Mali : le Sénégal, grand « perdant » des sanctions de la Cedeao ?
La suspension du commerce de biens – et de son financement – depuis et à destination du Mali imposée par l’organisation régionale se fera-t-elle au détriment du Sénégal ? Et, par là même, au bénéfice de la Guinée et de la Mauritanie ? Pas si sûr. Explications.
DANS CE DOSSIER
Le Mali face aux sanctions de la Cedeao
« Avec ses sanctions, la Cedeao a voulu frapper fort. Néanmoins, aucun des États de la communauté n’a intérêt à ce que cette situation dure. L’interdépendance entre le Mali et les autres pays de la zone fait que la fermeture des frontières terrestres et maritimes – excepté pour les produits de premières nécessités – touche par ricochet les pays voisins », avertit un haut cadre de banque au Mali, interrogé par Jeune Afrique, à la suite de l’annonce le 9 janvier de plusieurs mesures punitives imposées par les chefs d’État ouest-africains contre le régime de Bamako.
EN SANCTIONNANT LE MALI, ON SANCTIONNE LE SÉNÉGAL AUSSI
« Le Mali est un pays enclavé qui trouve un débouché maritime vers les autres pays. Le port de Dakar vit, à plus de 50 %, des produits qui doivent aller vers le Mali. La fermeture des frontières impactera donc Dakar. Il en va de même pour la Côte d’Ivoire, qui vit du bétail malien. Si la situation perdure, le kilo de viande risque d’augmenter en Côte d’Ivoire », complète notre interlocuteur.
Le Mali, premier client du Sénégal
« Le Sénégal se tire une balle dans le pied. En sanctionnant le Mali, on sanctionne le Sénégal aussi », ont embrayé sur les réseaux sociaux et les médias locaux divers commentateurs de l’économie et de la politique sénégalaises. Ces derniers pointent un fait indiscutable : la place prépondérante du Mali, premier client du pays, dans le commerce extérieur du Sénégal.
En 2020, le Mali a accueilli 21 % des exportations de marchandises du Sénégal, soit plus que l’ensemble du continent asiatique (18 %) et dix fois le montant des ventes à destination de la France (2 %), selon les derniers chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).
En valeur, les exportations de biens du Sénégal vers le Mali ont atteint 474,8 milliards de F CFA (724 millions d’euros), contre à peine 1,6 milliard de F CFA d’importations, en 2020. L’excédent commercial du pays de la Teranga vis-à-vis de son voisin enclavé a dépassé 473 milliards de F CFA l’an dernier, une force d’appoint non négligeable, sans laquelle le déficit commercial global du Sénégal (-2 233 milliards de F CFA en 2020) serait, toutes choses égales par ailleurs, supérieur d’au moins 20%.
Déséquilibres pétroliers et demandes de ciment
Faut-il en conclure pour autant que les sanctions contre le Mali handicaperont lourdement le commerce extérieur du Sénégal ? Pas nécessairement. Les principales exportations du Sénégal vers le Mali – les produits pétroliers – sont explicitement exemptées de l’embargo commercial décrété par la Cedeao le 9 janvier. Selon les données de l’ANSD, le Mali absorbe 64,7 % des exportations de produits pétroliers du Sénégal, soit environ 309 milliards de F CFA selon nos estimations. Cette somme représente les deux tiers des ventes totales du Sénégal à destination du Mali.
Autre poste important d’exportations depuis le Sénégal vers le Mali : « les préparations pour soupes, potages et bouillons ». Le Mali a absorbé 30 % des ventes de ces produits réalisées par le Sénégal, pour environ 23 milliards de F CFA. Peu de raisons de craindre une disruption ici : « les produits alimentaires de grande consommation » sont eux aussi exemptés des sanctions de la Cedeao.
La principale incertitude concerne le ciment ; le Mali absorbant pas moins de 87 % des exportations du Sénégal. Malgré le net recul ces dernières années de la valeur de ces exportations (-12 % de recul moyen entre 2016 et 2020), cela représente toutefois 64,2 milliards de F CFA de ventes entre Dakar et Bamako en 2020. L’impact des sanctions sur ce segment dépendra, pour l’essentiel, de la durée des sanctions, que la Cedeao a promis de lever de façon « progressive lorsqu’un chronogramme acceptable et agréé par la Cedeao aura été finalisé et que des progrès satisfaisants auront été enregistrés dans la mise en œuvre du chronogramme des élections ».
