Mamane : « Les politiciens viennent aux affaires pour prendre l’argent »
Qui est responsable de la résurgence des coups d’État en Afrique de l’Ouest ? Pour l’humoriste nigérien, c’est une certitude : la faute en incombe d’abord aux leaders politiques.
L’humoriste nigérien Mamane. © MONTAGE JA; HUG TIADJI
L’ACTU VUE PAR – L’humoriste nigérien, créateur de la République très très démocratique du Gondwana, a fait de la gouvernance du continent son sujet de prédilection. Et derrière ses traits d’humour faussement naïfs se cache, toujours, un critique acerbe des travers des leaders politiques, qu’ils soient au pouvoir ou non.
Jeune Afrique : le 17 décembre se sont tenus les Awards du rire africain, pour la seconde fois, événement que vous avez créé. Quel est l’enjeu de cette cérémonie ?
Mamane : Notre ambition est d’en faire un équivalent d’un Oscar de l’humour pour le continent. Il était important pour nous que l’événement revête une dimension panafricaine. C’est dans mon ADN, je suis né au Niger, j’ai vécu en Côte d’Ivoire et au Cameroun. Nous avons commencé en 2015 par un festival à Abidjan, puis le parlement du rire. Les Awards du rire africain semblaient être la suite logique.
En Afrique francophone, nous avons cette chance d’avoir une langue en commun. Comme le disait l’écrivain algérien Kateb Yacine, « le Français est notre butin de guerre ». Aujourd’hui, une nouvelle génération d’humoristes émerge, un véritable écosystème est né et nous voulons l’encourager. C’est pourquoi nous sommes également en train de monter une école de comédie et des arts à Niamey.
Mauvaise gouvernance, corruption, atteintes à la démocratie sont autant de sujets que vous traitez avec humour. Pensez-vous que ces maux expliquent, au moins en partie, la résurgence de coups d’État sur le continent ?
Avant toute chose, il faut être très clair et rappeler qu’à chaque coup d’État, on casse les jambes à la démocratie naissante en Afrique et l’on opère un retour en arrière de plusieurs décennies. La place des militaires est dans les casernes. Au lieu de défendre leur pays, les putschistes retournent les armes achetées avec l’argent du peuple contre le peuple, pour se protéger du peuple.
En tant que Nigérien, je connais ça et je veux redire la répulsion que cela provoque en moi. Mais il faut évidemment se demander pourquoi les putschs surviennent. Les principaux responsables sont les politiciens professionnels qui viennent aux affaires pour prendre l’argent, au lieu de servir le peuple.
Certains de ces dirigeants se maintiennent au pouvoir pendant plusieurs décennies, quitte à s’arranger avec la limitation des mandats. C’est un sujet sur lequel vous n’êtes pas tendre non plus dans vos chroniques.
Au Gondwana, nous avons une règle. Deux mandats, de 99 ans ! C’est plus pratique ! En Afrique, les hommes politiques essaient de se maintenir au pouvoir parce qu’ils savent que lorsqu’ils partiront, ils devront rendre des comptes. C’est comme un gamin qui aurait fait pipi au lit et ne veut pas en sortir pour ne pas que ça ne se voie.
Dans un monde idéal, à quoi ressemblera la République très très démocratique du Gondwana dans dix ans ?
Dans un monde idéal elle n’existerait plus ! Elle serait devenue la République du Yafoy, du « tout va bien » ou « il n’y a pas de problème », en langue dioula.
Le Gondwana, c’est le contre-exemple de ce que devraient être nos pays africains. Il cumule tous les travers que l’on observe aujourd’hui en Afrique, la mal gouvernance, le manque d’hôpitaux, les dirigeants qui n’ont pas développé ces hôpitaux et vont se faire soigner en Suisse, l’absence d’écoles, de routes, ainsi de suite. Parfois j’entends des Africains se servir du Gondwana comme d’un repoussoir. Quand ils veulent dénoncer quelque chose, ils disent « on n’est pas au Gondwana ici ! », et cela me rend très fier.