En Afrique, le combat des féministes face aux violences faites aux femmes
Le 25 novembre est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. En Afrique, les associations militantes pour les droits des femmes se battent pour que les États mettent enfin en place un cadre juridique.
« Près d’une femme sur trois (30 %) dans le monde subit des violences physiques et/ou sexuelles », alerte l’OMS alors qu’est célébrée la 23e journée internationale contre les violences faites aux femmes. Le chiffre grimpe à 36 % pour le seul continent africain. Viols, mariages précoces, avortements clandestins, mutilations : ces formes de violences, déjà aggravées par la pandémie de Covid-19, explosent encore à la convergence des bouleversements climatiques, des conflits armés et de l’instabilité économique dans la région.
Plus qu’un symbole
Fondatrice de l’ONG Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles, Justine Masika Bihamba accompagne depuis longtemps les femmes victimes de violences sexuelles liées à la guerre dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Pour elle, la Journée du 25 novembre n’est pas qu’un symbole : « C’est le temps du bilan et l’occasion de faire passer des messages. En RDC, les survivantes des violences sexuelles osent enfin briser le silence et témoigner, après tant d’années de travail de promotion des droits, mais les besoins d’accompagnement sont énormes. »
Sous l’impulsion des Nations unies, les bailleurs de fonds internationaux ont investi dans la lutte contre les violences faites aux femmes, qui s’est peu à peu inscrite dans l’agenda politique des États africains. Les organisations de la société civile ont appuyé la mise en place de campagnes de prévention, de numéros Verts, de programmes de soins et d’accompagnement. Pour autant, la quasi-totalité des pays africains ne dispose pas aujourd’hui de l’arsenal juridique nécessaire pour réprimer les violences basées sur le genre.
Changer le système
Pour Dieynaba N’Diom, militante féministe mauritanienne et membre du Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest, « nous profitons de cette Journée mondiale pour interpeller nos gouvernements ». La jeune activiste fait partie de cette nouvelle génération de féministes africaines, très présente sur les réseaux sociaux, qui s’adresse avant tout aux jeunes.
« Nous parions sur la sensibilisation, nous recevons un nombre croissant de sollicitations de femmes qui ont besoin d’aide, c’est la preuve que notre mobilisation a un impact, souligne-t-elle. Mais comment accompagner les femmes alors que, dans mon pays, elles peuvent se retrouver en prison en allant porter plainte pour viol ? »
En clair, « rien ne changera véritablement tant que nous n’aurons pas l’État de droit », martèle Justine Masika Bihamba. Pour elle, le système judiciaire a besoin d’une intervention extérieure pour se réformer, pourquoi pas via une « justice transitionnelle » faisant intervenir des magistrats étrangers.
« La loi congolaise prévoit de cinq à vingt ans de prison pour les auteurs de viols, mais nombre d’entre eux voient leurs peines réduites ou simplement annulées, tant la corruption est grande, dénonce-t-elle. Par ailleurs, des fonds ont été débloqués ces dernières années pour dédommager les victimes, mais elles n’ont encore rien reçu ! »
Au Rwanda aussi, se présenter devant le juge relève de la bravoure. L’accompagnement juridique est essentiel. Esther Mujawayo, survivante du génocide rwandais et fondatrice de l’association Avega, en est convaincue : « Nous devons mieux préparer les victimes à témoigner, mais aussi travailler davantage auprès de la justice : durant les auditions du Tribunal pénal international pour le Rwanda, à Arusha, les survivantes se retrouvaient parfois face à leurs violeurs. Il en faut de la force, il faut tenir, face à cette forme de violence là ! »
Des militantes dans la menace permanente
En échange permanent via les réseaux sociaux, le Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest fait front commun dans ses revendications. La Journée du 25 novembre sera suivie d’une campagne mondiale de seize jours d’activisme contre les violences liées au genre, jusqu’au 10 décembre, date de la Journée internationale des droits de l’homme. Cette année, le mot d’ordre est #Uni-e-s !
Sur le terrain, militer reste un combat. Au Nord-Kivu, Justine Masika Bihamba est la cible des combattants rebelles du M23, en ce moment même, à quelques kilomètres de Goma où elle réside. « Être activiste, c’est se mettre en danger, souligne Dieynaba N’Diom, régulièrement menacée dans son pays. En Mauritanie le féminisme est assimilé à une forme de terrorisme par certains courants religieux qui ne veulent pas que les femmes s’émancipent. »