COP27 : changement climatique, qui doit payer ?

Analyse 

La question de la justice climatique sera au centre de la COP27, qui s’ouvre en Égypte dimanche 6 novembre. Les pays en développement demandent des financements pour réduire leurs émissions, s’adapter et faire face aux pertes irrémédiables causées par le réchauffement.

  • Camille Richir, 
COP27 : changement climatique, qui doit payer ?
 
Des habitants tentent de sauver leurs affaires après des inondations causées par le réchauffement climatique, au Pakistan, en septembre dernier.FAREED KHAN/AP

C’est une question d’éthique et de milliards qui sera au cœur de la COP27, la 27e conférence des parties sur le climat, grande conférence annuelle sur la lutte contre le changement climatique. Elle se tient cette année à Charm El-Cheikh, en Égypte, du 6 au 18 novembre. Une COP africaine donc, où une bonne partie des pays du Sud comptent demander justice. Ils mettent l’accent sur les besoins de financement pour faire face à la facture monumentale des dégâts liés au réchauffement climatique, et de leur prévention.

Promesse non tenue

En 2009, les pays développés s’étaient engagés à fournir 100 milliards d’euros par an de financements divers aux pays en développement pour les aider à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et mettre en place des mesures d’adaptation aux risques. Les plus vulnérables aux extrêmes climatiques étant aussi, à quelques exceptions près, des pays en développement à faibles revenus, souvent lourdement endettés.

La promesse n’a pas été totalement remplie. En 2020, l’enveloppe aurait atteint 83 milliards d’euros, financements privés et publics confondus, selon l’OCDE. Mais les chiffres sont contestés : ils englobent des financements de projets dans lesquels la question climatique n’est qu’annexe. Par ailleurs, la part des dons est faible : l’ONG Oxfam estime qu’elle se situe entre 21 et 24,5 milliards d’euros.

Pertes et dommages

Le chiffre de 100 milliards était surtout un symbole – bien loin des milliards de milliards nécessaires pour financer la transition –, un objectif destiné à mobiliser les investissements privés. Face à cet échec, les pays du Sud insistent désormais sur la création d’un mécanisme supplémentaire pour financer les « pertes et dommages », autrement dit les dégâts qui ne pourront être évités, quelles que soient la réduction des émissions ou les mesures d’adaptation.

Une étude menée par des chercheurs du Centre basque sur le changement climatique chiffre à 290-580 milliards ces dommages résiduels d’ici à 2030Sans compter les dégâts non chiffrables : vies humaines, impacts sur la santé, pertes de territoire, disparition d’identités culturelles.

« Il faut un nouveau mécanisme de financement des pertes et dommages, additionnel à ceux déjà existants et facilement accessibles pour les pays les plus touchés, explique Mamadou Sylla, activiste sénégalais membre de la Coalition des jeunes sur les pertes et dommages. C’est une question de juste réparation. » Mais les pays développés ont longtemps freiné des quatre fers, craignant que toute reconnaissance du concept n’entraîne des conséquences juridiques.

Responsabilité « historique »

En toile de fond, il y a cette idée de « justice climatique », développée dans les années 1990 dans les pays en développement. « Le changement climatique est une violation des droits humains, explique Elizabeth Cripps, philosophe à l’université d’Édimbourg (1). L’action passée et présente des pays riches du Nord a des conséquences dévastatrices partout, et notamment dans les pays du Sud. Ils doivent donc y remédier : en réduisant les émissions, en accompagnant l’adaptation et en payant pour les pertes et dommages. » Les pays en développement plaident pour que les pays riches assument leur responsabilité « historique » et remboursent ce qui serait une « dette climatique ».

« C’est un concept de justice corrective, explique Thierry Ngosso, chercheur postdoctorant en éthique climatique à l’Université catholique d’Afrique centrale (Cameroun) et à l’université de Saint-Gall (Suisse). Le principe est que l’on regarde qui a causé le réchauffement et on lui demande de réparer les problèmes qu’il a causés. » Car les émissions de CO2, principal gaz à effet de serre, s’accumulent dans l’atmosphère, sans disparaître. Ce qui a été émis au XIXe siècle par les pays désormais riches a ainsi une conséquence sur l’élévation de température constatée aujourd’hui.

Faire sa « juste part »

Mais cette question de la responsabilité historique est controversée, et notamment rejetée par les Américains. À Washington, les différentes administrations répondent que, pendant des décennies, l’effet des gaz à effet de serre était méconnu. « Il est vrai qu’il y a un caractère arbitraire à fixer une date à partir de laquelle on reconnaît la responsabilité des pays, note Thierry Ngosso. Chacune peut avoir du sens : on peut prendre la fin du XXe siècle en estimant qu’il n’y a responsabilité morale que lorsque les États savent qu’ils causent du tort ; mais on peut aussi remonter à 1850, car c’est là que les émissions ont commencé à augmenter fortement. »

« Une autre façon de voir la justice climatique est de parler de justice redistributive, poursuit le chercheur. Elle n’écarte pas la responsabilité historique mais estime que l’effort juste repose sur la capacité d’agir économiquement. Les financements doivent aider les pays du Sud à renoncer à une forme de développement fondée sur les énergies fossiles, et ces mêmes pays du Sud ont la responsabilité aussi de ne pas retarder l’action climatique. C’est un contrat moral. »

C’est le sens, en partie, de la promesse des « 100 milliards ». L’Inde et la Chine, qui négocient en tant que pays en développement, ne sont pas visées par les demandes de mise au pot. Il faut dire que, même si en valeur absolue leurs émissions cumulées ont rattrapé celles des pays du Nord, rapportées au nombre d’habitants, tant leurs émissions que leur PIB restent bien en deçà de ceux des pays du G7.

Taxation des entreprises

Au-delà de la question purement éthique, plusieurs organisations de la société civile insistent sur la nécessité d’une justice climatique pour restaurer la « confiance » entre Nord et Sud. « Nous n’arriverons pas à stopper le réchauffement climatique sans la coopération des pays en développement, explique Mats Engström, chercheur à l’European Council on Foreign Relations. En attendant, il sera très difficile pour les pays développés de faire pression sur la Chine ou l’Inde s’ils ne remplissent pas leur propre part du contrat en accompagnant la transition et l’adaptation des pays du Sud. »

Ces derniers temps, les yeux se tournent de plus en plus vers les grandes entreprises, notamment pétrogazières. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a appelé en septembre les économies développées à taxer les bénéfices exceptionnels et à rediriger une partie de ces revenus vers le Sud.