Le Père Maurice OudetBurkina Faso, Mali

L’or tue, il tue bon nombre de nos enfants

En septembre 2012, s’est tenue à Bobo-Dioulasso la première rencontre commune des commissions JPIC et “Rencontre et Dialogue” de la PAO. Cela nous a donné l’occasion de réfléchir, ensemble, sur ce que nous pouvons faire dans la Province à l’occasion de la célébration du 125e anniversaire de la campagne anti-esclavagiste du Cardinal Lavigerie. À la suite de cette réunion, une lettre a été envoyée à toutes les communautés de la Province, pour inviter les confrères à identifier “quelques esclavages modernes” présents dans leur paroisse ou tout simplement autour d’eux, voire dans leur pays.

Ensuite, nous avons profité des deux forums de la Province qui se sont tenus en janvier 2012, pour mettre en communs nos réflexions. Elles étaient riches et variées. Je ne peux pas les mentionner toutes dans le cadre de cet article. Notons qu’il apparaît que la pauvreté très réelle de nombreuses familles entraîne l’exploitation de très nombreux enfants ou jeunes. Voici les exemples le plus souvent mentionnés : les filles de ménage, appelées souvent “les petites bonnes” ; les apprentis (dans les garages, les salons de coiffure, etc.) qui ne sont pas payés mais restent des années au service de leur “maître” ; les élèves à la recherche d’un logeur en ville pour poursuivre leur scolarité, qui vivent des situations très difficiles, souvent conflictuelles.

Les enfants sur les sites aurifères

Un enfant sur un site d'orpaillageJe voudrais m’attarder sur une particularité de notre Province : plusieurs communautés ont signalé les enfants exploités sur les sites aurifères. Il s’agit des sites où l’on pratique l’orpaillage, c’est-à-dire la recherche et l’exploitation artisanale de l’or.

En décembre 2009, j’ai été choqué de voir un enfant devant une meule à moteur, un caillou à la main : il transformait une pierre en poudre. La poudre tombait dans une simple bassine en aluminium. Mais la meule produisait également un épais nuage de poussières. Et l’enfant respirait, à longueur de journées, la poussière de ce nuage. J’ai alerté les deux hommes “en tenue” qui était là pour assurer la sécurité. Nullement troublés, ils m’ont simplement répondu : “Nous ne sommes pas là pour ça !”

Au Mali, la paroisse de Dyou-Kadiolo, du diocèse de Sikasso, abrite sur son sol un site d’orpaillage dont la population atteint près de 40 000 habitants. La communauté n’a pas attendu l’anniversaire de la campagne anti-esclavagiste du Cardinal pour s’y intéresser. Au forum de Sikasso elle a pu projeter un diaporama pour présenter le travail des orpailleurs et nous faire comprendre quelques-uns des problèmes vécus par cette population. En plus du travail des enfants, ils ont noté la poussière qui pollue les poumons et l’accaparement des terres agricoles par les orpailleurs. La présence de prostituées a également été notée.

Au Burkina, selon le Ministère des mines, il y aurait au moins 600 000 orpailleurs répartis sur 700 sites. Une Une mère et ses enfants, sans protectionétude de l’UNICEF a dénombré 20 000 enfants de 5 à 18 ans sur un échantillon de 90 sites. En supposant que cet échantillon est représentatif des 700 sites, nous pouvons estimer que plus de 150 000 enfants, de 5 à 18 ans travaillent sur les sites aurifères du Burkina. À cela, il faut ajouter les bébés et les enfants de moins de 5 ans qui accompagnent leur maman, et qui sont menacés par la poussière de ces sites.

Impact de l’or sur le système éducatif des villages

L’impact de l’or sur le système éducatif des villages riverains est assez révélateur des dangers encourus.

