Mali : la relance économique plus que jamais dans les limbes

Mis à jour le 10 janvier 2022 à 12:38
 

 

Un ouvrier contrôle la qualité de la fibre de coton à l’usine de la Compagnie malienne des textiles (Comatex), à Ségou. © Michele Cattani/AFP

 

Le deuxième coup d’État du mois de mai et, surtout, l’annonce du report des élections – laquelle a entraîné la suspension de l’aide internationale – ont bloqué le rebond annoncé. Une situation que risque d’aggraver le blocus économique décidé par la Cedeao le 9 janvier.

Vu du centre de développement de l’OCDE, « le Mali va vraiment dans le bon sens en répondant à l’urgence sanitaire tout en essayant d’investir, si l’on en croit la loi de finances 2022, explique l’économiste Bakary Traoré. Mais le pays a toujours grand besoin de réformes et de l’aide internationale ».

« Un rebond post-Covid est en cours, précise-t-il. Dès l’an prochain, la croissance est prévue pour repasser au-dessus des 5 %, tirée par une demande intérieure que nourrit le programme de relance du gouvernement. Le retour à la normale des superficies plantées avec du coton, tout comme la hausse ininterrompue de la production d’or, passée de 66,9 tonnes en 2019 à 71,2 tonnes en 2020, sont autant de bouffées d’oxygène. » Le renfort soutenu de l’aide de la diaspora et la suspension de la charge de la dette sont venus conforter la reprise. L’inflation est annoncée officiellement comme modérée.

Le déficit budgétaire, la balance courante et la dette publique auxquels est confronté l’exécutif piloté par Assimi Goïta se sont aggravés sous l’effet de la pandémie, mais ils restent maîtrisés.

ENVIRON 12 % DES ENTREPRISES ONT MIS LA CLÉ SOUS LA PORTE EN 2020

Bonne nouvelle, « le gouvernement de transition cherche à modifier la structure de ses dépenses et à mettre l’accent sur l’investissement, selon Bakary Traoré. Il veut améliorer la sécurité, faire face à la nécessité des réforme institutionnelles et politiques, promouvoir la bonne gouvernance et justifier l’usage des fonds publics ».

Urgence alimentaire permanente

Malheureusement, 12 % des entreprises ont mis la clé sous la porte en 2020. Les recettes fiscales sont insuffisantes, car la masse salariale de la fonction publique équivaut à près de la moitié de ces recettes. Quelque 1,3 million de personnes sont en urgence alimentaire permanente, et 4 millions se trouvent dans la même situation par intermittence : pas étonnant que l’agitation sociale soit quasi permanente.

 

Le colonel Assimi Goïta au ministère malien de la Défense, en août 2020.


Le colonel Assimi Goïta au ministère malien de la Défense, en août 2020. © Emmanuel Daou-Bakary pour Jeune Afrique

 

L’élan initial semble bel et bien bloqué depuis le deuxième coup d’État du mois de mai et, surtout, depuis l’annonce du report des élections promises par l’autorité de transition, le 27 février 2022. La communauté internationale n’a pas accepté ce revirement et a emboîté le pas à la Cedeao, décrétéant des sanctions contre les responsables maliens.

LE SECTEUR INFORMEL, L’IMMOBILIER, L’OR ET LE COTON RÉSISTENT, MAIS PAS LE SECTEUR BANCAIRE

Début janvier, après l’annonce par l’exécutif malien d’un calendrier de transition de cinq ans, la communauté ouest-africaine est allée plus loin et a instauré plusieurs sanctions contre Bamako, notamment une restriction des flux commerciaux, le blocage de l’essentiel des transactions financières et la restriction de l’accès aux ressources financières publiques placées dans les comptes de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO)

L’aide internationale (FMI, Banque mondiale, BAD, Union européenne, France), sans laquelle le Mali ne peut pas vivre, a été suspendue le 4 juin.

L’insécurité gagne du terrain

Le président Biden a retiré le Mali du programme de préférence commerciale de la Loi sur la croissance et les opportunité (Agoa) le 2 novembre. Le pays ne pourra donc plus exporter ses produits vers le marché américain sans droits de douane, à partir du 1er janvier 2022.