Approvisionnements alternatifs
À l’annonce des sanctions de la Cedeao, l’exécutif de Bamako a promis que « des dispositions ont été prises pour assurer l’approvisionnement normal du pays par tous les moyens appropriés ». De son côté, le Comité national du rassemblement pour le développement, chargé de l’exécutif guinéen à la suite du coup d’État du 5 septembre 2021 et lui-même sous le coup de sanctions de l’institution ouest-africaine, a tenu à rappeler que « les frontières aériennes, terrestres et maritimes de la République de Guinée restent toujours ouvertes à tous les pays frères, conformément à sa vision panafricaniste ».
LE MALI N’A PAS DE FAÇADE MARITIME, MAIS IL DISPOSE D’ENTREPÔTS DANS LES PRINCIPAUX PORTS DE LA CÔTE OUEST-AFRICAINE
La possibilité que Conakry, Nouakchott ou Alger (voir encadré ci-dessous) puissent se substituer à Dakar comme porte d’approvisionnement et de sortie des biens du Mali reste possible, mais cela représente un défi logistique colossal.
Dans un premier temps, les voies de dessertes du Mali restent assez limitées en raison de l’étendue du pays mais aussi de la faiblesse des infrastructures existantes. En 2012, derniers chiffres d’analyse comparative disponibles, le Mali comptait à peine 5 700 km de routes revêtues sur un réseau de 89 024 km. « La densité routière est actuellement de 1,80 km/100 km², l’une des plus faibles d’Afrique (3,1 km/100 km² pour la Cedeao et 4,7 km/100 km² pour l’africain) », souligne une étude de la Banque africaine de développement (BAD).
« Le Mali n’a pas de façade maritime, mais il dispose d’entrepôts dans les principaux ports de la côte ouest-africaine : Nouakchott, Dakar, Banjul, Conakry, Abidjan, Tema, Lomé et Cotonou », rappelle cependant le rapport de la BAD. Mais près de 84 % du volume de marchandises exportées vers le Mali transitent par les ports de Dakar (57 % en 2012) et d’Abidjan (26,8 %). Les alternatives évoquées telles que Conakry (1,9 %) et Nouakchott (0,7 %) sont loin derrière les autres ports des pays de la Cedeao, tels que Tema au Ghana (4 % en 2012), Lomé au Togo (9 %) et Cotonou (3,4 % en 2011).
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Si le port de Conakry est « le port maritime le plus proche de la capitale du Mali », rappelle la BAD, à une distance de seulement 980 km par voie routière, et qu’il accueille « une part importante du fret au départ et/ou à destination du Mali », l’intégration guinéo-malienne demeure « entravée par une série de contraintes ». L’institution panafricaine relève par exemple, « la vétusté du réseau routier reliant les deux pays et qui nécessite des gros efforts d’entretien et, par endroits, la rectification du tracé » ; « l’interruption de la navigation fluviale en raison de l’ensablement du fleuve » ; « le manque d’une liaison aérienne fiable et régulière ».....
Offensive diplomatique à Alger et Nouakchott
La possibilité que d’autres voisins du Mali que le Sénégal puissent saper le régime de sanctions décidées par la Cedeao, ou en tirer tout simplement profit n’a pas échappé aux autorités régionales. Aussi, dès le 10 janvier, le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a été appelé par son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Conférence des chefs d’État de la Cedeao et l’une des voix les plus sévères envers le régime de Bamako, qui a tenu à « l’informer des décisions prises par la Communauté ».Selon l’agence de presse officielle mauritanienne, le président Ghazouani a « écouté les explications de son homologue ghanéen » et rappelé « le souci de la Mauritanie de voir les frères maliens surmonter les difficultés actuelles ». Les deux chefs d’État sont convenus de « poursuivre les consultations sur cette question ».
Dans son communiqué du 9 janvier, la Communauté avait « invité » les pays frontaliers du Mali « non-membres de la Cedeao, notamment l’Algérie et la Mauritanie », à soutenir la mise en œuvre de ces sanctions et indiqué qu’elle conduirait « incessamment une mission d’information dans ces pays dirigée par la présidente du Conseil des ministres ».
Si ni Alger ni Accra n’ont indiqué d’échanges entre les deux exécutifs depuis le 9 janvier, il est à noter que les deux gouvernements ont multiplié les discussions au sommet ces derniers mois. Le 24 septembre dernier, la ministre ghanéenne des Affaires étrangères Shirley Ayorkor Botchwey, s’est entretenue avec son homologue Ramtane Lamamra, à New York, « sur les voies et moyens d’insuffler une nouvelle dynamique aux relations bilatérales et les question de paix et sécurité en Afrique. En octobre, le président Akufo-Addo s’est entretenu avec le Premier ministre algérien Aïmene Benabderrahmane, à Belgrade, en marge du 60e anniversaire de la première conférence du Mouvement des non-alignés. Début décembre, Accra a agréé la nomination d’Ali Redjel comme nouvel ambassadeur d’Alger.