Entourée par quatre sites d’orpaillage, la circonscription d’éducation de base de Kampti 1 (au sud-ouest du Burkina) en a subi les effets négatifs. De 2010 à 2011, soit en une seule année, 596 élèves (269 filles et 327 garçons) ont abandonné l’école pour rejoindre les sites. Soit un taux d’abandon de 14,19 %. 45,97 % de ces élèves qui ont abandonné l’école sont issus des classes de CE et CM dont l’âge moyen est de 11 ans. Hormis cela, il y a des enfants qui font la navette entre l’école et les sites. Ces élèves exténués par le travail des mines ne sont plus en capacité de suivre les cours. Une véritable catastrophe.

un jeune dans son trou...En mars 2013, je me suis rendu sur un site aurifère du diocèse de Koudougou. J’ai visité le site en compagnie d’un ami peul et de son ami. Ce dernier était “propriétaire” d’un trou. C’est-à-dire qu’il avait passé un contrat avec le propriétaire du champ dans lequel les orpailleurs creusaient les puits dans l’espoir d’y trouver de l’or. Chaque site a ses règles et ses lois. Sur ce site le contrat est le suivant. Celui qui est capable de constituer une équipe, de la nourrir, de la soigner… va trouver le propriétaire du terrain qui lui accorde le droit de creuser un « trou » avec son équipe. Quand l’équipe a atteint la couche susceptible de contenir de l’or, le partage est le suivant. La terre est évacuée dans des sacs dits de “50 kg”. Chaque fois que dix sacs sont extraits du puits, on fait une pause : le premier sac de terre est pour le propriétaire, le second pour le propriétaire du trou. Ensuite 4 sacs iront aux membres de l’équipe qui travaillent dans le puits, et les quatre autres à nouveau pour le propriétaire du trou.

Notre compagnon qui, il y a quelques mois, gagnait à peine 30 F CFA par mois (200 €), gagne aujourd’hui des femmes sur le sitedizaines de sacs de cette terre précieuse dont la valeur, au moment de ma visite, était évaluée à plus d’un million de F. Son cas n’avait rien d’exceptionnel. Ce ne sont donc pas les moyens financiers qui manquent sur un tel site pour assurer la sécurité des orpailleurs, pour équiper ceux qui travaillent dans la poussière de masque protecteur, pour construire un restaurant à l’écart de cette terrible poussière… et même, pourquoi pas, pour construire un lycée pour la jeunesse de Fara. C’est ce que j’ai dit à mes compagnons qui semblaient approuver mes propositions, dont celle-ci : que les propriétaires des trous créent une association pour prendre en main ces questions vitales pour tous. Aujourd’hui, cette association n’existe pas, mais plusieurs propriétaires de puits cotisent un sac sur onze pour construire ensemble un puits à large diamètre plus sécurisé.

D’autres sites fonctionnent comme une bourse des valeurs. J’ai visité un site où le prix d’un sac de terre (de volume identique) se monnayait à 5 000 F, 10 000 F, jusqu’à 25 000 F le sac suivant le puits dont la terre était extraite ! Donc selon la probabilité d’y trouver peu ou beaucoup d’or !

Il est sans doute difficile d’être très efficace sur un site aurifère où les nuisances sont solidement installées depuis plusieurs années. Mais au Burkina, chaque année, de nombreux sites disparaissent (car non rentables) et d’autres apparaissent. Si nous sommes attentifs, nous pouvons plus facilement accompagner la naissance d’un site pour que les premiers occupants prennent en charge les besoins collectifs… Une communauté paroissiale me semble la mieux placée pour cela.

Le temps d’agir est arrivé

La célébration du 125e anniversaire de la campagne anti-esclavagiste nous a aidés à nous intéresser à divers esclavages modernes, et ce n’est pas fini. Après un temps de réflexion, le temps d’agir est arrivé. Mais si nous cherchons les causes de ces esclavages modernes, le plus souvent nous trouverons la pauvreté. Or si nous cherchons les causes profondes de cette pauvreté, notamment en Afrique (et tout spécialement en Afrique de l’Ouest), nous trouverons l’injustice économique et commerciale flagrante à l’échelle du monde. Il y a 10 ans, en septembre 2003, un paysan sud-coréen se suicidait à Cancun, au Mexique, durant la conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce devant un panneau où était écrit : “L’O.M.C. tue les paysans”. La meilleure façon de garder l’esprit de notre fondateur n’est-elle pas de lancer une campagne internationale pour un commerce plus juste*.

Maurice Oudet

* À ce sujet, lire les lettres 472 (Réguler les prix agricoles et alimentaires) et 473 (Les règles de l’OMC ne permettent pas à la CEDEAO de protéger son agriculture) dans www.abcburkina.net.

Aussi, un dossier de 132 pages de Human Rights Watch sur l'orpaillage au Mali : www.hrw.org/fr/reports/2011/12/06/un-melange-toxique.