Restitution de biens culturels africains : “Le musée est d’emblée jugé coupable”
Publié le 12/07/21
La Belgique va restituer entre 1 500 et 35 000 objets culturels à la République du Congo. Une décision qui, comme en France, soulève des questions notamment méthodologiques. Julien Volper, conservateur au département d’art africain à l’AfricaMuseum à Tervuren, exprime ses doutes.
Six mois après la première loi d’exception française autorisant la restitution de pièces du musée du Quai Branly au Bénin, le gouvernement belge fait de même avec un projet de grande ampleur. Le 6 juillet, il annonçait la restitution de biens culturels africains à la République du Congo, autrefois colonie belge. Réaction pour le moins mitigée et à rebours du discours ambiant de Julien Volper, conservateur au département d’art africain de l’AfricaMuseum, ex-musée royal d’Afrique centrale, à Tervuren.
En tant que conservateur de la plus grande collection d’art d’Afrique centrale au monde, comment réagissez-vous à la décision du gouvernement belge ?
C’est une annonce surprenante, la décision s’est prise rapidement, sans que le gouvernement ne prenne le temps d’étudier à fond le dossier, tous les arguments n’ont pas été entendus. On prévoit de restituer de 1 500 à 35 000 pièces. « Il faut être proactif », nous dit-on. Cette idéologie décolonialiste comporte des risques. Le ministre, par exemple, ne parle pas de statut de légalité des œuvres, mais de « légitimité » des œuvres, c’est-à-dire qu’il n’est question que de morale, et non de droit. Ils comptent faire passer les œuvres du domaine public, donc inaliénables, au domaine privé de l’État, comme un bâtiment, par exemple, que l’on peut céder. On est face à une alliance de la démagogie, côté moral, et de libéralisme.
Quels sont les critères pour la restitution des œuvres ?
Larges. On parle de prises de guerre, de pièces non obtenues à leur juste prix, ou prises sous pression, etc. Pour résumer, tout objet acheté est suspect. C’est l’inversion de la charge, le musée est d’emblée jugé coupable et doit prouver son innocence. On nous demande de faire des recherches de provenance pour prouver le contexte d’achat de l’œuvre. C’est impossible pour beaucoup de musées, et pas seulement dans le cas d’œuvres africaines, prenez par exemple un musée d’art et traditions populaires : y a-t-il des preuves, des factures ? Tout cela jette un doute sur l'institution et nous est imposé comme si c’était une obligation juridique alors que cela ne rentre dans aucun cadre juridique justement.
Comment cela va-t-il se passer ? La RDC a-t-elle fait une liste de pièces demandées ?
On va probablement donner la propriété de ces œuvres à la RDC, mais elle les laissera en dépôt ici, en Belgique, à la charge de la Belgique. Pourquoi n’y aurait-il pas plutôt des coopérations entre pays, des contrats communs, pour la formation des conservateurs par exemple, comme cela s’est déjà fait ? Les pièces africaines n’intéressent pas tout le monde. Interrogé sur cette question il y a un an, le président congolais a répondu que la RDC avait beaucoup de problèmes et qu’ils avaient d’autres priorités. Ils n’ont pas établi de liste de pièces à restituer, le gouvernement belge compte leur demander ce qui les intéresse. Tout cela se fait sur le dos des collections nationales, avec une absence totale de défense de la part de l’institution muséale.