ISRAËL : LES PALESTINIENS SONT VICTIMES D’UN APARTHEID
Ségrégation territoriale et restrictions de déplacement, saisies massives de biens fonciers et immobiliers, expulsions forcées, détentions arbitraires, tortures, homicides illégaux… Après un long travail de recherche, notre nouveau rapport démontre que les lois, politiques et pratiques mises en place par les autorités israéliennes ont progressivement créé un système d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien dans son ensemble.
Le 11 mai 2022, Shireen Abu Akleh, journaliste palestienne à Al-Jazeera, a été tuée pendant qu'elle couvrait des affrontements en Cisjordanie. Selon plusieurs sources, elle aurait été visée et tuée d’une balle en pleine tête par un soldat israélien. Nous demandons qu'une enquête indépendante et impartiale soit ouverte.
Ces dernières années, des militaires israéliens ont tué des civils palestiniens. La mort de Shireen vient ainsi s'ajouter à celle des 79 Palestiennes et Palestiniens, dont 14 enfants, tués par les forces armées israéliennes dans les territoires palestiniens occupés depuis le 21 juin 2021*. Ces homicides font partie du système d’apartheid imposé par l'Etat d’Israël au peuple palestinien.
*Source : le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) et les informations que nous avons recueillies.
Après un travail de recherche de près de quatre ans, nous publions notre rapport intitulé « L’Apartheid commis par Israël à l’encontre des Palestiniens. Un système cruel de domination et un crime contre l’humanité ». Sur la base d’une analyse juridique et d’une enquête de terrain minutieuses, il documente la mise en place par Israël, à travers des lois et des politiques discriminatoires, d’un système d’oppression et de domination institutionnalisé à l’encontre du peuple palestinien. Si ces violations sont plus fréquentes et plus graves dans les territoires palestiniens occupés (TPO), elles sont également commises en Israël et à l'encontre des réfugiés palestiniens présents dans des pays tiers.
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Réalisées en concertation avec des experts internationaux et des associations palestiniennes, israéliennes et internationales, nos recherches démontrent que ce système correspond à la définition juridique de l’apartheid. Il s’agit d’un crime contre l’humanité défini par la Convention sur l’apartheid de 1973 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998.
En droit international, le seuil pour définir un crime d’apartheid est atteint lorsque trois critères principaux sont réunis :
un système institutionnalisé d’oppression et de domination d’un groupe racial par un autre ;
un ou des actes inhumains, tels que transferts forcés de populations, tortures et meurtres, commis dans le cadre de ce système institutionnalisé ;
une intention de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre.
Lorsque l’on utilise le mot « race » ou « racial », cela inclut, en droit international, « la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique » (article 1 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale). Cela peut donc s’appliquer dans le contexte israélo-palestinien.
UN SYSTÈME D’OPPRESSION ET DE DOMINATION
Notre rapport détaille comment – au moyen de lois, de politiques et de pratiques – l’État d’Israël a instauré progressivement un système dans lequel les Palestiniens et Palestiniennes sont traités comme un groupe inférieur, discriminé sur tous les plans : économique, politique, social, culturel...
En imposant de nombreuses restrictions qui privent le peuple palestinien de ses libertés et de ses droits fondamentaux, les autorités israéliennes se rendent coupables du crime d’apartheid et violent les conventions internationales qui définissent ce crime.
Ces restrictions ont un impact sur tous les aspects de la vie quotidienne des populations palestiniennes : leurs déplacements sont restreints de façon draconienne dans les territoires occupés, et les conséquences peuvent s’avérer désastreuses sur l’accès à des soins ou à un emploi, ou pour une vie de famille normale.
Ces restrictions ont également un impact économique très fort et contribuent à appauvrir les communautés palestiniennes d’Israël. Par ailleurs, le droit au retour des réfugiés palestiniens est toujours bafoué. Notre enquête fait aussi état de transferts forcés, de détentions administratives, d’actes de torture et d’homicides illégaux, de dépossessions de terres et de biens fonciers, ainsi que de ségrégation, à la fois en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, et envers les réfugiés palestiniens.
De nombreux manifestants palestiniens ont été gravement blessés ou tués ces dernières années. C’est sans doute l’exemple le plus flagrant du recours des autorités israéliennes à un usage de la force disproportionné et à des actes illicites pour maintenir le statu quo. En 2018, des Palestiniens et Palestiniennes de la bande de Gaza ont commencé à organiser des manifestations hebdomadaires le long de la frontière avec Israël, pour exiger la fin du blocus et revendiquer le droit au retour des réfugiés. Avant même le début des manifestations, des hauts responsables israéliens avaient averti que tout Palestinien s’approchant du mur serait visé par des tirs. À la fin de l’année 2019, les forces israéliennes avaient tué 214 civils, dont 46 enfants.
