La Camerounaise Léonora Miano remporte
le prix Femina pour "La saison de l’ombre"


Léonora Miano, Camerounaise, a reçu, le mercredi 6 novembre 2013, le prix Femina pour «La saison de l’ombre», sur la traite négrière et ceux qui y ont résisté, une récompense à la résonance symbolique. Publié chez Grasset, ce septième roman de Léonora Miano se glisse dans l’esprit et le cœur de la communauté Mulongo, embarquée malgré elle dans la sombre aventure de la traite négrière. Elle décrit l’effondrement des repères et fait entendre la voix de ceux qui sont restés en Afrique. Dans toute son œuvre, la romancière interroge l’impact de la grande histoire sur la petite, s’intéresse à l’intimité des populations africaines, mais « je pense toujours à raconter l’humanité dans sa globalité», dit-elle.


La vie de Léonora Miano

Léonora Miano est née en 1973 à Douala (Cameroun), dans une famille lettrée de la petite-bourgeoisie francophone et écrit ses premiers poèmes à l’âge de huit ans. À peine adolescente, elle reçoit un véritable choc esthétique à la lecture du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. En 1991, elle va en France pour des études à l’université de Valenciennes, puis à Nanterre. En 2005, elle publie son premier roman “L’Intérieur de la nuit” (Plon). C’est un récit à la fois provocateur et profond, explorant sans concession le passé africain, ses violences et ses barbaries, qui la fait connaître. En 2006, elle reçoit le Prix Goncourt des lycéens pour son “Contours du jour qui vient”. En 2010, son roman culte “Blues pour Elise” fait parler une France noire, urbaine et contemporaine. Mais son succès ne doit rien aux recensions littéraires.

En 2012, elle choisit le théâtre pour poursuivre son œuvre-té-moignage. Léonora Miano livre ainsi le recueil “Écrits pour la pa-role”, où elle dévoile, en plusieurs pièces, le quotidien des femmes africaines, mal estimées en tant que femmes par les hommes, et en tant que noires par les femmes.

En août 2013 paraît “La saison de l’ombre” qui lui vaut le prix Femina, après le Grand prix du roman métis. Aujourd’hui, à qua-rante ans, avec déjà sept romans à son actif, Miano s’est imposée comme une voix singulière qui fait entendre à travers ses livres graves et dérangeants les tribulations d’une Afrique méconnue.

La saison de l’ombre

Quand commence le roman, une communauté enclavée et repliée sur elle-même vient de faire l’objet d’une brutale attaque. Un incendie a embrasé de nombreuses cases, servant de diversion pour le rapt de plusieurs jeunes de ce clan. Une fois l’effroi retombé, le constat de la disparition d’une douzaine d’initiés va plonger les Mulongo dans une torpeur et remettre en cause l’organisation sociale de ce groupe. La première réaction du clan est de bannir les mères des disparus et de les mettre en quarantaine…

Comment le clan réagit-il à cette attaque sournoise dont il n’est même pas capable de fournir une ébauche d’explication, une tentative d’identification des assaillants ? Au cours d’une quête périlleuse, les émissaires du clan et trois mères courageuses vont comprendre que leurs voisins, les Bwele, les ont capturés et vendus aux étrangers venus du Nord par les eaux.

Le projet de l’auteure

« “La saison de l’ombre” ambitionne de saisir l’instant d’un basculement. La composition de ce roman s’est glissée dans un interstice, entre la disparition du monde connu et l’avènement d’un univers nouveau, dont nul ne sait encore rien. On entendra dire de ce texte qu’il parle de la Traite négrière. En réalité, la référence à cette tragédie vient surtout éclairer le lecteur, en ce qui concerne la genèse de l’ouvrage dans mon esprit et les mobiles de mon écriture. Ce terme n’est jamais employé dans le texte, puisqu’il n’a pas de sens pour les protagonistes principaux. Il importe de prendre ceci en considération, dans la mesure où “La saison de l’ombre” épouse la vision de ses personnages : des Subsahariens vivant dans une Afrique précoloniale, et ne connaissant du monde qu’eux-mêmes et leurs voisins immédiats. Le texte prend soin d’éviter les anachronismes, pour rester au plus près d’une perception subsaharienne non encore influencée par la rencontre avec l’Europe. C’est pour cette raison que l’histoire se déroule à l’intérieur des terres, plutôt que sur la côte. »
« C’est un grand roman avec un souffle romanesque captivant. Nous avons affaire à un grand écrivain. Elle a l’avenir pour elle» a dit Diane de Margerie, présidente du jury.

