Mali : à Gossi, la France accuse Wagner « d’attaque informationnelle »

Deux jours après avoir quitté sa base militaire au nord du pays, l’armée française affirme avoir filmé des mercenaires de Wagner en train d’enterrer des corps non loin pour, selon elle, l’accuser d’exactions.

Mis à jour le 22 avril 2022 à 13:11
 

 

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Des soldats français de Barkhane à Gossi, le 14 avril 2022. © Tanguy Vabatte

 

Les militaires français estimaient qu’une telle « attaque informationnelle » de Wagner était « très probable ». À les écouter, il aura fallu à peine plus de 24 heures pour qu’elle se concrétise. Le 19 avril, l’armée française a transféré sa base de Gossi, dans le nord du Mali, aux Forces armées maliennes (Fama), dans le cadre de son retrait progressif du pays, acté à la mi-février.

« Ce transfert a été effectué en bon ordre et en sécurité, dans la transparence, dans un contexte où la force Barkhane fait régulièrement face à des attaques informationnelles visant à entacher son action, sa réputation et sa crédibilité », explique l’état-major, qui précise qu’un état des lieux « approfondi » de la base et de ses environs a été mené par les militaires français et maliens.

Malgré leur départ, les services de renseignement français restent attentifs à ce qu’il se passe dans leur ancienne base. « Nous savions que les Russes saisiraient toute opportunité pour nous attaquer », certifie une source militaire. L’armée française explique donc qu’un drone a continué à surveiller le site. Les images qu’elle a fourni à plusieurs médias, dont Jeune Afrique, auraient été enregistrées par cet appareil les 20 et 21 avril.

Des hommes de type caucasien

 

Selon l’armée française, en fin de journée du 20 avril, le drone observe des soldats maliens et une dizaine d’individus – « de type caucasien, appartenant très probablement au groupe Wagner », selon Paris – s’installer dans la base de Gossi.

Le lendemain, le 21 avril, peu avant 10 h du matin, un petit groupe d’individus (toujours de « type caucasien », assure l’armée française) est à nouveau filmé, cette fois à environ 4 kilomètres à l’est du camp de Gossi. Sur les deux vidéos fournies par l’armée française, on voit certains d’entre eux recouvrir de sable, à l’aide de pelles, une dizaine de corps. Tout autour, d’autres personnes filment ou prennent des vidéos. D’après les Français, ces corps pourraient provenir de l’opération menée le 19 avril par les Fama et Wagner à Hombori, à 90 kilomètres au sud de Gossi.

Un étrange compte Twitter

À la mi-journée, un compte Twitter, celui d’un dénommé Dia Diarra, publie des photos – puis une courte vidéo – de corps noirs recouverts de sable et accuse l’armée française d’avoir laissé un charnier derrière elle à Gossi. « C’est ce que les Français ont laissé derrière eux quand ils ont quitté la base à Gossi. Ce sont des extraits d’une vidéo qui a été prise après leur départ ! On peut pas garder le silence sur ça ! », écrit-il.

Selon l’état-major français, le profil de Dia Diarra, qui se présente comme un « ancien militaire » et « patriote malien », « est très probablement un faux compte créé par Wagner » en reprenant la photo de profil d’un Colombien inscrit sur le réseau social russe Vkontakte en 2021. La dite photo a depuis été changée et remplacée par un portrait d’Assimi Goïta, le président de la transition malienne. Pour les militaires français, il n’y a aucun doute : les images publiées par ce compte proviennent directement des individus filmés quelques heures plus tôt en train de recouvrir des corps.

Guerre informationnelle

Très vite, les responsables français décident de riposter à ce qu’ils qualifient de « grossière manœuvre de désinformation ». Pas question, pour eux, de laisser des fake news prospérer sur les réseaux sociaux maliens, sur lesquels le sentiment anti-français est déjà largement répandu. Ils décident donc de transmettre, dès le soir-même, les images à quelques médias.

Comme le ministère des Armées l’avait annoncé fin 2021, la France assume désormais ouvertement de lutter contre Wagner dans le domaine informationnel. L’épisode de Gossi est un premier aperçu concret de cette guerre d’influence sur le continent. D’autres pourraient suivre. « Nous allons transférer nos emprises de Ménaka, puis de Gao, d’ici le mois d’août. Nous y serons aussi extrêmement vigilants », conclut une source militaire.