Fin de Barkhane au Mali : « Le vide laissé par la France sera difficile à combler »

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Mis à jour le 16 juin 2021 à 16h58
Un hélicoptère français engagé dans Barkhane, à Ndakji, au Mali, le 29 juillet 2019.
Un hélicoptère français engagé dans Barkhane, à Ndakji, au Mali, le 29 juillet 2019. © REUTERS/Benoit Tessier

Quelles seront les conséquences du retrait des soldats français de l’opération Barkhane sur la situation sécuritaire au Mali ? Quelles raisons ont poussé Emmanuel Macron à choisir cette nouvelle stratégie dans le Sahel ? Chercheur au Centre FrancoPaix, Marc-André Boisvert livre son analyse.

L’opération Barkhane, dans sa forme actuelle, est appelée à disparaître. Ainsi l’a annoncé le président français le 10 juin 2021, quelques jours après avoir décidé de suspendre les opérations conjointes entre les soldats français et maliens. Emmanuel Macron a assuré que son pays resterait engagé militairement au Mali et dans le Sahel, mais dans le cadre d’une « alliance internationale associant les États de la région ». Un cadre dont les contours précis seront connus d’ici à la fin du mois de juin.

Le chef de l’État semble avoir voulu répondre à une certaine lassitude au sein de l’opinion publique française pour justifier sa décision, même s’il s’est appuyé sur le contexte politique au Mali, critiquant le second coup de force mené, en l’espace de moins d’un an, par le colonel Assimi Goïta et rappelant les craintes de la France de voir les autorités maliennes engager le dialogue avec les jihadistes, à un an de la présidentielle en France.

Quelles seront les conséquences de ce retrait sur le terrain ? et plus largement dans un Sahel où la menace jihadiste ne cesse de s’étendre, malgré les opérations militaires ? Marc-André Boisvert, chercheur au Centre FrancoPaix et auteur, en 2016, de Forces armées maliennes, une lente reconstruction, en décrypte les incidences pour Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Barkhane n’existera bientôt plus dans sa forme actuelle. Si on ne connaît pas encore les contours exacts de l’intervention militaire française dans le futur, il s’agit bien d’un retrait, au moins partiel. Comment les Forces armées maliennes (Fama) vont-elles s’adapter, selon vous ?

Marc-André Boisvert : Les opérations menées par les Fama sont des actions de stabilisation – la sécurisation de villages, de villes, de routes –, ou des interventions offensives précises. Le rôle de Barkhane, notamment dans le cadre des opérations militaires conjointes, était une mission d’appui. Maintenant que Barkhane est finie, les Fama vont, bien sûr, continuer ce type d’opération, mais elles viennent de perdre un allié très puissant. Les Français s’en vont, emmenant avec eux leur soutien aérien.

Pour l’heure, il ne semble pas y avoir de nouvelles orientations stratégiques qui se dessinent côté malien. Il ne faut d’ailleurs, à mon avis, pas s’attendre à une refonte en profondeur de leur méthode.

Quel était le degré d’implication des soldats de Barkhane dans les opérations militaires conjointes avec les Fama­? Le partage de renseignements, élément essentiel, fait-il partie de la « collaboration militaire » désormais suspendue ?

Il semble que ces derniers temps, les FAMas ont une stratégie militaire ad-hoc, même s’il y a eu plusieurs opérations militaires conjointes de grande envergure avec Barkhane. Barkhane offre un soutien important aux opérations. Celles-ci revêtaient plusieurs formes, en plus des actions militaires classiques. Cela pouvait aller de la prise de contact avec des communautés villageoises à la saisie de moyens de locomotion terroristes. Cette collaboration créait surtout une cohésion entre les Fama et les soldats français, par le biais d’échanges permettant une meilleure connaissance du terrain. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les informations allaient dans les deux sens. Les connaissances des soldats maliens étaient très précieuses pour le partage de renseignements, mais aussi pour expliquer la manière d’approcher certaines communautés.

Avec cette suspension, et en attendant l’application concrète de la fin de Barkhane, celle-ci risque d’avoir moins d’opérations planifiées en amont, et davantage d’interventions d’urgence. De plus, cette décision complexifie le travail du G5 Sahel. En effet, les opérations militaires conjointes font partie intégrante des missions du G5 Sahel. La France a amorcé un certain désengagement, depuis le sommet de Pau (Pyrénées-Atlantiques), en janvier 2020, qui s’est confirmé par la décision de mettre fin à Barkhane, dans un futur proche.