LA POPULATION PALESTINIENNE EST CONSIDÉRÉE COMME UNE MENACE DÉMOGRAPHIQUE
En 2018, l’adoption d’une loi constitutionnelle qui, pour la première fois, définissait Israël comme étant exclusivement « l’État-nation du peuple juif », a entériné les privilèges des citoyens juifs en termes d’obtention de nationalité et une discrimination à l’encontre de la population palestinienne. Cette loi établit notamment le développement des colonies juives comme une « valeur nationale » et l’hébreu comme seule langue officielle, retirant ainsi à l’arabe son statut de langue officielle.
L’expansion permanente des colonies israéliennes illégales dans les TPO est ainsi encouragée par les autorités israéliennes. Les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est sont fréquemment la cible d’organisations de colons qui, avec le soutien total du gouvernement israélien, s’emploient à forcer des familles palestiniennes à partir et à attribuer leurs logements à des colons. L’un de ces quartiers, Cheikh Jarrah, est le siège de manifestations fréquentes depuis mai 2021, car des familles luttent contre la menace d’une procédure d’expulsion initiée par des colons.
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La construction de ces colonies dans les TPO est une politique publique depuis 1967. Actuellement, des colonies sont implantées sur 10 % de la Cisjordanie, et environ 38 % des terres palestiniennes de Jérusalem-Est ont fait l’objet d’une expropriation entre 1967 et 2017.
LA POPULATION PALESTINIENNE CONFINÉE DANS DES ENCLAVES
L’État israélien confine le peuple palestinien dans de petites enclaves et l'exclut de certaines zones.
Dans le Néguev/Naqab, à Jérusalem-Est et dans la Zone C de la Cisjordanie occupée (c’est à-dire la zone sous contrôle israélien en Cisjordanie), les autorités israéliennes refusent d’accorder des permis de construire aux Palestiniens, ce qui les force à bâtir des structures illégales qui sont démolies régulièrement. On compte plusieurs centaines de milliers de logements et de bâtiments palestiniens détruits à ce jour.
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Dans le Néguev/Naqab au sud d’Israël, de grandes réserves naturelles et des zones militaires de tir ont été créées avec l’objectif de permettre à des habitants juifs israéliens de s’y installer et d’y développer une activité. Ces politiques ont eu des conséquences dramatiques pour les dizaines de milliers de Bédouins palestiniens qui vivent dans la région.
Trente-cinq villages bédouins, où vivent environ 68 000 personnes, sont actuellement « non-reconnus » par Israël, c’est-à-dire qu’ils sont coupés des réseaux d’eau et d’électricité nationaux, et leurs habitations sont régulièrement démolies. Les Bédouins de ces villages subissent aussi des restrictions en matière de participation à la vie politique et n’ont pas accès aux soins et à la scolarisation. Ces conditions de vie ont contraint nombre de ces personnes à quitter leur logement et leur village, ce qui constitue un transfert forcé illégal au regard du droit international.
Cette dépossession et le déplacement forcé des Palestiniens constituent un pilier central du système d’apartheid israélien.
OPPRESSION SANS FRONTIÈRE
Les guerres de 1947-1949 et de 1967, le régime militaire actuel d’Israël dans les TPO et la création de régimes juridiques et administratifs distincts au sein du territoire ont isolé les communautés palestiniennes et les ont séparées de la population juive israélienne.
Aujourd’hui, le peuple palestinien a été fragmenté géographiquement et politiquement, et il vit divers degrés de discrimination selon son statut et son lieu de résidence. Les citoyens palestiniens d’Israël ont actuellement plus de droits et de libertés que leurs homologues des TPO. Le quotidien des Palestiniens et des Palestiniennes est par ailleurs très différent selon qu’ils vivent dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie.
Nos recherches montrent néanmoins que l’ensemble du peuple palestinien est soumis à un seul et même système.
Partout, l’objectif d’Israël est le même : privilégier les citoyennes et les citoyens juifs israéliens dans la répartition des terres et des ressources, et minimiser la présence du peuple palestinien et son accès aux terres.
Par exemple, les citoyennes et les citoyens palestiniens d’Israël sont privés de nationalité, ce qui crée une différenciation juridique entre eux et la population juive israélienne. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, où Israël contrôle les services de l’état civil depuis 1967, les Palestiniens n’ont aucune citoyenneté et la majorité d’entre eux est considérée comme apatride. Elle doit par conséquent solliciter des papiers d’identité auprès de l’armée israélienne pour vivre et travailler dans les territoires. Les réfugiés palestiniens et leurs descendants, qui ont été déplacés lors des conflits de 1947-1949 et de 1967, restent privés du droit de revenir dans leur ancien lieu de résidence. Cette exclusion des réfugiés imposée par Israël est une violation flagrante du droit international et elle abandonne des millions de personnes à une incertitude permanente liée à leur déplacement forcé.
