Entretien : « En finir avec la sous-représentation de l’Afrique au patrimoine mondial »

Recueilli par Laurent Larcher

 

unesco

 


Lazare Eloundou Assomo Directeur du Centre du patrimoine mondial de l’Unesco L’institution onusienne veut rééquilibrer la place du patrimoine africain dans la liste du patrimoine mondial.

La Croix : Quelles menaces pèsent sur les sites africains ?

Lazare Eloundou Assomo : Elles sont de plusieurs natures. Les guerres, d’abord. Ces sites peuvent être ciblés en tant que tels, comme l’ont fait les djihadistes avec les mausolées de Tombouctou. Ils peuvent être des dégâts collatéraux d’une bataille, comme entre le Burkina Faso, le Bénin et le Niger dans le parc naturel du W. Ils peuvent être pillés pour le trafic international, comme les masques et les sculptures au cœur d’un commerce illicite d’objets culturels. Les sites naturels sont mis en danger par les braconniers, par ceux qui exploitent illégalement les sous-sols, comme dans le parc des Virunga dans l’est de la RD-Congo.

Les sites naturels sont aussi menacés par le changement climatique. La raréfaction de l’eau pousse des communautés entières dans la pauvreté, elle les conduit à vendre des objets sacrés, à quitter leur terre. Les parcs naturels sont également affectés. Cela peut accroître les tensions entre les sites naturels et les populations limitrophes, d’autant que des groupes armés trouvent dans ces parcs de quoi se cacher, se nourrir et même se payer.

L’Afrique est-elle le continent oublié de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ?

L. E. A. : Sur les 1 154 sites inscrits, seuls 98 se trouvent en Afrique subsaharienne. La part du continent est donc très faible dans la représentativité du patrimoine mondial. Elle ne rend pas justice à la richesse et la diversité de son patrimoine. Et 12 pays africains n’ont aucun site inscrit, dont le Rwanda, le Burundi ou la Sierra Leone. En choisissant un Africain pour occuper le poste de directeur du Centre du patrimoine mondial, Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Unesco, a clairement affiché son ambition d’en finir avec cette sous-représentation.

Qu’est-ce qui caractérise les sites africains classés ?

L. E. A : Il y a d’abord les 46 sites culturels, dont une bonne partie sont des sites vivants, comme la vieille ville de Zanzibar en Tanzanie. Il y a les sites liés à l’histoire comme Robben Island où furent emprisonnés des centaines de militants contre l’apartheid, dont Nelson Mandela, en Afrique du Sud. Je pense aussi à l’île de Gorée qui symbolise la traite négrière au départ du Sénégal. C’est l’un des trois premiers sites africains inscrits au patrimoine mondial en 1978. Des sites religieux comme Lalibela en Éthiopie, les mosquées et mausolées de Tombouctou, les forêts sacrées de kayas des Mijikenda au Kenya. Ceux liés au patrimoine architectural, comme Saint-Louis au Sénégal ou Cidade Velha au Cap-Vert. Et aussi les 39 sites naturels, inscrits plus récemment.

Parmi ceux-ci figurent aussi d’importantes peintures rupestres…

L. E. A : On en a découvert à la fois en Afrique australe et dans le Sahel, de l’Adrar des Ifoghas dans le Sud algérien et le nord-est du Mali jusqu’au Tibesti, au Tchad. Je pense aussi au site d’art rupestre de Chongoni au Malawi. Ces peintures sont remarquablement conservées, on y voit des scènes de la vie quotidienne et des scènes de chasse, des motifs géométriques. Ces sites sont les plus anciens du patrimoine africain.

Quels sont vos objectifs ?

L. E. A : Audrey Azoulay m’a fixé comme première mission de rééquilibrer la place du patrimoine africain dans la liste du patrimoine mondial. Nous voulons aussi mieux protéger les sites en péril : sur les 52 menacés de disparition dans le monde, 21 sont sur le continent et 15 en Afrique subsaharienne..

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