En termes financiers, cette sanction n’est pas trop grave, car il n’y exporte que 11,1 millions de dollars, soit 0,3 % de ses exportations. D’un point de vue politique, le coup est rude.

NOUS VIVONS UNE PÉRIODE ASSEZ TERRIBLE. NOTRE ÉCONOMIE VA MAL

« La situation est compliquée avec nos partenaires stratégiques, regrette Khalid Dembélé, enseignant à l’université privée Intec Sup, qui ne cache pas son pessimisme. Les dons sont suspendus. L’insécurité gagne du terrain jusqu’aux portes de Bamako. Oui, le secteur informel, l’immobilier, l’or et le coton – dont le Mali va redevenir le premier producteur africain – résistent, mais pas le secteur bancaire. Le prix du pain est au plus haut. Je ne vois pas ce que le gouvernement de transition pourra faire pour maîtriser la masse salariale de l’État malgré ses tentatives pour y mettre de l’ordre. Ses marges de manœuvre sont étroites. Le moral des chefs d’entreprise n’est pas au mieux en raison de ces risques politico-économiques, mais aussi parce que deux « milliardaires », Mamadou Sinsy Coulibaly et Amadou Sankaré, se disputent la présidence du patronat… »

Mouvements sociaux

Même son de cloche auprès d’Aïssata Diakité, créatrice et PDG de Zabbaan Holding (jus de fruit et confitures). « Nous vivons une période assez terrible, déplore-t-elle. Notre économie va mal. Après la pandémie, qui a fait beaucoup de dégâts, nous subissons une forte hausse des prix, notamment dans l’agroalimentaire. Notre pays est enclavé, et le coût du transport a bondi : le prix de cinq litres d’huile est passé de 11 à 20 euros. Ce n’est pas évident de se diversifier comme je le souhaite compte tenu de ces incertitudes, surtout quand les banques, qui avaient déjà du mal à nous financer, sont bloquées par des mouvements sociaux.

Les sanctions qui ont suivi le dernier coup d’État ont compliqué l’action d’Aïssata Diakité en faveur des femmes. « Nous avions monté un projet d’accompagnement des femmes avec la Cedeao. On nous a fait savoir que nous n’étions plus éligibles aux fonds qui devaient financer le projet. Nous sommes parvenus à le mener à bien avec d’autres partenaires. Il faudrait que l’État négocie vraiment avec les bailleurs. »

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Risque d’étranglement

Peut-être parce que, en sanctionnant les dirigeants, la communauté internationale risque d’étrangler la population, la Banque mondiale a repris ses programmes d’aide, le 6 septembre, après trois mois d’interruption. IFC a prêté 8,9 millions d’euros à l’entreprise Carrières et Chaux du Mali.

LA BANQUE MONDIALE RESTE LE PREMIER DONATEUR DU MALI

De son côté, la représentante de la Banque à Bamako a signé quatre accords de relance en octobre 2021. Le premier est un financement additionnel anti-Covid de 29,4 milliards de F CFA (50,6 millions de dollars). Le deuxième finance le Projet communautaire de relance et de stabilisation du Sahel. Il est doté de 56 milliards de F CFA, moitié en prêt et moitié en don. Il entend contribuer à la résilience des communautés fragilisées dans la région du Liptako-Gourma.

Le troisième accord porte sur 30,83 milliards de F CFA, moitié en prêt et moitié en don. Il est destiné à soutenir la fourniture de 80 mégawattheures à Bamako afin de relier au réseau 70 000 nouveaux clients dans les zones périurbaines et rurales. D’un montant de 17 milliards de F CFA, le quatrième porte sur un financement additionnel du Projet d’amélioration de l’accessibilité rurale.

Ces soutiens confirment la première place de la Banque mondiale parmi les donateurs du Mali, puisque celle-ci a remis en route une trentaine de projets pour un montant total de 910 milliards de F CFA. À l’évidence, il existe un grand fossé entre les potentialités du pays, qui font rêver ses dirigeants successifs à des jours meilleurs, et le handicap des convulsions économiques, sécuritaires et sociales, que rien ne semble pouvoir corriger pour le moment.