Comment le drame du vol Rio-Paris a bouleversé la culture de la sécurité aérienne
Alors que le procès de la catastrophe de 2009 s’ouvre le lundi 10 octobre, les spécialistes estiment que peu d’accidents ont autant fait évoluer les procédures de sécurité. Outre des évolutions de matériel, la catastrophe a entraîné une remise en cause de la formation des pilotes.
Alors que le procès relatif à la catastrophe du vol d’Air France Rio-Paris, survenue dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009, s’ouvre le 10 octobre, de nombreux professionnels de l’aviation sont formels. En matière de sécurité aérienne, il y a bel et bien un avant et un après pour le vol AF447, dont l’accident a causé la mort des 228 personnes à bord.
« Quand l’accident du Concorde s’était produit, en 2000, nous ressentions bien entendu de la douleur et de la compassion, explique Gérard Feldzer, ancien commandant de bord et instructeur chez Air France, aujourd’hui consultant en aéronautique. Mais rien n’avait été remis en cause dans notre métier de pilote. Le Rio-Paris, au contraire, a bouleversé les choses, nous a conduits à une autocritique et à davantage d’humilité face à nos certitudes. »
Des sondes chauffées en permanence
On sait que les sondes de vitesse Pitot présentes sur l’Airbus, qui permettent aux pilotes de contrôler la vitesse de leur appareil et donc son équilibre, étaient givrées et ont envoyé des informations incohérentes. « Les pilotes, guidés par de mauvaises informations et sans visibilité extérieure dans la nuit, ont tenté de réagir, subissant de multiples signaux d’alarme parfois contradictoires et entraînant des réactions parfois inappropriées », indique Xavier Tytelman, consultant en aéronautique. Selon ce spécialiste, une telle situation n’était théoriquement pas possible, l’Airbus A330 étant un avion de 4e génération, capable de se protéger grâce à ses ordinateurs de situations dangereuses comme le décrochage.
Depuis, la réglementation internationale concernant l’instrumentation a évolué. « Aujourd’hui, un système de secours d’évaluation de la vitesse, qui ne repose pas sur ces capteurs, est présent sur tous les appareils », précise Xavier Tytelman. Les avions de dernière génération disposent aussi de capteurs de vitesse dans les moteurs. Selon un pilote, les sondes doivent en outre provenir de constructeurs différents. La connaissance du phénomène de formation des cristaux de glace en haute altitude a été affinée après des campagnes d’essais en vol et en soufflerie, et les normes de certification des sondes ont été durcies.
Finis les manuels traduits
Du côté d’Air France, outre le suivi des observations du Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA), un audit externe a conduit à 35 recommandations supplémentaires. Notamment sur les manuels donnés aux équipages. « Ces manuels d’instructions des appareils élaborés par les constructeurs et rédigés en anglais étaient traduits en français, et certaines procédures avaient été amendées par Air France en lien avec l’expérience de la compagnie et notre manière de voler », explique un bon connaisseur de la compagnie, précisant que ces « amendements » étaient toujours validés par la Direction générale de l’aviation civile… Dorénavant, les manuels sont strictement ceux fournis par les constructeurs et dans leur langue originale.
La formation et l’entraînement ont été profondément revus. « Après la catastrophe, je me suis remis en cause en tant qu’instructeur », se souvient Gérard Feldzer, selon qui les séances de simulateur de vol ont placé de plus en plus les pilotes dans des situations justement « impossibles » théoriquement, ou du moins non prévues par les constructeurs. La plupart des compagnies ont aussi revu leur formation pour mieux prendre en compte les facteurs humains face aux événements anormaux et aux situations d’urgence…
Contrôle continu pour les pilotes
Air France a revu aussi son système de validation annuelle de ses équipages. Auparavant, les pilotes devaient, en moyenne, réaliser quatre séances de simulateur de vol par an, une seule d’entre elles servant à la qualification valable pour une année. « Ce jour-là, il fallait que nous sachions réciter nos gammes techniques en quelque sorte, par exemple réaliser la liste de contrôles prévus par les constructeurs selon les circonstances », raconte un commandant de bord.
Depuis la catastrophe, les pilotes sont soumis à un contrôle continu tout au long de l’année, avec des analyses de leurs vols, même si le nombre de séances de simulateur reste inchangé. « Nous sommes contrôlés sur neuf compétences, poursuit le commandant de bord. Trois d’entre elles sont techniques, les autres concernent nos capacités de gestion des risques, de prise de conscience des situations ou encore notre manière de communiquer. »
De nombreux experts considèrent que le drame du Rio-Paris a élevé la sécurité aérienne à un niveau exceptionnel. « Si l’ampleur du trafic aérien actuel se combinait avec le niveau de la sécurité des années 1960, on pourrait craindre des drames chaque semaine ou chaque mois, pointe un pilote d’une grande compagnie. Aujourd’hui, c’est rarissime. »
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Airbus et Air France poursuivis pour homicides involontaires
Treize ans après la catastrophe qui s’est produite dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009, le procès relatif au vol AF447 s’ouvre ce 10 octobre (et jusqu’au 8 décembre). Le tribunal correctionnel de Paris va devoir faire la lumière sur la responsabilité pénale de l’accident le plus meurtrier de l’histoire d’Air France. Airbus et Air France, qui tous les deux contestent toute faute, sont poursuivis pour « homicides involontaires ». Chacun encourt 225 000 € d’amende. Au total, ce sont 476 proches des 228 victimes qui se sont constitués partie civile.