Le Maroc a fait reculer le travail des enfants
Reportage
L’ONU a déclaré 2021 « Année internationale de l’élimination du travail des enfants ». Le Maroc touche au but pour les plus jeunes.
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Une quarantaine de mères sont assises sur les petites chaises de la salle de cours du centre de l’association Amesip. Des enfants, bénéficiaires de l’association, commencent alors à jouer une courte pièce de théâtre. Khaoula est poussée par son oncle à travailler comme « petite bonne ». « Mais je veux aller à l’école ! », proteste-t-elle. Hors de question pour son oncle : elle a été confiée à une famille pour s’occuper des tâches ménagères contre rémunération. Elle est finalement libérée, et il n’est pas trop tard pour elle : grâce à l’école de la deuxième chance de l’Amesip, elle peut reprendre le chemin des études.
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Des applaudissements nourris s’élèvent dans la salle. C’est au tour de Smaïl, un éducateur de l’association, de commenter son travail. Diapos à l’appui, il donne la définition du travail des enfants, en décrit les risques, et rappelle que la loi l’interdit aux moins de 15 ans.
Un débat s’engage avec la salle. « Même à 16 ans, un enfant qui travaille est vulnérable. Comment savoir s’il ne va pas tomber entre de mauvaises mains ? », lance une dame. Une autre acquiesce, mais ajoute : « S’il voit ses parents lutter pour ramener de l’argent, il aura envie de les aider… » Des protestations s’élèvent. « Quand un enfant commence à travailler, on ne sait jamais quand il s’arrêtera. Alors, comment deviendra-t-il ingénieur, ou médecin ? », répond l’éducateur.
« Ici, la précarité est partout »
Ce centre de l’Amesip est situé au cœur du quartier populaire Hay Inbiat, à Salé (ouest du Maroc). Partie prenante du projet MAP’16 de l’Organisation internationale du travail (OIT) de lutte contre le travail des enfants, l’association mène un intense travail de sensibilisation auprès des habitants.
« Ici, la précarité est partout, et le risque est important que les enfants quittent l’école et commencent à travailler. Cela concerne pour moitié des filles, qui sont engagées pour du travail domestique », décrit Abdellah Jalil, responsable du programme à l’Amesip. D’autres enfants sont susceptibles de travailler dans des ateliers de mécanique, de textile, dans les champs, ou encore comme vendeurs, sans compter le travail dans la rue.
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Ceux qui ont quitté l’école ou ne l’ont jamais connue peuvent intégrer l’école de la deuxième chance de l’Amesip, un programme d’éducation non formelle. Soukaina, 16 ans, en fait partie. Elle a commencé à travailler à 6 ans dans la rue avec sa mère. « On vendait des mouchoirs, des chewing-gums, des fleurs. Et je voyais les autres filles partir à l’école… », se souvient-elle. Elle a, un jour, entendu parler de l’école de l’Amesip. « J’ai promis à ma mère que je ramènerais autant d’argent après la sortie des cours que pendant toute une journée, pour qu’elle me laisse m’inscrire », raconte-t-elle. Inscrite depuis trois ans, elle a décidé de devenir militaire, « ce que je n’aurais jamais pu imaginer sans l’association », assure-t-elle.
En quelques années, Abdellah Jalil a vu la situation s’améliorer dans le quartier. « Auparavant, nous retirions des enfants du travail pour les rescolariser, en aidant financièrement leur famille. Aujourd’hui, nous faisons surtout de la prévention, comme avec cette réunion de sensibilisation », décrit-il.
Réduction officielle spectaculaire
Selon les statistiques officielles, le Maroc est parvenu en une vingtaine d’années à réduire le travail des enfants de manière spectaculaire. En 1999, le Haut-Commissariat au plan, un organisme officiel chargé des statistiques, recensait 517 000 enfants de 7 à 14 ans en situation de travail. « Ce nombre a diminué de plus de 90 % », assure Malak Benchekroun, coordinatrice nationale du projet MAP’16 à l’OIT. L’État marocain a investi dans les infrastructures scolaires, y compris dans des zones reculées. En 2018, le taux de scolarisation a atteint 99,5 % en primaire, 89,7 % au collège et 65,8 % au lycée, selon le ministère de l’éducation nationale.
« Un ensemble de mesures a permis ces résultats : sensibilisation, soutien scolaire, éducation non formelle… Le travail sur le terrain a été mené avant tout par les associations, qui ont reçu des fonds de l’État. Un programme étatique d’aide financière aux familles qui maintiennent la scolarisation de leurs enfants a aussi joué un rôle important », décrit Malak Benchekroun.
Le combat est en passe d’être gagné pour les très jeunes enfants, le travail concernant dorénavant les plus âgés d’entre eux.
« Dans les années 2000, on trouvait des filles de 6 ou 8 ans qui travaillaient dans les maisons. Aujourd’hui, cela commence plutôt vers l’âge de 12 ans car, souvent, elles finissent l’école primaire mais n’entrent pas au collège », constate Omar Saadoun, responsable du programme de lutte contre le travail domestique des enfants au sein de l’association Insaf. « Les statistiques officielles ne reflètent pas forcément la réalité, rappelle-t-il. Dans le milieu rural, les conditions économiques des familles sont très difficiles, et le taux de déperdition scolaire reste important. »
La crise du Covid-19 menace les avancées
La crise du Covid-19 menace désormais ces avancées. À une centaine de kilomètres de Salé, dans la province de Sidi Slimane, Mohamed Haydar est directeur d’une école primaire dans une zone rurale. « Depuis que j’ai intégré l’éducation nationale en 2000, j’ai vu la déperdition scolaire largement reculer. Mais le Covid-19 pourrait effacer tous les progrès réalisés », craint-il.
Le Covid-19, amplificateur des inégalités dans le monde
À partir de mars 2020, un enseignement à distance a été mis en place mais beaucoup de parents n’ont pas de matériel adapté. « Dans mon établissement, nous avons tout fait pour ne perdre aucun enfant. Mais, dans la région, de nombreux jeunes ont abandonné l’école », déplore Mohamed Haydar, dont les élèves ont bénéficié des cours de soutien scolaire à distance de l’association Osmm, basée à Kénitra, qui fait aussi partie du projet MAP’16. Pour Malak Bechekroun de l’OIT, « il va falloir adapter notre action au Covid-19 pour éviter tout retour en arrière car après des années d’efforts, le travail des enfants n’est plus accepté au sein de la société marocaine. »
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152 millions d’enfants au travail
152 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans étaient astreints au travail en 2017, dont près de la moitié, soit 73 millions, effectuaient des travaux dangereux.
Un quart des travaux dangereux sont réalisés par des enfants âgés de moins de 12 ans (19 millions).
71 % de ce travail est concentré dans l’agriculture (pêche, sylviculture, élevage de bétail et aquaculture), 17 % dans les services et 12 % dans le secteur industriel, notamment minier.
Plus des deux tiers d’entre eux travaillent dans leur famille.