[Tribune] La démocratie africaine, cette chasse à l’homme
Comme aux Jeux Olympiques, les épreuves de la démocratie africaine se déroulent tous les quatre ou cinq ans. Et on n’est pas labellisé opposant tant qu’on n’a pas été poursuivi par le pouvoir…
En Afrique, la démocratie est un sport de chasse, quelque chose entre la chasse à courre et le tir au pigeon. Et ce n’est pas une figure de style. Pour une fois, on peut me prendre au premier degré. Mes premières expériences sportives de la démocratie datent de 1990, lors de ce qui était considéré comme le « printemps africain ». Partout au sud du Sahara, les vieux partis uniques étaient contestés par une jeunesse qui rêvait d’expression plurielle.
Cris et jets de pierre : il n’y avait pas cent façons de protester. Balles et grenades lacrymogènes : il n’y avait pas cent façons de réprimer la protestation. L’étape d’après étant l’embastillement, les villes africaines se transformaient systématiquement en arène athlétique. Les « crieurs » devenaient coureurs et les « tireurs » devenaient chasseurs. Ce sont ces litres de sueur et de sang – le destin d’une chasse à courre – qui sont à l’origine du multipartisme. De Dakar à Libreville, scénario immuable.
Coup d’avance
Puis, le jeu électoral pluraliste s’est installé tant bien que mal. Mais, la démocratie africaine a gardé sa dimension sportive. Elle s’est même professionnalisée. Maintenant, comme aux Jeux olympiques, les épreuves se déroulent tous les quatre ou cinq ans, au moment des échéances électorales. On n’est pas labellisé opposant tant qu’on n’a pas été poursuivi juridiquement, mais surtout physiquement, par le pouvoir. En Côte d’Ivoire par exemple, on se souvient de Laurent Gbagbo, serviette anti transpiration au cou, en 100 mètres plats dans les rues du Plateau; ou de Alassane Ouattara, en saut en hauteur sur le mur de l’ambassade d’Allemagne à Cocody. Abdoulaye Wade, Alpha Condé, Boni Yayi… Tous ont participé à ces épreuves imposées.
L’arrivée au pouvoir de ces anciens opposants ne change rien aux règles. Bien au contraire, le jeu en devient plus passionnant et transpirant grâce à la grande expérience acquise par les nouveaux tenants du pouvoir lorsqu’ils étaient de l’autre côté de la barrière électorale. C’est ce qui explique que les Talon, Deby, Sall, Museveni, etc. ont toujours un coup d’avance sur les Bio Dramane Tidjani, Yaya Dillo, Ousmane Sonko, ou Bobi Wine. D’Abidjan à N’Djamena, scénario immuable.
Seulement voilà, les pouvoirs, quels qu’ils soient, ne font que jouer avec la montre. L’histoire, avec la grande hache, finit toujours par les étêter. L’histoire, avec le grand H, court toujours dans le sens du progrès et du bonheur des peuples. De Douala à Kampala, scénario immuable.