Guinée : Mamadi Doumbouya, de putschiste populaire à président conspué

Il y a un an, juste après avoir renversé Alpha Condé, le militaire promettait de « faire l’amour à la Guinée ». À la tête d’un régime opaque et autoritaire, il a sonné la fin de la lune de miel.

Mis à jour le 5 septembre 2022 à 17:26
 
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Mamadi Doumbouya à Conakry, le 24 août 2022. © Facebook Presidence de Guinee

 

Comme cadeau d’anniversaire de son coup d’État, Mamadi Doumbouya aurait sans doute choisi quelque chose d’autre. Un an tout juste après le renversement d’Alpha Condé, et en dépit de la « trêve » observée jusque-là, ce 5 septembre est jour de manifestation en Guinée. Organisée par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC, qui s’était dressé contre le troisième mandat de l’ancien président), la mobilisation contre les autorités de transition illustre la défiance qui prévaut dans le pays. Ce lundi, un climat délétère règne sur Conakry.

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En septembre 2021, Mamadi Doumbouya avait déjà dû interdire les manifestations. Mais elles n’avaient alors rien à voir avec celles du FNDC : c’étaient les « manifestations de soutien » à la junte qui avaient été proscrites. Il semble loin, ce temps où la Guinée avait découvert ce grand gaillard dont le regard victorieux s’affichait en taille XXL sur les murs de la ville. Il promettait alors de chasser les démons du passé hors des frontières, d’en finir avec l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits humains et la corruption, et annonçait une transition « inclusive et apaisée ».

Le 27 septembre 2021, le colonel partait se recueillir au cimetière de Bambéto, où sont inhumés la plupart des victimes des manifestations organisées sous Alpha Condé. Là-même où il s’était offert ses premiers bains de foule à sa prise de pouvoir. Celui qui voulait « faire l’amour à la Guinée » vivait alors sa lune de miel.

Un an plus tard, le divorce avec les Guinéens semble consommé. Les opposants à Alpha Condé, qui applaudissaient des deux mains le coup de force des militaires, ont abandonné depuis plusieurs mois la caution de « bonne foi » accordée à Doumbouya. « Les Guinéens ne doivent plus mourir pour la politique », avait lancé Mamadi Doumbouya tout juste après la capture d’Alpha Condé. L’engagement aura tenu neuf mois.

Transition ou trahison ?

Le 1er juin dernier, la transition enregistre son premier mort par balle en marge d’émeutes contre la hausse du prix du carburant. Les autorités condamnent aussitôt un crime « inacceptable ». Les enquêtes ouvertes mènent à l’arrestation de quatre policiers. La rupture est nette avec l’ancien régime, sous lequel un seul capitaine de police avait payé pour une centaine de morts par balles.

Mais les tensions ne se sont pas arrêtées là. Les mobilisations du 28 et 29 juillet, puis du 17 août, organisées par le FNDC pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel font plusieurs morts, des blessés par balles et des dégâts matériels importants. En dépit de la dissolution du front et de l’incarcération de plusieurs de ses responsables, la protestation ne faiblit pas. « La transition est une trahison », dénoncent ses dirigeants. Pour la première fois depuis la reprise des manifestations, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, ex-parti présidentiel) d’Alpha Condé a annoncé soutenir la mobilisation, en dépit des réticences des militants et de certains cadres.

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Mamadi Doumbouya a-t-il « trahi » ses promesses ? En excluant du jeu politique les ennemis d’hier, le président de la transition a ainsi contribué à une alliance – de circonstances, certes – qui semblait impensable quelques mois plus tôt.

Tout semblait avoir bien commencé : à la prise du pouvoir du nouveau maître de la Guinée, les responsables se pressaient pour lui parler. Les anciens dignitaires du régime Condé, quant à eux, se terraient chez eux en attendant que la tempête passe. Lorsque les premiers proches de l’ancien président se sont retrouvés derrière les barreaux, peu de voix se sont fait entendre pour les défendre. Mais l’opinion a très vite basculé.

« Les gens ont commencé à se poser des questions lorsque la maison de Cellou Dalein Diallo a été rasée [lors d’une campagne de récupération des biens de l’État dirigée par la junte], analyse un ancien responsable du régime. Doumbouya avait construit tout un narratif sur la fin d’une justice aux ordres. Mais les militaires ont rasé la maison de Cellou avant même que la justice n’ait statué sur le recours qu’il avait déposé. Quand cela concernait les anciens du RPG, ça allait. Mais que Cellou, qui avait fait danser ses militants et était allé prêcher la bonne parole pour la junte, soit traité de la sorte… »

« Hormis la mise en place du CNT et, dans une certaine mesure, de la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief), le CNRD a peu travaillé sur les aspects politiques de la transition menant au retour à l’ordre constitutionnel. L’absence criante de dialogue vient dédire la volonté de rupture invoquée pour justifier la prise du pouvoir », remarque le politologue Kabinet Fofana, président de l’Association guinéenne de sciences politiques.

Pouvoir verrouillé

À l’origine de la colère, un pouvoir verrouillé, de plus en plus opaque, selon plusieurs observateurs. La composition du CNRD demeurant inconnue, seuls quelques personnages se détachent par le rôle important qu’ils jouent dans la transition, à l’instar du ministre de la Défense, Aboubakar Sidiki Camara – le « Raspoutine » de Doumbouya, comme l’appelle un connaisseur de l’armée guinéenne. Le Premier ministre, Mohamed Béavogui, à l’étranger pour y recevoir des « soins » depuis plusieurs semaines, a finalement été remplacé après des mois de tensions avec le chef de l’État.