Emmanuel Macron a décidé cette suspension en évoquant plusieurs « lignes rouges » : le coup d’État contre Bah N’Daw, puis l’ouverture d’un dialogue avec les jihadistes. À votre avis, laquelle l’a le plus influencé ?

Les négociations avec les jihadistes ne sont, à mon sens, pas le vrai souci. La véritable crainte de la France est l’enlisement de la transition démocratique. Bah N’Daw n’est pas le nœud du problème. Depuis le coup d’État dans le coup d’État, il y a une inquiétude du statu quo politique, côté français.

Un autre obstacle, qui n’est pas assez mis en lumière, est l’impact de ce coup d’État sur l’administration du pays. Le processus de régionalisation, prévu par l’Accord de 2015, est au ralenti. Et cette torpeur est un facteur d’instabilité sécuritaire. Certes, l’idée de retirer la coopération sécuritaire est problématique, mais cette crise ne peut être résolue sous ce seul prisme.

Des militaires français de l’opération Barkhane à Kidal, dans le nord du Mali, en 2018 © Fred Marie/Hans Lucas via AFP

Les autres pays de l’Union européenne ont emboîté le pas à la France, en décidant de suspendre leur coopération militaire. L’impact est-il d’ordre opérationnel ou symbolique ?

La force Takuba (coalition de forces spéciales européennes) n’a été mise en place qu’en juillet 2020. Il n’y a donc, pour le moment, pas de réel impact sur le terrain. Barkhane, quant à elle, dispose d’une très grosse force logistique, notamment concernant le déplacement des troupes et les livraisons des équipements. Un atout dont ne dispose pas Takuba.

L’exigence du théâtre malien, la légèreté des effectifs engagés par les forces spéciales européennes et leur connaissance très partielle du terrain expliquent l’absence d’effet concret de Takuba sur la situation sécuritaire. Cette coalition européenne est une façon pour les français de préparer leur sortie. Mais depuis le coup d’État de 2020, les craintes des pays européens se sont accentuées. Ces derniers sont davantage réticents à envoyer de nouveaux contingents.

Quelles sont les chances de succès des consultations menées avec les partenaires occidentaux ?

Tout reste à voir. La présence française était très importante avec Barkhane, surtout sur le plan logistique. La France est le centre névralgique de la lutte contre le terrorisme dans le pays. Ce vide sera difficile à combler.

Il y a de belles intentions sur le papier, mais qui, concrètement, va remplacer la puissance logistique et militaire française ? Il y aura beaucoup de travail à faire, car Barkhane était au centre de toutes les opérations. Quelles que soient les options choisies, elles ne se réaliseront pas du jour au lendemain. D’autant qu’il y a une absence d’intérêt de la communauté internationale au sujet de la situation sécuritaire du Mali.

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LA CRISE AU MALI DOIT ÊTRE APPRÉHENDÉE DANS UNE LOGIQUE MALO-MALIENNE

À Bamako, plusieurs manifestations ont été organisées pour réclamer une intervention russe. Or, le Mali a signé en 2019 un accord de coopération militaire avec Moscou. Un éventuel retrait de la France peut-il ouvrir la voie à une plus large présence russe ? Peut-on parler d’un nouvel axe Bamako-Moscou sur le plan militaire ?

Les Russes sont présents dans le pays depuis la période soviétique. Beaucoup de militaires maliens ont suivi des formations en Russie. Mais sur le terrain, on ne voit aucune influence réelle de ce pays, en dehors de la désinformation sur les réseaux sociaux.

La crise au Mali doit être appréhendée dans une logique malo-malienne. Il n’y a pas vraiment de luttes d’influence entre puissances étrangères, comme on peut le voir plus nettement en Centrafrique. Si les Maliens sont amenés, dans le futur, à se tourner vers les Russes, ce serait davantage dans une volonté de rechercher des solutions alternatives, plutôt que par véritable tropisme.

Au sein de la population, les opinions varient en fonction des générations. L’ancienne ressent une sorte de nostalgie envers la Russie. Certains l’ont visitée et ont eu des échanges avec le peuple. Et ce, sans pour autant, avoir de sentiments antifrançais. Les plus jeunes ne connaissent rien de la Russie. Ils n’y sont jamais allés, mais d’aucuns la voient comme une alternative crédible.