Burkina : les leçons de la condamnation de Diendéré au procès Dabo Boukary

Le verdict est tombé 32 ans après les faits. Le général Gilbert Diendéré, déjà condamné pour l’assassinat de Thomas Sankara, a écopé de 20 ans de prison ferme pour la mort de Dabo Boukary, assassiné en mai 1990. Ce qu’il faut retenir du procès.

Mis à jour le 23 septembre 2022 à 10:55

 
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Le général Gilbert Diendere au tribunal militaire où il est jugé avec 13 autres personnes pour le meurtre du leader Thomas Sankara, à Ougadougou, le 11 octobre 2021. © Sam Mednick/AP/SIPA

 

La nuit du 21 au 22 septembre a été longue à la Cour d’appel de Ouagadougou. Il est 1h30 du matin quand le général Gilbert Diendéré et ses coaccusés écoutent le verdict du juge. Le général Diendéré, chef de corps du centre d’entraînement commando de Pô, avec le grade de capitaine au moment de la mort de Dabo Boukary, a écopé de 20 ans de prison ferme et d’1 million de F CFA d’amende. Le lieutenant-colonel Mamadou Bemba a été condamné pour sa part à 10 ans de prison ferme, et une amende d’1 million de F CFA. Victor Yougbaré, en fuite, a été condamné par contumace à 30 ans de prison et 5 millions de F CFA d’amende.

Étudiants torturés

Les trois hommes ont été reconnus coupables d’arrestation illégale, de séquestration aggravée et de recel de cadavre. Dabo Boukary, en 7e année de médecine au moment des faits, avait été arrêté lors d’une manifestation sur le campus de l’université de Ouagadougou par des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Les hommes du RSP, qui répondaient directement à Blaise Compaoré, avaient interpellé plusieurs étudiants, ce fameux 19 mai 1990. Conduits dans les locaux du Conseil de l’entente, la majeure partie d’entre eux avaient été remis en liberté, non sans avoir subi mauvais traitements et tortures. Dabo Boukary, lui, n’est jamais ressorti.

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Pour sa famille, les associations estudiantines et les mouvements de défense de droits humains, ce verdict met fin à plus de trois décennies de lutte, de doute et d’espoir que la lumière soit enfin faite sur les évènements tragiques de mai 1990. Pour le général Diendéré, cette condamnation est une étape supplémentaire de sa chute amorcée en même temps que celle de Blaise Compaoré, en octobre 2014.

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Diendéré, chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré et patron du défunt RSP, a été de tous les combats aux côtés de l’ex-président du Faso pendant plus de 30 ans. Dès 1983, il participe activement au coup d’État ayant porté le président Thomas Sankara au pouvoir. « C’est moi qui ai occupé la radio nationale. Et quand Sankara est arrivé pour son discours, j’ai pris le micro et j’ai dit : “Peuple de Haute-Volta, le capitaine Thomas Sankara te parle” », a-t-il raconté lors des audiences des procès de l’assassinat de l’ancien président burkinabè. Très vite, il liera son destin à celui de Compaoré, dont il devient l’un des hommes de confiance, aussi discret que redoutable. Le natif du village de Song-Naba, dans la province du Passoré, imaginait-il, du temps de sa toute-puissance, avoir à répondre de ses actes devant des juges ? Il est vraisemblable que non.

Complicité tacite ou active

La première leçon à retenir de ce procès Dabo Bokary est qu’il a permis aux Burkinabè de la jeune génération de comprendre qu’au début des années 1990, le pays était dirigé par un régime qui ne tolérait aucune contestation, et s’appuyait sur la peur pour imposer le silence. Il aura servi à mettre en lumière cette propension des dirigeants de l’époque à régler tous les différends par les armes, avec la complicité – tacite ou active – d’une hiérarchie militaire qui n’avait visiblement pas assez de poigne pour mettre au pas les soldats indisciplinés.

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Il aura, enfin, rendu justice à ceux qui, parmi les Burkinabè, se sont dressés contre l’arbitraire. Dabo Boukary a payé le prix fort. D’autres qui ont manifesté à ses côtés n’ont dû leur salut qu’à la mobilisation du Mouvement Burkinabé des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP), qui a obtenu la libération des étudiants détenus dans des casernes militaires.

Le temps des procès

« Quand la justice tarde à agir, c’est qu’elle est allée au loin, chercher de gros bois verts et flexibles pour mieux châtier les coupables », dit un proverbe peul cité par Amadou Hampaté Ba dans L’étrange destin de Wangrin (1973). Une maxime validée par les lourdes condamnations dont ont écopé le général Diendéré et ses coaccusés.

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Plusieurs questions n’en restent pas moins en suspens. La fin de l’ère Compaoré a ouvert la voie au traitement par la justice burkinabè des dossiers de crimes et de sang qui sommeillaient depuis plusieurs décennies dans les tiroirs des tribunaux. Une liste sur laquelle figure le nom de Norbert Zongo, journaliste et militant des droits de l’homme assassiné le 13 décembre 1998 par des éléments de la garde présidentielle. Cette justice participera-t-elle à la réconciliation entre les Burkinabè ? Que penser de la place que ce procès occupe dans l’agenda politique de la Transition dirigée par Paul-Henri Sandaogo Damiba ? Passé le temps des procès, ne risque-t-on pas de voir venir la saison des grâces et des amnisties ?