RESTRICTION DRACONIENNE DES DÉPLACEMENTS
Depuis le milieu des années 1990, les autorités israéliennes ont imposé des limites de plus en plus strictes aux déplacements de la population palestinienne dans les TPO. Un réseau de “checkpoints” militaires, de barrages routiers, de clôtures et d’autres structures contrôle la circulation des Palestiniens et limite leurs allées et venues en Israël ou à l’étranger.
Un mur de 700 km, qu’Israël continue de prolonger, isole les communautés palestiniennes à l’intérieur de « zones militaires ». Actuellement, les Palestiniens doivent obtenir plusieurs autorisations spéciales à chaque fois qu’ils veulent quitter leur lieu de résidence ou y revenir. Dans la bande de Gaza, plus de deux millions de Palestiniens et de Palestiniennes subissent un blocus, imposé par Israël, qui a provoqué une grave crise humanitaire et entrave le développement socio-économique. Il est quasiment impossible pour les habitants de la bande de Gaza de se rendre à l’étranger ou ailleurs sur le territoire. Ils sont, de fait, isolés du reste du monde et même des autres Palestiniens.
Chaque déplacement de Palestiniens est soumis à la validation de l’armée israélienne, et les tâches quotidiennes les plus anodines nécessitent de braver un éventail de violentes mesures de contrôle. Les citoyens et les colons israéliens sont, eux, libres de circuler à leur guise
Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International
Pour justifier ces mesures de ségrégation, Israël avance des motifs de sécurité. Vouloir protéger ses populations est légitime, c’est même le devoir d’un État. Mais ceci ne peut justifier des mesures disproportionnées et discriminatoires, et donc contraires au droit international.
L’URGENCE : DÉMANTELER CE RÉGIME D’APARTHEID
Rien ne peut justifier un système reposant sur l’oppression institutionnalisée et prolongée de millions de personnes. L’apartheid n’a pas sa place dans notre monde. La communauté internationale doit reconnaître le crime d’apartheid dont sont responsables les autorités israéliennes et étudier les nombreuses pistes judiciaires qui restent honteusement inexplorées pour que les victimes de ce système puissent obtenir justice et réparation.
« Israël doit démanteler le système d’apartheid et traiter les Palestiniens comme des êtres humains, en leur accordant l’égalité des droits et la dignité. Tant que ce ne sera pas le cas, la paix et la sécurité resteront hors de portée des populations israéliennes et palestiniennes » conclut Agnès Callamard, notre Secrétaire générale.
NOS RECOMMANDATIONS
Nous avons de nombreuses recommandations précises pour mettre un terme à la ségrégation et l’oppression à l’encontre du peuple palestinien et pour qu’Israël démantèle le système d’apartheid, la ségrégation et l’oppression qui l’entretiennent. Voici nos principales demandes.
Nous demandons au gouvernement israélien :
la fin des démolitions de logements et des expulsions forcées ;
l’égalité des droits pour l’ensemble des Palestiniens en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés ;
la reconnaissance du droit des réfugiés palestiniens et de leurs descendants à rentrer sur les lieux où leurs familles ou eux-mêmes vivaient autrefois. ;
le versement de réparations complètes aux victimes d’atteintes aux droits humains et de crimes contre l’humanité.
Nous demandons aux États tiers et à la communauté internationale de réagir avec force :
en exerçant la compétence universelle afin de traduire en justice les personnes responsables du crime d’apartheid. Les États qui ont ratifié la Convention sur l’apartheid en ont l’obligation.
Nous demandons au Conseil de sécurité de l’ONU d’imposer :
un embargo strict sur les transferts d’armement – armes et munitions, ainsi que les équipements de maintien de l’ordre – vers Israël, car des milliers de civils palestiniens sont tués illégalement par les forces israéliennes.
des sanctions, comme le gel d’actifs, ciblées à l'encontre des responsables israéliens les plus impliqués dans le crime d’apartheid.
Nous demandons à la Cour pénale internationale :
d'inclure la question de l’apartheid, crime contre l’humanité, dans son enquête, ouverte en mars 2021, sur la situation dans les territoires palestiniens.
STOP À L'APARTHEID CONTRE LES PALESTINIENS !
Demandez au Premier ministre Naftali Bennett de mettre fin immédiatement aux démolitions et aux expulsions forcées en signant notre pétition.