Assassinat de Thomas Sankara : la parole est à la défense

Mis à jour le 23 mars 2022 à 19:27
 

 

Reprise du procès de l’assassinat de Thomas Sankara au tribunal militaire de Ouagadougou, le 31 janvier 2022. © Sophie Garcia / Hans Lucas

 

Trois semaines après avoir été suspendu à la demande des avocats de la défense, le procès des assassins présumés de l’ancien président burkinabè a repris à Ougadougou. Les avocats des accusés plaident, pour la majeure partie, la prescription et jugent que les preuves au dossier sont insuffisantes.

C’est dans une salle presque vide que, trois semaines après avoir été suspendu, le procès des assassins présumés de Thomas Sankara a repris mardi 22 mars. En lieu et place de la foule qui s’était pressée lors des premières audiences devant le tribunal militaire de Ouagadougou, en octobre dernier, c’est devant un auditoire clairsemé que les juges ont siégé. Dans les premiers rangs, cependant, toujours fidèle au poste, Mariam Sankara, la veuve de l’ancien président assassiné, était là.

Le 3 mars, les avocats des douze inculpés, dont le principal le général Gilbert Diendéré, avaient défendu que la prestation de serment du lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba en tant que président du Faso et la validation de cette investiture par le Conseil constitutionnel rendaient de facto le coup d’État légal. Pour les avocats de la défense, les charges d’atteinte à la sûreté de l’État retenues contre leurs clients devaient donc mécaniquement être levées… Vendredi, la Cour constitutionnelle a finalement tranché et rejeté leur requête, ouvrant la voie à une reprise des audiences.

« Mort naturelle » et « parodie de procès »

Depuis mardi, la parole est donc à la défense. Me Issiaka Ouattara, le défenseur du médecin militaire Alidou Diebré, accusé de « faux en écriture publique » pour avoir établi le certificat de décès de Thomas Sankara avec la mention « mort naturelle », a plaidé la prescription des faits et réclamé la relaxe. Me Moumouny Kopiho, l’avocat de Kafando Hamadou, accusé des mêmes faits, mais cette fois pour un certificat de décès faisant état d’une « mort accidentelle » de l’icône de la révolution burkinabè, a lui aussi plaidé la prescription.

Plus offensif, Me Moumouny Kopiho, qui défend le colonel-major Jean-Pierre Palm, a pour sa part dénoncé une « parodie de procès », osant même parler d’un « assassinat du droit ». L’ancien gendarme – il fut nommé commandant général de la gendarmerie par Blaise Compaoré après la mort de Thomas Sankara – est notamment accusé d’avoir, au lendemain de l’assassinat, détruit des enregistrements d’écoutes téléphoniques potentiellement incriminantes pour plusieurs personnalités. Pour l’accusation, comme pour les avocats des parties civiles, c’est la preuve d’une complicité active dans le meurtre, mais aussi d’une volonté de couvrir les traces des auteurs et commanditaires. Assurant qu’il n’y avait « aucune preuve tangible » de ces accusations, son avocat a au contraire dressé le portrait d’un « brillant d’officier », un excellent gendarme qui a servi sa nation « avec dévouement ».

La double défense de Diendéré

Les avocats de celui qui fait figure de principal accusé – présent – dans ce dossier, le général Gilbert Diendéré, ont pour leur part déployé une stratégie de défense sur deux axes : tenter de démontrer que les preuves sont insuffisantes, d’une part, et plaider la prescription des faits de l’autre. Me Mathieu Somé a ainsi évoqué « un dépérissement des éléments de preuve qui se sont effritées », avançant même la notion de « droit à l’oubli », pour réclamer la clémence à l’égard de son client. Tandis que Me Abdoul Latif Dabo a évoqué, si longtemps après les faits, « la fragilité des témoignages ».

Mais, comme depuis le début de ce procès, ce sont surtout les silences des absents qui ont fortement résonné dans la salle d’audience. Car si douze hommes font face aux juges, ils sont quatorze à être officiellement inculpés. Manquent à l’appel, l’ex-président déchu, Blaise Compaoré, qui vit en exil en Côte d’Ivoire depuis qu’il a été chassé du pouvoir en 2014, et Hyacinthe Kafando, ancien commandant de sa garde lors du coup d’État de 1987.

Début février, le parquet militaire a requis à l’encontre de chacun des deux hommes une peine de trente ans de prison ferme pour attentat à la sureté de l’État, recel de cadavre et complicité d’assassinat. L’accusation a par ailleurs réclamé vingt ans de prison ferme pour Gilbert Diendéré, qui purge déjà une peine de vingt ans pour la tentative de coup d’État de 2015. Le procureur, qui a requis des peines allant de trois à vingt ans de prison pour les autres coaccusés, a réclamé l’acquittement pour cinq d’entre eux. Deux en raison de la prescription, trois car les faits qui leur sont reprochés ne sont, au sens de l’accusation, « pas constitués ».