Rwanda-Niger : casse-tête diplomatique autour du génocide
Alors que le Niger s’apprêtait à expulser huit dignitaires de l’ancien régime génocidaire rwandais, il a dû leur accorder un sursis d’un mois.
Parviendront-ils à trouver un accord pérenne ? Depuis le début de décembre 2021, le Niger, le Rwanda et le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) sont engagés dans une partie d’échecs dont l’issue reste aussi incertaine que sensible.
Imbroglio
Comme Jeune Afrique le révélait le 29 décembre, huit ressortissants rwandais jugés par le TPIR pour leur implication, en 1994, dans le génocide contre les Tutsi, se retrouvent en effet au cœur d’un imbroglio entre ces deux États africains et l’institution judiciaire onusienne.
Les uns ont purgé leur peine ; les autres ont été acquittés en appel par la justice internationale. Mais, depuis l’issue des procédures judiciaires engagées contre eux, ils n’avaient pu dénicher un pays d’accueil qui leur convienne.
En novembre, le Mécanisme a cru aboutir à une solution consensuelle en concluant avec Niamey un accord permettant l’accueil sur le territoire nigérien de ces neuf anciens dignitaires du gouvernement ou de l’armée ayant perpétré le génocide. L’un d’eux, Jérôme Bicamumpaka, avait toutefois décliné la proposition en raison de problèmes de santé qui l’ont conduit à aller recevoir des soins au Kenya.
Le Canadien John Philpot, qui a plaidé plusieurs dossiers devant le TPIR, est l’avocat de Portais Zigiranyirazo. « En novembre 2021, le Mécanisme a signé un accord avec la République du Niger concernant ces neuf personnes, dont mon client, indique-t-il à JA. Cet accord prévoyait que celles-ci obtiendraient un droit de résidence au Niger et qu’en aucun cas elles ne seraient extradées vers le Rwanda. Je précise que, depuis son acquittement définitif en 2009, Protais Zigiranyirazo s’est retrouvé dans l’impossibilité de se rendre en Europe. »
Patate chaude
Mais, quelques semaines plus tard, le Rwanda fait connaître son mécontentement par la voix de son ambassadrice à l’ONU, Valentine Rugwabiza : son pays, assure-t-elle, n’a en effet pas été consulté avant la signature de cet accord.
LA JUSTICE INTERNATIONALE A CRU AVOIR TROUVÉ UN COMPROMIS ACCEPTABLE EN SCELLANT UN ACCORD AVEC LE NIGER
Dès lors, le sort des exilés rwandais devient une patate chaude qui embarrasse à la fois le régime nigérien et le Mécanisme. Comment concilier le statut de ces réfugiés, qui ne sont plus soumis – du moins sur le papier – à la moindre restriction concernant leurs déplacements, la désapprobation diplomatique de Kigali et les réticences des pays occidentaux, où résident leurs familles, à les accueillir ?
Faute de mieux, la justice internationale pensait avoir trouvé un compromis acceptable en scellant un accord avec la République du Niger : un pays suffisamment éloigné du Rwanda et où l’opposition rwandaise en exil – très virulente en Belgique, au Canada, en France ou aux États-Unis – n’est pas particulièrement implantée.
Niamey fait marche arrière
Mais Kigali rue dans les brancards. Et le Niger, soucieux de ne pas se brouiller avec le « pays des mille collines », fait subitement machine arrière. Le 27 décembre, un arrêté du ministre nigérien de l’Intérieur et de la Décentralisation, Hamadou Adamou Souley, prononce l’expulsion sous trente jours des Rwandais, devenus personæ non gratæ.
Une décision prise à la va-vite… et dont la mise en œuvre ne va pas de soi. Saisi par six des personnes visées, le Mécanisme a donc dû donc statuer dans l’urgence, le 31 décembre. Dans sa décision, le juge Joseph E. Chiondo Masanche considère que l’arrêté d’expulsion viole les termes de l’accord conclu avec le Niger et ordonne à ce dernier de surseoir à cette décision pendant une durée de trente jours, le temps qu’une issue consensuelle soit trouvée.
Le 3 janvier 2022, Horejah Bala-Gaye, l’assistante spéciale du Gambien Abubacarr M. Tambadou, le greffier du Mécanisme, confirme aux avocats concernés que le gouvernement du Niger a accepté in extremis de se plier à cette injonction, à la veille de l’expulsion initialement programmée.
LES EXTRADER VERS LE RWANDA REVIENDRAIT, À COUP SÛR, À PROVOQUER UNE BRUYANTE POLÉMIQUE
Dans ce courriel, que JA a pu consulter, celle-ci indique en effet : « Au nom du greffier, M. Tambadou, je vous informe que la République du Niger a accepté de surseoir à la décision d’expulsion visant vos clients pendant une durée de trente jours. Par conséquent, les huit personnes qui avaient été accueillies au Niger pourront continuer d’y séjourner pendant ce délai tandis que le Mécanisme et les Nations unies chercheront une solution. »
Reste à savoir ce qu’il adviendra à cette échéance. Car, pour expulser les intéressés, encore faudra-t-il leur trouver un pays d’accueil. Or aujourd’hui, un seul s’est dit prêt : le Rwanda du président Paul Kagame, honni par ces personnalités importantes de l’ancien régime rwandais. Les y extrader reviendrait, à coup sûr, à provoquer une bruyante polémique.
Motif diplomatique
S’agissant de la volte-face nigérienne ayant abouti à cette situation embrouillée, l’avocat John Philpot rappelle que celle-ci « se résume à un motif diplomatique qui n’était pas précisé explicitement ».
Affirmant se fonder sur des articles de presse, Me Philpot veut y voir un « deal » entre le Niger, le Rwanda et la France, dans un contexte sécuritaire troublé au Sahel, sans toutefois être en mesure d’étayer son interprétation : « Le président Paul Kagame aurait accepté, à la demande de son homologue Emmanuel Macron, de participer à la sécurisation du Niger, affirme-t-il. Il aurait toutefois posé une condition : l’expulsion de nos clients. »
Sollicitées par JA, les autorités nigériennes et rwandaises n’ont quant à elles pas réagi à ce récent rebondissement. Désormais, le Mécanisme a jusqu’au 31 janvier pour trouver une issue à ce dossier complexe, où considérations judiciaires et diplomatiques s’entrechoquent.