Guinée: longtemps tolérée, la justice populaire fait désormais l'objet de critiques

 

Le scénario est presque toujours le même : une foule persuadée d’avoir mis la main sur un voleur se déchaîne. Le coupable désigné finit par succomber. La liste des victimes de la justice populaire en Guinée continue de s’allonger, mais pour la première fois au mois d’avril, une affaire a provoqué des réactions au plus haut niveau. Le procureur général s’est engagé à ce que les responsables de la mort d’un jeune de la région de Dubréka, brûlé vif, répondent de leurs actes. 

Le 21 avril dernier, à Dubréka, le jeune Moussa Camara est accusé d’avoir volé une moto. Sa mise à mort filmée et diffusée sur les réseaux sociaux provoque une vague d’indignation dans le pays. Pourquoi des Guinéens en arrivent-ils à se faire justice eux-mêmes ? Pour tenter de répondre à cette question, nous sommes dans le quartier populaire de Matam. Ici, un grand nombre d’habitants se sentent exclus du système judiciaire. « Avec la justice, si tu as de l'argent, tu gagnes. Si tu n'as pas d'argent, tu perds. C'est comme ça. C'est pour cela que les gens rendent justice eux-mêmes, parce que tu envoies quelqu'un aux autorités, dans combien de temps tu le vois dehors ? Si quelqu'un tue quelqu'un, qu'est-ce qu'on doit lui faire ? On doit le tuer aussi ! » affirme un habitant de Matam. 

Corruption, manque de moyens et inefficacité. Tuer l’autre devient acceptable, quand, abandonnés par l’État et persuadés d’assister à une explosion de l’insécurité, les habitants décident de ne plus compter que sur eux-mêmes pour se protéger : « Un voleur, c'est un tueur ! Parce qu'il prend ton bien, il s'en va. Tu cherches à le récupérer, il se défend. Et en se défendant, il peut te tuer. »

En Guinée, royaume des taxis-moto, le voleur de deux roues risque gros. C'est ce qu'explique un autre habitant de Matam : « Quand on prend le cas de Dubréka par exemple, c'est très fréquent. La justice n'est pas rendue. C'est pourquoi la population a décidé, dès qu'on attrape un autre voleur à nouveau, qu'on va se rendre justice soi-même. »

Le plus souvent en Guinée, les cas de justice populaire ne sont pas suivis d’enquête, encore moins de poursuites et de sanctions contre les auteurs. L’affaire de Dubréka est une première. Maître Foromo Frédéric Loua, directeur exécutif de l’ONG Les Mêmes Droits pour Tous : « Je ne connais pas un exemple, à part ce dernier cas-là, où des gens qui ont arrêté un supposé voleur et l'ont tué, ont été poursuivis en justice. Donc c'est quand même une situation nouvelle. On a l'espoir que cela va servir de leçon, on doit faire confiance au système judiciaire même si on estime que ce système est défaillant ou défectueux. »

Rappelons que la justice populaire s’accompagne de graves violations des droits humains. Elle prive les victimes de leur droit à la vie, à un procès équitable et à la présomption d’innocence. Depuis, une enquête a été ouverte sur la mort de Moussa Camara dans la région de Dubréka. 20 personnes suspectées d’avoir participé au lynchage ont été interpellées à ce jour.