Climat : certaines mesures contre le réchauffement mettent en danger la biodiversité,
alertent le Giec et l’IPBES
Analyse
Certaines politiques climatiques peuvent nuire aux milieux naturels et aux espèces, alertent le groupe international d’experts sur le climat (Giec)
et son équivalent sur la biodiversité (IPBES). Sont visées les cultures géantes pour les biocarburants, les barrages ou certaines plantations de forêts.
Lecture en 3 min.
Ni la perte de biodiversité, ni le réchauffement climatique ne pourront être inversés s’ils ne sont pas traités en même temps. Tel est le diagnostic, déjà connu des spécialistes des questions environnementales, qui fait désormais l’objet d’un consensus scientifique international au plus haut niveau.
Pour la première fois de leur histoire, le Giec, Groupe international d’experts sur le climat, et l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), son équivalent sur l’évolution de la biodiversité, ont publié un rapport commun, rendu public le 10 juin.
→ A LIRE. La finance s’empare du défi de la biodiversité
« Les deux institutions veulent attirer l’attention sur le fait que le climat et la biodiversité sont les deux plus grands défis environnementaux et sociaux de notre époque et ils doivent être traités en même temps », souligne la Secrétaire exécutive de l’IPBES, Anne Larigauderie.
Scénarios extrêmes
Au-delà de cette conclusion, les auteurs du rapport lancent une alerte concrète : « Certaines mesures destinées à s’adapter ou atténuer le changement climatique ont été identifiées comme portant atteinte à la biodiversité ou à la contribution de la nature pour l’homme ». Autrement dit, les scientifiques s’inquiètent de certaines mesures climatiques susceptibles de se révéler dangereuses pour les écosystèmes.
À l’origine de cette alerte, un rapport publié par le Giec en 2020, qui prévoyait plusieurs scénarios pour rester en deçà d’un réchauffement de + 1,5 °C. Dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre ne seraient quasiment pas réduites d’ici à 2050, certaines trajectoires extrêmes prévoient un déploiement à très grande échelle de cultures pour le développement de bioénergies, comme les biocarburants.
« Nous estimons que cela représenterait une surface équivalente à la taille de l’Inde. Or cela se ferait au détriment de la biodiversité et de la sécurité alimentaire, explique Anne Larigauderie. Des politiques climatiques, qui quelquefois sacrifient des zones protégées, pourraient contribuer à la dégradation du climat à plus long terme ».
Afforestation
Parmi les autres points d’attentions identifiées par le rapport figure l’afforestation à grande échelle. Celle-ci consiste à planter massivement des arbres sur des sols qui n’étaient pas, historiquement, des forêts.
Si elle peut permettre, dans certains cas, d’absorber de larges quantités de carbone, elle peut aussi conduire à une concurrence pour les terres, et à favoriser l’apparition de certaines maladies, d’incendies, ou encore provoquer la destruction d’écosystèmes existants. Ainsi, dans plusieurs pays d’Afrique, de grands programmes de reforestation ont remplacé des milieux de savanes.
→ A LIRE. Journée mondiale de l’environnement : une décennie pour « restaurer les écosystèmes »
Il ne s’agit pas d’un rejet total de certaines pratiques recommandées précédemment. Mais les auteurs du rapport invitent à inclure la biodiversité dans l’analyse « bénéfices-risques » des politiques climatiques. Le rapport mentionne le cas du développement de certaines fermes solaires à grandes échelles qui peuvent entrer concurrence avec les terres, ou celui de grands barrages, qui peuvent conduire à la destruction de certains milieux.
La cause de ces paradoxes dans les politiques environnementales ? Jusque-là, biodiversité et changement climatique ont été traités séparément. Au niveau de l’ONU, les deux questions sont intégrées dans des conventions différentes ; et les négociations portées par des délégations différentes. « On arrive à une situation où certains regardent le monde à travers le prisme du changement climatique. Et d’autres le regardent au prisme de la biodiversité », souligne Anne Larigauderie.
« Inacceptable d’envisager des trajectoires non viables »
A l’automne doit se tenir la Cop15, réunion mondiale sur la biodiversité, à Kunming, en Chine. Puis viendra la Cop26, sur le climat, à Glasgow. La date de publication de ce rapport du Giec et de l’IPBES n’arrive donc pas par hasard.
En amont de ces deux rendez-vous, les auteurs explorent ainsi certaines solutions qui permettent de préserver à la fois les écosystèmes et le climat, en particulier les solutions dites « basées sur la nature ».
« Le rapport pourrait permettre de mettre davantage l’accent sur l’importance des aires protégées dans la Cop15, pointe Anne Larigauderie. Il permettra aussi de mieux informer les discussions sur la déforestation au sein de la Cop26 ».
Une nuance : les solutions reposant sur la nature ne suffiront pas à atténuer les effets du changement climatique. « La meilleure façon de résoudre ce problème reste de réduire les émissions de gaz à effet de serre », souligne AnneLarigauderie.
« La prochaine étape devrait être de croiser les conclusions de ce rapport avec les scénarios actuels du Giec, commente Alexandra deprez, chercheuse en gouvernance climat internationale à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). On ne peut accepter que certaines trajectoires soient envisagées, alors qu’elles ne sont pas viables pour la biodiversité ».