La zone CFA victime collatérale de la chute de l’euro face au dollar
Arrimé à l’euro par une parité fixe, le franc CFA utilisé par quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale s’est déprécié face au dollar en même temps que la monnaie européenne. Une très mauvaise nouvelle pour les importations et le remboursement de la dette.
Un homme échange des euros contre des francs CFA ouest-africains, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en septembre 2015. © Jose Cendon/Bloomberg/Getty
Une première depuis 2002 : l’euro et le dollar américain frisent la parité depuis le 12 juillet. En l’espace d’un an, la monnaie européenne a perdu 13,2 % de sa valeur par rapport au billet vert. Entraînant dans sa chute le franc CFA utilisé en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, qui lui a perdu 11,46 % de sa valeur par rapport au dollar, entre le 31 décembre 2021 et le 11 juillet dernier, soit son plus bas niveau depuis vingt ans.
Cette dépréciation historique s’accompagne d’une forte inflation, d’une possible récession, et d’un climat d’incertitude concernant les approvisionnements de certains produits. Une situation qui inquiète les marchés et les investisseurs, non seulement en Europe, mais également en Afrique. Pour rappel, le franc CFA, dont la convertibilité est garantie par le Trésor français, est arrimé à l’euro selon une parité fixe (1 euro = 655,957 F CFA).
L’effet domino
Ainsi, par effet domino, le franc CFA suit les mêmes variations que l’euro vis-à-vis du dollar, et dépend indirectement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Pour l’heure, la hausse annoncée par la BCE de ses taux directeurs (0,5 point) le 21 juillet, un mois après l’augmentation (0,75 point) des taux directeurs de la Réserve fédérale américaine (FED), n’a pas eu d’impact sur cette chute de la valeur de l’euro par rapport au dollar.
IL S’AGIT D’UNE INFLATION IMPORTÉE POUR VERA SONGWE
Cette dépréciation du franc CFA a beau octroyer un certain avantage comparatif aux pays exportateurs, globalement ses conséquences seront néfastes en Afrique. Le franc CFA déprécié signifie une baisse du pouvoir d’achat des économies concernées : tout ce qui provient des économies dollarisées coûtera plus cher (médicaments, matériel informatique, produits pétroliers raffinés comme le kérosène…). « Il s’agit là d’une inflation importée » a indiqué à Jeune Afrique Vera Songwe, secrétaire générale adjointe des Nations unies et secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).
Sous l’effet combiné de la hausse des cours sur le marché mondial, et de l’augmentation des coûts du fret, cette dépréciation risque d’alimenter encore plus la spirale inflationniste en Afrique et creuser davantage les déficits commerciaux.
Hausse des exportations
Qu’ils soient européens ou africains, les grands gagnants de cette parité monétaire semblent être les exportateurs. Les produits dont les prix sont initialement fixés en euro, et par extension en franc CFA, sont désormais moins chers pour les portefeuilles américains en dollars.
L’Afrique, qui exporte essentiellement des minerais et des produits agricoles (coton, cacao, noix de cajou, banane…) a plus de chances de s’imposer sur le marché international grâce à sa compétitivité prix, qui pourra faire gonfler les recettes, et donc augmenter les ressources des pays concernés. Une aubaine pour les pays producteurs de pétrole et de gaz à l’instar du Congo, du Gabon, du Niger, du Cameroun et bientôt du Sénégal, qui tirent déjà des bénéfices importants de la flambée des cours du brut (104 dollars le baril de Brent).
LES DTS NE SONT PAS DES DETTES, C’EST UNE CRÉATION MONÉTAIRE RAISONNÉE ET NÉCESSAIRE
Une analyse que la représentante de l’ONU a néanmoins tenu à nuancer. « Même si ces pays vendent les matières premières plus cher ou en plus grande quantité, ils ne seront pas forcément gagnants, puisqu’ils importent les pétroles raffinés et d’autres produits transformés, qu’ils payeront de facto plus cher qu’auparavant. De plus, les recettes supplémentaires ne représenteront pas automatiquement des gains, puisqu’elles devront être utilisées pour rembourser une dette qui s’alourdit » a-t-elle expliqué.
Augmentation du service de la dette
Cette dépréciation significative de la monnaie utilisée en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale va mécaniquement augmenter le coût du service de la dette libellée en dollar. « Pour rembourser la dette émise en dollar, il sera nécessaire de mobiliser une quantité plus importante de francs CFA », a souligné Vera Songwe. Ainsi, les balances des opérations courantes des pays de la région seront négativement impactés, et ce même si les accords d’endettement sont généralement conclus sur le long terme.
Afin d’être en mesure d’honorer les remboursements, plusieurs pays africains pourraient céder à certaines tentations, parmi lesquelles le recours aux bailleurs de fonds, la demande de moratoires, ou l’endettement auprès de créanciers privés. Pour l’économiste en chef de la CEA, la solution la plus logique réside en l’émission de plus de droits de tirages spéciaux (DTS) pour l’Afrique. « Les DTS ne sont pas des dettes, c’est une création monétaire raisonnée et nécessaire », a-t-elle précisé.