Campagnes françaises et immigration: un peu plus de 4 % des habitants ont des origines de plus en plus variées|The Conversation
Que représente aujourd’hui l’immigration dans les campagnes françaises ? Comment se répartit-elle sur le territoire national et quelles sont ses caractéristiques ? Exploitant les recensements de population, nous examinons ici comment la population immigrée a évolué dans les campagnes françaises depuis les années 1970, à la fois en nombre, en part de la population, et dans ses origines.
Julie Fromentin, Institut National d’Études Démographiques (INED) and Pierre Pistre, Université de Paris
En France métropolitaine, les habitants immigrés ou étrangers représentent une faible part (respectivement 4,3 % et 2,5 %) mais constante de la population des campagnes depuis les années 1970. S’ils résident principalement dans les régions frontalières, dans l’ouest de la France ou à proximité des grandes et moyennes agglomérations, leur répartition spatiale est de plus en plus homogène et concerne l’ensemble des campagnes.
Les immigrés d’Europe du Sud, d’Europe de l’ouest et du nord, et du Maghreb, sont les plus nombreux ; ils se différencient notamment par la taille des ménages dans lesquels ils vivent, plus petits pour les Européens. Mais d’autres groupes ont vu leurs effectifs augmenter et participent à la lente croissance des effectifs des immigrés et des étrangers, et à une diversification de leurs origines géographiques depuis au moins les années 1990.
La population des campagnes françaises évolue principalement sous l’effet des mobilités résidentielles]. Depuis les années 1970-1980, les arrivées compensent majoritairement les départs – ainsi que le déficit naturel lié à ce que les décès restent un peu plus nombreux que les naissances. Elles contribuent à l’évolution de la composition sociale et des origines géographiques. Les arrivées concernent principalement des Français de naissance mais aussi des immigrés ; par exemple des retraités venus de pays du nord de l’Europe attirés par les conditions de vie agréables et le faible coût de l’immobilier, des actifs en particulier européens venus travailler dans l’agriculture ou dans le bâtiment, plus récemment des exilés du Proche et du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique.
Un poids actuel comparable à celui des années 1970
Les campagnes françaises comptaient environ 714000 immigrés (personnes nées étrangères à l’étranger) en 2015, soit 4,3 % de leur population. Cette proportion est moindre que celle pour l’ensemble de la population de la France (9,3 %) et que celle dans les autres espaces à dominante urbaine (11,1 %). Autre constat, la population immigrée des campagnes a connu une double tendance depuis les années 1960 (figure 1).
Dans une majorité de territoires, elle est aujourd’hui à peu près équivalente en volume et en proportion à celle du milieu des années 1970, période principale de l’immigration de travail dans l’industrie, y compris rurale, et dans l’agriculture.
Dans les autres territoires, peu concernés par cette immigration de la fin des Trente Glorieuses, une progression mesurée est enregistrée seulement à partir des années 1990. Cette deuxième tendance a pour conséquence que la population immigrée des campagnes françaises est répartie de manière plus homogène aujourd’hui que dans les années 1970.
C’est également le cas pour les personnes de nationalité étrangère. Elles représentaient 487000 habitants des campagnes en 2015 – soit 2,5 % de leur population (contre 7,8 % dans les autres espaces à dominante urbaine) –, et leur distribution dans les intercommunalités (EPCI, établissements publics de coopération intercommunale) apparaît également plus homogène que dans les années 1970 (figure 1).
Une inégale répartition dans les campagnes françaises
Aujourd’hui la proportion d’immigrés dans les campagnes est plus élevée dans certaines régions (figure 2), d’abord dans celles proches des frontières belge, allemande, suisse, et dans une moindre mesure italienne et espagnole, en raison surtout des mobilités domicile-travail facilitées entre pays membres de l’Espace Schengen.
Elle est également plus élevée dans les campagnes proches des grandes agglomérations – notamment Paris, Lyon ou Toulouse – et participe ainsi à la poursuite des dynamiques de périurbanisation. Un troisième espace d’implantation correspond aux arrière-pays du sud et de l’ouest du territoire national, à la façade méditerranéenne et au Sud-Ouest, où se trouvent surtout des immigrés originaires de pays de la péninsule ibérique, et aussi du nord et de l’ouest de l’Europe.
En outre, ces logiques de répartition spatiale se doublent de différences selon la nationalité des immigrés (figure 3).
