléchir, et se donner des idées qui leur permettraient de gagner de l’argent et de recevoir une formation adéquate. En 1985 naît l’association SOLWODI : « Solidarité avec les femmes en détresse ». Aujourd’hui, Solwodi Kenya dispose de 10 centres de consultation le long de la plage de Mombasa à Malindi.
En 1988, Lea retourne en Allemagne, mais le travail de SOLWODI continue. Lea se centre sur l’information et la conscientisation. Elle s’intègre dans un projet d’appui aux femmes étrangères victimes de la traite qui désireraient retourner dans leurs pays d’origine, mais n’en ont ni les moyens ni la perspective de travail. Pour cela elles ont besoin d’aide. Le gouvernement fédéral allemand appuie l’initiative de SOLWODI en finançant un an de formation ainsi que des mini projets. SOLWODI fournit aux femmes une aide juridique pour éviter que les victimes dont la plupart sont en situation irrégulière, ne “se convertissent en coupables” et soient immédiatement expulsées. Aujourd’hui SOLWODI est bien présente en Allemagne avec 15 Centres de Consultation et 7 Maisons de Protection. En 2012, il y avait 1 772 femmes et enfants migrants qui se sont adressés à ces centres de SOLWODI en Allemagne. Elles venaient de 108 pays. De l’Afrique, 422 femmes originaires de différents pays.
Le travail de Connie tout comme celui de Lea, trouve son inspiration dans la passion de Lavigerie pour briser les chaînes de l’esclavage. Informer, dénoncer et agir, ce sont les trois armes employées. Comme lui, comme avec chacune et chacun de ses missionnaires, elles peuvent dire : “L’injustice m’indigne ». Opter pour la justice suppose cultiver certaines attitudes ; ouvrir les yeux à la réalité, lire les signes des temps, développer une conscience critique pour chercher les causes et se compromettre concrètement dans la lutte contre celles-ci. L’anniversaire que nous célébrons, est une occasion pour nous impliquer davantage dans la lutte contre les nouveaux esclavages.
Paquite Reche, SMNDA
(Voix d'Afrique juin 2013)