Paroles de Léonora Miano

(recueillis par David Caviglioli du Nouvel Observateur)
« Avant de travailler sur le sujet, que connaissiez-vous, en tant que Camerounaise, de cette histoire ?
Pas grand-chose. On n’en parle pas au Cameroun, qui a pourtant été un lieu de départ important. Les gens le découvrent depuis peu…

Pourquoi ce tabou ?
D’abord parce que les populations côtières ont participé à la capture. Personne ne va s’enorgueillir d’avoir des ancêtres qui ont vendu des hommes. La honte est pour beaucoup dans ce silence. Il y a une autre honte : celle d’avoir été colonisé par d’anciens partenaires commerciaux. Ça fait de vous le dindon de la farce.

Vous n’êtes pas toujours tendre avec les Africains, ce qui vous vaut d’être souvent récupérée par la presse de droite. Ne craigniez-vous pas, en insistant ainsi sur la dimension intertribale de l’esclavage, de conforter les Occidentaux dans l’idée qu’ils ne sont pas vraiment responsables?
C’est vrai. On trouve toujours le moyen de proposer des lectures de mes textes qui caressent un certain public dans le sens du poil. Mais ce n’est pas mon affaire. Les Africains m’ont prise en grippe, surtout ceux de la diaspora : leur vie est assez difficile, ils n’ont pas besoin qu’on vienne écorner leur image. On m’a beaucoup insultée, même si ça va mieux aujourd’hui.
En ce qui concerne la traite, ce n’est évidemment pas parce que des subsahariens y ont participé que ça minore la culpabilité occidentale. Les Européens n’avaient pas à traiter des humains comme des animaux. Que chacun prenne ses responsabilités. Et nous, Africains, devons affronter nos propres ombres et réfléchir à notre histoire.

Que pensez-vous de la manière dont on parle de l’esclavage en France?
Dès qu’on prononce le mot de “traite”, le premier mouvement des gens, c’est de se défendre en disant: « Oui mais les Africains ont vendu ! » Ils n’entendent pas le reste de l’histoire. Et finalement, ils ne savent rien. »

Suite africaine

“Suite africaine” est le nom que donne Léonora Miano à sa trilogie comprenant “L’Intérieur de la nuit”, “Les Aubes écarlates” et “Contours du jour qui vient”. Cette “Suite africaine” peut se résumer en 3 étapes :

* Tout d’abord le cri de l’enfant sacrifié dans “L’Intérieur de la nuit” ainsi que celui d’Ayané qui refuse de subir les démons de l’Afrique.
* “Les aubes écarlates” suit le quotidien d’enfants-soldats soumis à un rébellion en perte totale de sens. Par l’intermédiaire des visions des esclaves enchaînés, on y voit la nécessité pour le peuple africain d’accepter ses fautes, sa responsabilité dans sa situation actuelle.
* “Contours du jour qui vient”, en suivant l’essor des églises évangélistes, montre la volonté de certains Africains de trouver le salut par des moyens surnaturels, tandis que d’autres en profitent pour les escroquer voire en faire de nouveaux esclaves. Pourtant, grâce à Musango et à sa volonté de pardonner, on comprend que la salut ne passe que par soi-même, qu’on ne peut aller de l’avant qu’en se reconstruisant de l’intérieur.

De sources diverses
Voix d’Afrique