Dans les campagnes à proximité des grandes et moyennes agglomérations, surtout dans la moitié nord du pays, les immigrés qui ont acquis la nationalité française sont surreprésentés par rapport à la moyenne nationale (40 % des immigrés) ; il s’agit souvent d’immigrés ayant effectué des migrations internes en France où ils résident depuis longtemps. À l’inverse, les immigrés de nationalité étrangère sont surreprésentés dans les zones frontalières du Nord et de l’Est, en Corse, au cœur de la Bretagne et dans le centre-ouest. Ces régions sont souvent des terres d’immigration plus récente, de retraités ou de travailleurs européens principalement.
Des populations aux origines géographiques variées
Les pays de naissance des immigrés sont très variés (tableau). Les Européens du Sud représentent plus de 30 % des immigrés dans les campagnes françaises – contre 18 % dans les espaces à dominante urbaine. Connaissant une baisse régulière de leurs effectifs depuis les années 1970, ils vivent le plus souvent aujourd’hui dans de petits ménages d’une ou deux personnes (respectivement 15 % et 44 % des individus immigrés), une proportion équivalente à celle du reste du territoire national (57 %). Ils sont par ailleurs surreprésentés dans le sud du pays où se sont installés de nombreux Espagnols, Portugais et Italiens dès le début du XXᵉ siècle, pour des motifs aussi bien politiques qu’économiques.
Environ un quart des immigrés sont originaires d’Europe du Nord et de l’Ouest, et ils partagent avec ceux du Sud le fait de vivre majoritairement dans de petits ménages (64 %). Les Britanniques représentent à eux seuls 11 % des immigrés des campagnes et sont surtout installés dans la France de l’Ouest ; leurs effectifs ont fortement augmenté dans les années 1990 et 2000, puis se sont tassés après la crise économique de 2007-2008. Les immigrés originaires du Benelux sont également bien représentés (8 % des immigrés) et en progression depuis les années 1970. https://www.youtube.com/embed/X_6eWAhplCM?wmode=transparent&start=0 Des Anglais installés en Vendée sont interviewés dans le contexte du Brexit (YouTube, 2020).
Même s’ils sont proportionnellement deux fois moins nombreux que dans les espaces à dominante urbaine (16 % contre 32 %), les immigrés originaires du Maghreb constituent aussi une part importante. Environ deux tiers d’entre eux vivent dans des ménages de trois personnes ou plus. Ils sont localisés en premier lieu à proximité des grandes et moyennes agglomérations, et leurs effectifs dans les campagnes progressent de manière régulière depuis les années 1970.
Enfin, plus du quart des immigrés des campagnes (27 %) sont originaires d’autres pays. Les Européens de l’Est représentent notamment 6 % des immigrés et sont en croissance depuis la décennie 2000, dans le contexte de migrations de travail (bâtiment, agriculture…) facilitées par l’élargissement de l’Union européenne. Les personnes originaires du Proche et du Moyen-Orient comptent pour 5 % des immigrés, et leurs effectifs progressent depuis les années 1970. Nés dans d’autres pays d’Afrique, en Amérique ou encore en Asie, les immigrés restants sont moins nombreux mais contribuent à la diversification des origines nationales dans les campagnes depuis au moins les années 1990 (figure 4).
Des origines qui ne cessent de se diversifier
La croissance des populations immigrées et étrangères récemment dans les EPCI des campagnes (figure 1 et tableau) s’est accompagnée d’une augmentation du nombre d’origines nationales différentes (figure 4). Par exemple, le nombre médian de pays de naissance différents par EPCI est passé de 42 à 62 entre les recensements de 1999 et 2015 ; la tendance est la même pour les nationalités (de 26 à 41) et concerne aussi bien les territoires d’immigration ancienne que récente. Seul un EPCI sur dix des campagnes (inférieur ou égal au 1er décile – D1) compte désormais moins de 40 pays de naissance et moins de 25 nationalités.
Ces chiffres restent logiquement inférieurs à ceux enregistrés dans les espaces à dominante urbaine (médiane par EPCI : 100 pays de naissance et 77 nationalités en 2015), du fait d’un nombre d’immigrés et d’étrangers bien plus important. Mais les écarts ont tendance à se réduire et le nombre d’origines nationales plafonne aujourd’hui à environ 140 pays de naissance et 120 nationalités dans les EPCI urbains les plus internationalisés (supérieur ou égal au 9e décile – D9). Les campagnes françaises n’échappent pas à la mondialisation dans ses dimensions démographiques et migratoires.
Cet article s’appuie sur les résultats du projet de recherche CAMIGRI et est adapté d’un article publié par les auteurs dans « L’immigration dans les campagnes françaises. Des effectifs limités mais des origines qui ne cessent de se diversifier », Population et Sociétés n° 591.
Julie Fromentin, Docteure en géographie, Institut National d’Études Démographiques (INED) and Pierre Pistre, Maître de conférences en géographie, Université de Paris
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