Mali : l’insoutenable légèreté de l’aide

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Par  Estelle Maussion

Journaliste à Jeune Afrique

Durant le #OnePlanetSummit, le 11 janvier 2021, la Banque mondiale a annoncé un engagement de 5 milliards de dollars pour améliorer les moyens de subsistance et restaurer la dégradation dans les régions du Sahel.
Durant le #OnePlanetSummit, le 11 janvier 2021, la Banque mondiale a annoncé un engagement de 5 milliards de dollars
pour améliorer les moyens de subsistance et restaurer la dégradation dans les régions du Sahel.
© David Malpass/@DavidMalpassWBG/Twitter>



[Chronique] Soutenu à bout de bras par les bailleurs de fonds, le Mali semble pourtant un cas d’école de l’échec de l’aide internationale. À quand la fin de l’hypocrisie ?

« Le fort engagement des autorités en faveur des réformes et leur mise en œuvre résolue seront la clé du succès, et pourraient également contribuer à débloquer le soutien supplémentaire des bailleurs de fonds. » Sans les sous-titres, impossible de savoir si les équipes du Fonds monétaire international (FMI) croient réellement à cette « analyse » de la situation du Mali lorsqu’elles l’utilisent pour justifier le décaissement de 57 millions de dollars d’aide en mars dernier.

Cela intervient sept mois après le coup d’État contre Ibrahim Boubacar Keïta et moins de sept semaines avant « l’auto-putsch » de la junte contre Bah N’Daw.

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AVEC LE MALI, LES BAILLEURS DE FONDS NE SAVENT PAS SUR QUEL PIED DANSER.

D’une certaine façon – et là est le cœur du problème –, qu’ils aient cru ou non aux « réformes », que pouvaient bien écrire d’autre les représentants du FMI ? Avec le Mali, les bailleurs de fonds ne savent pas sur quel pied danser. Une réalité que les autorités au pouvoir à Bamako – en civil ou en armes – connaissent depuis bien longtemps et qui n’en finit pas d’exaspérer les spécialistes de l’aide au développement.

Officieusement, ils sont plusieurs à plaider pour des réponses plus musclées. « Ce rapport du FMI est un scandale. Le ton des équipes durant la revue était beaucoup plus critique sur l’évaluation fiscale et la question de l’évaporation de l’aide », explique un membre d’une institution de développement européenne à Bamako. Fort bien. Mais pourquoi ne pas porter ces critiques sur la place publique ? Ce n’est pas comme si les insuffisances de la gouvernance au Mali étaient un secret.

Christine Lagarde, alors directrice générale du Fonds monétaire international, en visite dans une école primaire
le 10 janvier 2014 à Bamako, au Mali. © IMF Photograph/Flickr/Licence CC

 

Résultats pas au rendez-vous

Depuis la crise de 2012, la communauté internationale ne cesse de répondre présent. Après un pic à 2,2 milliards de dollars en 2013, l’aide multilatérale se maintient depuis à environ 1 milliard de dollars chaque année. À titre de comparaison, le budget 2020 du Mali était d’environ 4,2 milliards de dollars.

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QUI PAIE, COMMANDE… SAUF À BAMAKO, SEMBLE-T-IL.

Sur la majorité des indicateurs socio-économiques, de l’amélioration des services de base à la lutte contre la corruption en passant par le redressement des sociétés publiques, les résultats ne sont pas au rendez-vous. « Les autorités redoublent d’efforts pour améliorer la gouvernance, la transparence et l’environnement des affaires », assure pourtant le rapport du FMI.

Mais les faits sont têtus : moins de un sixième des fonctionnaires censés effectuer une déclaration de patrimoine l’avaient fait à la fin de 2020, selon l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite. Cette insouciance manifeste vis-à-vis de ceux qui en théorie tiennent les cordons de la bourse montrent bien qu’ils ne tiennent pas grand-chose. Qui paie, commande… sauf à Bamako, semble-t-il.

Impuissance « voulue »

Ne pouvant suspendre leur mobilisation sous peine d’asphyxier le pays ni avoir la garantie de la bonne utilisation de leurs fonds, les bailleurs sont en outre sommés par les exécutifs depuis les capitales occidentales de poursuivre les décaissements au nom de la lutte contre le terrorisme… Quitte à fermer les yeux, voire à se boucher le nez.

Cette impuissance quasi « voulue » arrive peut-être à ses limites. La Banque mondiale a annoncé au début de juin « une pause temporaire » – « et non une suspension », a-t-elle insisté – de ses décaissements, la deuxième après celle intervenue en août 2020 : dans les deux cas en application des politiques de la banque face aux « gouvernements de facto ».

Surtout, la Commission européenne avait bloqué, en mai, 38 millions d’euros d’appui budgétaire prévus au titre de l’année 2020 pour non atteinte des objectifs conjointement fixés. Une autre incarnation de la non-regrettée « aide liée » ? Peut-être, mais les autres méthodes n’ont pas l’air de mieux fonctionner. Après tout, on ne peut se voiler la face qu’un certain temps seulement avant de « se prendre un mur », comme dit l’expression populaire.