Afrique subsaharienne : existe-t-il un marché pour les « constructions durables » ?
Résistance aux changements climatiques, optimisation énergétique, amélioration des conditions de vie… Le secteur de la construction multiplie les projets « durables » sur le continent africain, mais leur coût élevé demeure un obstacle. Tour d’horizon.
Les chiffres du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publié le 9 août sont inquiétants : le réchauffement climatique pourrait atteindre le seuil de +1,5 °C autour de 2030. Plus encore, en 2100, le niveau de la mer aura augmenté de 69 cm à Dakar et de 79 cm à Takoradi (Ghana).
Face à ces défis climatiques – en particulier les inondations et la sécheresse –, le secteur de la construction en Afrique doit s’adapter. Construire durablement signifie prendre en compte trois dimensions essentielles : « Une dimension humaine, puisque le bâtiment doit garantir le confort des utilisateurs ; une dimension environnementale, qui privilégie l’usage de matériaux naturels et renouvelables. Enfin, une dimension énergétique, c’est-à-dire la réduction de la consommation d’énergie », détaille à Jeune Afrique Missira Keita, directrice qualité et développement durable d’Eiffage Sénégal.
POUR LUTTER CONTRE LA CHALEUR, IL FAUT PRIVILÉGIER LA VÉGÉTALISATION
Concrètement, pour construire durablement, plusieurs procédés peuvent être utilisés : des briques à base d’argile plutôt que des parpaings, de la paille pour mieux isoler les constructions – et lutter contre l’entrée de chaleur – ou encore la mise en place de végétalisation « Je crois beaucoup aux toitures végétales. Cela amène une fraîcheur sans aucun coût supplémentaire à l’utilisation », conseille Frédéric Flacassier, directeur Tchad et Centrafrique de Razel Bec. « Pour cela, il faut construire en béton armé, ce qui est plus cher et plus complexe. Cette solution nécessite d’entretenir la végétation avec un système de goutte-à-goutte mais c’est formidable », explique-t-il.
Le cas du Sénégal
Pour Eiffage Sénégal, « le sujet est plus qu’actuel ». « Quand on répond à la demande d’un client, nous leur proposons différentes solutions dont certaines plus durables », explique Franck Monpate, directeur général délégué d’Eiffage Sénégal.
Plus concrètement, à Dakar, la filiale du groupe français propose désormais le « recyclage » des routes existantes sans recourir à de nouveaux matériaux issus de carrières « Nous sommes les premiers à le faire au Sénégal », se félicite le DG délégué d’Eiffage Sénégal. Autres projets : la pose de panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments ou encore un système de récupération de l’eau des climatisations.
EN MATIÈRE D’ISOLATION, DE GESTION DES EAUX PLUVIALES, IL Y A ENCORE BEAUCOUP DE CHEMIN À FAIRE
Pour rappel, en 2017, la ville de Dakar s’est dotée d’un Plan climat énergie territorial, conformément aux engagements pris par le Sénégal lors des accords de Paris en 2015. L’objectif étant de réduire de 25 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2025 et de 55 % d’ici à 2050. Aussi, dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), l’État organise des consultations public-privé afin de réfléchir aux villes durables.
Absence de normes environnementales
Pour autant, la transition vers des constructions plus durables se fera sur le long terme. « En Afrique, on est encore très loin des normes environnementales RT 2000 [norme française dont l’objectif est de réduire les consommations d’énergie de 20 % dans les logements]. On se rapproche plus des méthodes constructives des années 1950. On n’isole même pas. Certes, on utilise de jolis matériaux, on ne fait pas du vieux, mais en matière d’isolation, de gestion des eaux pluviales, des eaux usées, il y a encore beaucoup de chemin à faire », observe Frédéric Flacassier, de Razel Bec.
TRÈS SOUVENT, LES MAÎTRES D’OUVRAGES VONT AU PLUS SIMPLE
De fait, pour que les choses avancent « il faudrait progressivement mettre en place des normes. Par exemple, imposer un tiers de la toiture en panneaux solaires ou des chauffe-eaux solaires partout », avance l’ingénieur français.
Pour Eiffage Sénégal, l’évolution de la situation passe également par la formation des différents acteurs de la filiale. « Nous travaillons activement aujourd’hui pour que nos clients prennent en compte les normes environnementales dans leurs appels d’offres », souligne Missira Keita.
Manque de ressources
En réalité, la mise en place d’infrastructures durables coûte cher. « Tout problème est avant tout économique. Prévoir des bâtiments avec une couverture végétale ou avec des pare-soleil ou des panneaux solaires, c’est coûteux. Très souvent, les maîtres d’ouvrages vont au plus simple car ils veulent gagner un maximum au mètre carré avec un budget restreint », souligne Frédéric Flacassier.
MÊME POUR LES MINISTÈRES OU DES BÂTIMENTS DE PRESTIGE, IL N’Y A PLUS DE MARCHÉ
Aussi, les clients sont favorables aux constructions durables dans la mesure où cela n’engendre pas de coûts supplémentaires « Si demain nous avons une offre qui est 20 % plus chère avec des normes environnementales, elle ne passera pas », regrette le directeur général délégué d’Eiffage Sénégal. Par exemple, les revêtements de couleurs plus claires font baisser la température du sol. Mais, « comme ils coûtent plus cher que le bitume noir, les clients n’y ont pas recours », déplore le directeur général délégué Eiffage Sénégal.
« Même pour les ministères ou des bâtiments de prestige, il n’y a plus de marché », remarque Frédéric Flacassier, de Razel Bec. Dans les années 2010, il y avait les moyens mais pas de volonté. Aujourd’hui, « il y a la volonté mais pas les moyens ».
Face à une croissance démographique qui ne fléchit pas – la population en Afrique subsaharienne devrait doubler d’ici à 2050 – et des besoins massifs en logements, la construction durable ne figure pas en haut de l’agenda public. Pour combien de temps encore ?