Missionnaires d'Afrique

R.D.Congo
Bernard Ugeux M.Afr


Le cynisme coupable de certaines multinationales.
Nous ne sommes pas responsables, ce sont nos filiales !

Le cynisme de certaines entreprises transnationales a été particulièrement souligné par les médias et les ONG des droits humains à la suite de l'incendie qui a détruit les ateliers de confection Rana Plaza, au Bangladesh, en avril 2013. On s'est alors rendu compte des conditions inhumaines dans lesquelles des centaines de femmes travaillent encore aujourd'hui pour des salaires de misère. On avait alors découvert que des étiquettes de grandes marques françaises jonchaient le sol des décombres. " Ce n'est pas possible, ils n'ont pas tenu compte des consignes éthiques draconiennes que nous imposons à nos filiales, nous n'y sommes pour rien, on nous a trompé, etc. "… Qui n'a pas entendu ces justifications a posteriori avec un réel malaise ? Auchan a été pointé du doigt.


Lac Kivu

En Afrique, dans un domaine différent, une autre entreprise française est actuellement dénoncée, il s'agit de la multinationale française de l'industrie du pétrole Parenco. Elle a été poursuivie entre autres pour utilisation abusive du personnel journalier pas ses sous-traitants dans le Bas-Congo en République Démocratique du Congo. L'entreprise a répondu qu'elle " n'engage[ait] pas directement cette catégorie de personnel " . Ces entreprises estiment qu'elles ne sont pas responsables de ce que font leurs sous-traitants. Pourtant, en 2011, le Conseil des droits humains des Nations Unies a adopté à l'unanimité des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme. Ceux-ci exigent de ces sociétés qu'elles mettent en œuvre des procédures de " diligence raisonnable " (ce qui veut dire un devoir de vigilance). Elles doivent donc mettre en place des mesures pour anticiper et empêcher les dommages liés à l'activité de l'entreprise. Il peut s'agir de dommages humains, environnementaux (écologie, faune et flore), sociaux, etc. Pourquoi ces textes internationaux ne sont-ils toujours pas transposés dans la loi française ? Il appert que des entreprises patronales font tout pour retarder cette inscription en droit français, affirmant que les entreprises ont leur propre code éthique. Mais celui-ci n'est pas contraignant ! Certes, certaines entreprises ont pris conscience de l'importance des droits universels et se sont engagées dans des démarche volontaristes. Mais ce n'est pas suffisant comme on le constate aujourd'hui dans l'Est de l'Afrique.

Il existe une inquiétude grandissante dans la région des grands lacs qui se situent le long du rift Albertine qui borde l'Ouganda, la RDC, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. En effet, une étude approfondie du Pole Institute de Goma (RDC) montre que ces lacs sont menacés par l'exploration pétrolière et gazière par des multinationales des hydrocarbures. Or, ces lacs sont des réservoirs irremplaçables pour la biodiversité. Il s'agit du lac Edouard, du lac Albert, du lac Kivu et du lac Tanganyika et de leurs bassins. Un exemple : le lac Tanganyika est le plus long du monde (677 km), le deuxième le plus profond au monde après le lac Baikal, le plus poissonneux. " Il a une profondeur moyenne d'environ 570 m, et atteint dans la partie la plus profonde 1471 m. Il recèle 17 % des réserves d'eau douce du monde. (…) Il représente l'écosystème d'eau douce le plus riche au monde, ayant environ 2156 espèces, dont 27% sont endémiques, c'est-à-dire jamais observées nulle part ailleurs. (…) Son intérêt pour la biodiversité mondiale est quasi unique. L'autre importance du lac est liée à ses ressources et à l'intérêt qu'il représente pour les communautés locales comme source d'approvisionnement en poissons, avec environ 160.000 tonnes de prise annuelle de poissons pour tous les quatre pays, une source d'eau potable et un moyen de transport " .

Or, un peu partout dans ces lacs, on a découvert des traces importantes d'hydrocarbure et la prospection se passe dans des conditions souvent opaques, tant en ce qui concerne l'attribution des blocs d'exploitation que des conditions de la prospection. Les ONG de protection de la nature (dont WWF) et des droits de l'homme (dont Human Right Watch) dénoncent le fait que des sociétés pétrolières détournent les lois nationales pour intervenir de façon occulte dans des régions protégées .

C'est le cas du Parc des Virunga, au Nord de Goma (RDC) qui est un des plus beaux parcs nationaux du Congo proche du lac Kivu. Or, ces derniers temps, son directeur, Emmanuel de Mérode, a été victime d'un attentat qui a failli lui coûter la vie. En effet, il s'est opposé à des groupes qui prospectent clandestinement dans le parc. Le plus sérieusement soupçonné est la société britannique Soco international qui chercherait à développer malgré la loi des projets d'exploration pétrolière dans des zones protégées. Depuis l'attaque, mi-avril, contre le directeur du parc, les menaces contre plusieurs associations, et notamment le Fonds mondial pour la nature, se sont multipliées. " Depuis (…) nous enregistrons des menaces contre nos travailleurs [un Congolais et un Américain, ndlr]. Deux ont été la cible d'appels téléphoniques, des SMS leur ont été envoyés, qui menacent leurs vies directement ", rapporte Raymond Lumbuenamo, directeur du fonds mondial pour la nature basé à Kinshasa. Par ailleurs, " certains membres de la société civile nous disent avoir été menacés de la même manière ", explique-t-il. Le message a été très clair : " Nous ne l'avons pas eu, mais vous, on ne vous ratera pas. " " Nous allons continuer " (source : Radio Okapi dépendant de l'ONU). Pour le moment, il n'y a pas de preuve, mais faut-il se contenter de constater des " coïncidences troublantes ". Ce qui semble clair pour les habitants des rives des grands lacs, c'est que certaines sociétés seraient prêtes à recourir à des groupes privés de " sécurité " pour protéger leurs pratiques clandestines. S'il y a bavure, ce sera évidemment de la faute des filiales. L'irresponsabilité finit par tuer, c'est ce qui préoccupe le plus les populations riveraines qui risquent de se voir progressivement privées de leurs espaces de culture, de chasse et de pêche, sans oublier la grave pollution des écosystèmes.

En France, trois députés à l'Assemblée nationale Danielle Auroi, Dominique Potier et Philippe Noguès ont présenté en novembre 2013 une proposition de loi sur " Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre " vis-à-vis de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs chaînes d'approvisionnement. Aboutiront-ils vu la résistance et la puissance des sociétés concernées ? Rien n'est moins sûr. Une lueur d'espoir est la sanction de la Cour de cassation dans l'affaire Erika, en 2012, qui reconnaît la société mère " coupable pour les agissements de l'une de ses filiales, sur la base d'un engagement volontaire en matière de contrôle de l'état des navires ". C'est donc la négligence qui a été sanctionnée ici . Une lueur d'espoir dans l'affrontement du pot de terre contre le pot de fer ?

1. Voir le dossier " Multinationales, l'irresponsabilité tue ", dans Foi et développement, mars-avril 2014.
2. Pole Institute, Hydrocarbure dans le rift Albertine, opportunité de développement ou risque d'instabilité ?, 2014, document de recherche numérisé, www.pole-institute.org
3. C'est aussi le cas dans le détroit du Niger, au Nigeria.
4. " Multinationales… ", art.cit.

Bernard Ugeux
Son Blog
www.lavie.fr

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