Mali : que sait-on de l’arrestation de l’économiste Étienne Fakaba Sissoko ?
Connu pour ses positions critiques contre le pouvoir malien, cet universitaire a été placé en garde à vue. Son interpellation, qui intervient après celles de plusieurs acteurs politiques, soulève de nombreuses interrogations.
Tout est allé très vite : après son interpellation dimanche 16 janvier par les policiers du commissariat du 5e arrondissement, Étienne Fakaba Sissoko, économiste médiatique, a été placé en détention préventive. Mardi 18 janvier, le tribunal de la commune IV du district de Bamako, où il a été présenté devant un juge, a annoncé qu’il était poursuivi pour « des propos tendant à la stigmatisation ou à la discrimination régionaliste, ethnique ou religieuse » et pour « pour présomption de faux et usage de faux diplômes universitaires ».
Ces poursuites interviennent après ses récentes interventions dans les médias et sur les réseaux sociaux au sujet des conséquences économiques des sanctions infligées au Mali par la Cedeao, après que la junte a présenté un chronogramme proposant une prolongation de la transition de cinq ans. Depuis que les chefs d’États ouest-africains ont acté leur décision, le 9 janvier dernier à Accra, Étienne Fakaba Sissoko n’a eu de cesse d’émettre des hypothèses selon lesquelles le Mali ne pourra pas « tenir au-delà de deux mois ».
Faux doctorat ?
Mais lundi, une source proche de l’enquête confiait à Jeune Afrique qu’à cette occasion, une vieille affaire de faux diplômes resurgissait. Depuis 2018, ce dossier agite les microcosmes politiques et universitaires maliens. De nombreux chercheurs sont suspectés d’avoir obtenu frauduleusement leur diplôme en France, dont Étienne Fakaba Sissoko. Pour les détracteurs de l’économiste, si celui-ci a bien été inscrit à l’université de Nanterre, il n’y a jamais validé de doctorat.
À l’époque, la primature avait diligenté une enquête, restée sans suite. Mais récemment, le tribunal de la commune IV de Bamako semble avoir relancé les investigations. Il a contacté un collectif « d’enseignants-chercheurs maliens pour la méritocratie républicaine », à la pointe de la fronde contre Étienne Fakaba Sissoko, qui l’accuse d’être « un faussaire » et d’avoir usurpé un titre pour obtenir un poste d’enseignant-chercheur à la faculté des sciences économiques et de gestion, avec la complicité de responsables de l’enseignement supérieur.
Du cabinet de la présidence à l’opposition
Vrai ou faux ? Les soutiens de l’économiste soulignent que l’homme n’est pas un universitaire comme les autres. À 39 ans, il a été le secrétaire particulier d’Oumar Mariko, alors député élu à Kolondièba. Nommé à la présidence en 2016 comme conseiller en charge des questions économiques, il a quitté son poste un an plus tard.
Il devient alors opposant au président. En 2017, il participe à la contestation du projet de réforme de la Constitution d’Ibrahim Boubacar Keita, avant de devenir membre de l’équipe de campagne de l’opposant Soumaila Cissé lors des élections présidentielles de 2018.
C’EST UNE TENTATIVE D’EXÉCUTION POLITIQUE
Puis Étienne Fakaba Sissoko change à nouveau de plan. Il entre au Secrétariat permanent pour le Centre, rattaché à la primature, mais il est limogé par le Premier ministre Choguel Maïga en octobre 2021. Il venait en effet d’appeler à « débarquer le premier ministre Choguel Maïga » et de respecter le délai de la transition. Ces derniers mois, Étienne Fakaba Sissoko s’est distingué par ses prises de position critiques à l’encontre du pouvoir malien. De quoi réactiver une ancienne affaire en dossier politique ?
« C’est une forme de cabale destinée à le fragiliser, assure un proche du prévenu. Cette affaire montre la facilité avec laquelle les libertés sont menacées. Et cela dessert tous les élans critiques. » L’arrestation d’Étienne Fakaba Sissoko a lieu après la condamnation à six mois de prison de l’ancien vice-président du CNT Issa Kaou Djim, qui avait lui aussi été critique sur le pouvoir, ainsi que la mise sous mandat de dépôt d’Oumar Mariko, depuis libéré, et qui sera jugé le 15 février 2022.
« S’il est vraiment suspecté d’avoir un faux diplome, pourquoi personne n’a bougé pendant quatre ans ? Pourquoi le faire aujourd’hui ? », s’interroge un enseignant-chercheur sous le couvert de l’anonymat tout en dénonçant « une tentative d’exécution politique ».