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Mamadi Doumbouya a-t-il jamais voulu ouvrir démocratiquement le pays ? Certains penchent de plus en plus pour une autre hypothèse : si le chef des Forces spéciales s’est décidé à assaillir le palais de Sekhoutoureya, ce 5 septembre 2021, c’est parce qu’il se savait dans le collimateur d’Alpha Condé et de son puissant ministre de la Défense, Mohamed Diané. C’est tout.

DOUMBOUYA A EU PEUR D’UNE MISE À L’ÉCART QUI AURAIT PU LUI ÊTRE FATALE. IL N’AVAIT PAS L’INTENTION D’OUVRIR LE JEU POLITIQUE

« Comment expliquer sinon que Doumbouya ait été prêt à renverser ainsi le pouvoir et à ouvrir le jeu politique en Guinée ? Cela témoignait soit d’un penchant suicidaire, soit d’une volonté de se protéger lui-même, analyse un observateur. Doumbouya a eu peur de cette mise à l’écart préparée par Diané, qui aurait pu lui être fatale, et a su jouer de l’exaspération politique existante. Son attitude politique quasi inexistante prouve bien qu’il n’avait pas l’intention d’ouvrir le jeu politique. »

L’action de médiation entreprise par la Cedeao laisse peu de place à l’espoir au sein de la classe politique. « Les militaires ne se sentent pas concernés par le dialogue. D’ailleurs, pour eux, il n’y a pas de crise en Guinée. Tant qu’ils seront en position de force, il n’y a rien à attendre de cette médiation », observe un responsable politique.

Un an après le coup, le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a fourni une seule indication concernant la transition : sa durée, de trente-six mois, entérinée le 11 mai dernier par le Conseil national de la transition (CNT), l’organe législatif de la transition. « À part ça, nous n’avons pas de chronogramme, pas de date fixée pour les élections, rien. Sans visibilité sur ces questions, on va de tensions en tensions », ajoute notre interlocuteur. Les responsables des grands partis politiques (RPG, Union des forces démocratiques de Guinée, et UFR) sont pour la plupart exilés ou emprisonnés. Les responsables des plus petits partis, eux, se gardent bien de critiquer l’action du CNRD, quand ils ne travaillent pas en coulisses avec la junte.

Pressions

Le leader du Mouvement populaire démocratique de Guinée (MPDG), Siaka Barry, est de ceux-là. Le responsable politique loue les « avancées majeures » du pays depuis le 5 septembre, comme les réformes administratives (rajeunissement de l’administration publique, promotion des Guinéens de la diaspora), la poursuite des grands chantiers routiers, la finalisation de certaines infrastructures sociales… « Certes, certaines méthodes de la Crief gagneraient à être plus raffinées et mieux ajustées, mais elle reste l’un des acquis les plus notoires de cette transition », défend aussi Siaka Barry. La Cour de répression des crimes économiques et financiers, bras judiciaire de la campagne de moralisation de la vie publique et de renforcement de la bonne gouvernance, passe pourtant pour un moyen privilégié par le chef de l’État pour éliminer les « obstacles” politiques qui se dressent sur sa route.

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En neuf mois, Mamadi Doumbouya a changé trois fois de Garde des sceaux. L’actuel ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Alphonse Charles Wright, joue sa crédibilité, acquise durant ses années d’exercice de la fonction de juge, et se retrouve à couteaux tirés avec les magistrats. Quant à l’agenda du CNRD, dont les contours demeurent flous  ? « Nous n’avons aucune raison de douter de la bonne foi et de la volonté des nouvelles autorités à remplir cet engagement », avance Siaka Barry. Il est bien l’un des derniers.

Soumise à la pression de la communauté internationale, la junte a jusqu’à présent réussi à échapper à la menace des sanctions. «Trente-six mois, ce n’est pas méchant », glissait il y a quelques mois une source officielle française à l’annonce de la durée de la transition. « On n’aura pas de scénario à la malienne en Guinée, ajoute une autre source française, qui décrit le président comme « profondément pro-français ».

Lorsque ce dernier démet Alpha Condé, le 5 septembre dernier, il prend très vite attache avec l’ambassade de France à Conakry – et en dépit de sa prise de pouvoir anti-démocratique, ni les liens ni la coopération n’ont jamais été rompus avec Paris. En juin dernier, la France n’avait pas hésité à rendre publique la rencontre du ministre de la Défense, Aboubakar Sidiki Camara, et du chef d’état-major des armées français, Thierry Burkhard. « Doumbouya jouit encore d’une certaine crédibilité à Paris, qui a besoin de la Guinée pour tenir l’arc sahélien. Si la Guinée nous lâche, cela déséquilibre tout. Cela fait du colonel un allié obligé. »

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Le soutien de Paris suffira-t-il à Doumbouya pour tenir face à une pression accrue ? « La situation n’est pas stable et l’armée n’est toujours pas constituée en unités organisées mais en factions, prévient un spécialiste des questions de défense. Les gens accumulent les frustrations. » Mamadi Doumbouya parviendra-t-il à les apaiser ? « Le pays est calme jusqu’aux élections, mais en période électorale il devient intenable, observe notre source. C’est pour ça que Doumbouya les repousse au maximum. »