Mali : de la présidence aux gouvernorats, les militaires ont-ils désormais la main sur toute l’administration ?

La nomination du colonel Abdoulaye Maïga pour remplacer, même temporairement, le Premier ministre Choguel Maïga parachève un phénomène de « militarisation » des services de l’État entamé dès 2020.

Mis à jour le 26 août 2022 à 12:43
 
 
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Abdoulaye Maïga a été nommé Premier ministre par interim. © DR

 

« Nous avons le sentiment d’une militarisation du processus de transition que nous ne pouvons pas accepter. Nous sommes des démocrates. » Ces mots, recueillis en novembre 2020 par une chaîne de télévision française, sont ceux de Choguel Kokalla Maïga. À l’époque, celui qui n’est encore que président du comité stratégique du M5-RFP, le mouvement qui a mené la contestation populaire contre Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), s’oppose avec véhémence à un régime transitoire militarisé.

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Sept mois et un nouveau putsch plus tard, celui qui accusait le quarteron de colonels conduit par Assimi Goïta de « confisquer la transition » en devenait le Premier ministre. Fonction à laquelle il a finalement été remplacé, à la suite d’un accident cardiaque, par un colonel : Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale.

Bien que largement décrié par la classe politique malienne et une partie de la communauté internationale, Choguel Maïga était la dernière caution civile à la tête de la transition. Il incarnait un vestige des engagement pris, sous la pression de la Cedeao, par les militaires à leur arrivée au pouvoir. D’abord confiées aux civils Bah N’Daw – militaire de carrière à la retraite – et Moctar Ouane, les deux plus hautes fonctions de l’État sont désormais, au moins provisoirement, aux mains des gradés.

« Pas de polémique »

Pour Modibo Soumaré, cet intérim « ne doit pas devenir un sujet de polémique ». Le président du Cadre d’échange, coalition regroupant de nombreux partis politiques, justifie son point de vue par « les relations exécrables qu’entretenait Choguel Maïga avec la classe politique ».

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« Il n’y avait aucun dialogue possible avec le Premier ministre, poursuit-il. Nous avons bon espoir qu’avec Abdoulaye Maïga, le rapport puisse être plus franc et sincère. Ce dernier a notamment défendu un projet de loi électorale plus consensuel que celui voulu par Choguel Maïga. »

CELA DÉMONTRE, ENCORE UNE FOIS, LA VOLONTÉ DES MILITAIRES DE SE SAISIR DE TOUS LES LEVIERS DU POUVOIR

Une position que ne semblent pas partager un certain nombre d’observateurs de la vie politique malienne, inquiets de voir les militaires s’installer durablement au sommet de l’État. « Le remplacement de Choguel Maïga par un colonel est loin d’être anecdotique, constate un analyste politique sous couvert d’anonymat. Le fait qu’il s’agisse d’un intérim n’y change rien. Cela démontre, encore une fois, la volonté des militaires de se saisir de tous les leviers du pouvoir. »

Des gouverneurs « gradés »

Une mue entamée dès les premières heures de la transition. Ainsi, en novembre 2020, à peine un mois après l’installation de la première équipe gouvernementale transitoire, une vague de gradés est portée à la tête des régions.

Le 25 novembre, le Conseil des ministres entérine la nomination de dix-sept gouverneurs – dix d’entre eux sont des officiers. Depuis le mercredi 24 août 2022 et la nomination du colonel-major Issa Timbiné comme gouverneur de la région de Ménaka, quatorze des vingt gouvernorats que compte le Mali sont tenus par militaires.

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Ces nominations ont été accueillies avec peu d’enthousiasme par une partie de la classe politique qui n’a eu de cesse de dénoncer, dès 2020, la part faite aux officiers au sein du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif que préside le colonel putschiste Malick Diaw.

Les cabinets ministériels n’échappent pas non plus à la vague kaki. Si parmi les ministères régaliens, les Affaires étrangères (Abdoulaye Diop), la Justice (Mahamadou Kassogué) et l’Économie demeurent aux mains de civils, les colonels ont hérité, à la chute d’IBK, de portefeuilles hautement stratégiques.

Les ministères de la Réconciliation nationale et de la Défense ont été confiés aux colonels Ismaël Wagué et Sadio Camara – c’est l’éviction de ce dernier, en mai 2021, qui a mené à un second coup d’État. Ceux de la Sécurité et de l’Administration territoriale sont revenus au colonel-major Daoud Aly Mohammedine et au colonel Abdoulaye Maïga.

Risques de trucage des élections ?

Ce dernier cristallise l’essentiel des inquiétudes de « militarisation » de l’État. « À son arrivée, Abdoulaye Maïga a fait monter des militaires et des gendarmes au détriment de profils plus administratifs comme les énarques, commente un diplomate européen. Or le ministère de l’Administration territoriale, même si son rôle va changer avec la création de l’organe indépendant de gestion des élections, est au cœur de l’organisation et de la gestion des scrutins. Le découpage territorial, qui est l’une de ses prérogatives, est également une composante importante. »

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Un rappel qui souligne les appréhensions à l’approche de la prochaine présidentielle. « On peut légitimement craindre un trucage des élections, affirme un politologue malien qui, par peur des représailles, préfère taire son nom. Les gouverneurs ont une fonction essentielle dans l’organisation des scrutins. Le fait que des militaires, pour beaucoup réputés proches de la junte, aient été nommés à ces postes pose un certain nombre de questions. »

Longue tradition putschiste

Ces craintes sont-elles justifiées ? Une partie de l’opinion publique malienne semble en tout cas ne pas s’émouvoir de cette omniprésence des militaires. Est-ce en raison du nombre de régimes militaires qui se sont succédé à Bamako ?

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Depuis Moussa Traoré, militaire putschiste resté plus de vingt ans au pouvoir, seuls deux présidents élus n’étaient pas issus des rangs de l’armée : Alpha Oumar Konaré (1992-2002) et Ibrahim Boubacar Keïta (2013-2020). Tous les autres sont arrivés au pouvoir par la force, même si Amadou Toumani Touré fait figure d’anomalie. Le tombeur de Moussa Traoré en 1991, resté à la tête de la transition jusqu’aux élections de 2002, avait ensuite pris sa retraite anticipée de l’armée et obtenu démocratiquement deux mandats, en 2002 et 2007. Avant d’être lui-même renversé.