En Guinée, Abdourahmane Sano dans le viseur de la justice

Après trois jours d’audition à la gendarmerie, l’ancien coordinateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) a comparu ce lundi pour « participation délictueuse à des réunions publiques ».

Par  - à Conakry
Mis à jour le 10 janvier 2023 à 08:12
 
 
 sano
 

 

Abdourahmane Sano, ancien coordinateur national du FNDC. © Wikipédia

 

Après la suspension des manifestations, la liberté de réunion est à son tour menacée dans la Guinée du colonel Mamadi Doumbouya. Premier à faire l’expérience de ce nouveau tour de vis liberticide : Abdourahmane Sano, qui a comparu ce lundi 9 janvier devant le tribunal de première instance de Mafanco pour « participation délictueuse à des réunions publiques ». À l’issue des quatre heures d’audience, le parquet a requis dix-huit mois de prison avec sursis à son encontre. Sano a quitté le tribunal libre en attendant le verdict, qui sera rendu le mercredi 11 janvier.

Activiste politique

Grande figure de la fronde contre le troisième mandat de l’ancien président Alpha Condé, Sano s’était fait oublier du grand public depuis près d’un an, après son départ, le 3 février 2022, du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). D’aucuns avaient cru qu’il prenait sa retraite après de tumultueuses années de militantisme. Mais l’ancien coordinateur national du FNDC s’était en réalité retiré pour mieux s’occuper de ce qu’il considère comme sa « deuxième religion » : la sensibilisation – notamment des jeunes – à la citoyenneté et à la connaissance de leurs droits, y compris celui de contrôler l’action gouvernementale.

À LIREAbdourahmane Sano (FNDC) : « Si Alpha Condé était dans l’opposition aujourd’hui, il serait à nos côtés »

Se posant volontiers en éveilleur de conscience, l’activiste agit au sein de son mouvement, Citoyens pour la République (CPR). Il organise notamment des rencontres dans sa maison cossue du quartier Koloma-Soloprimo ou en se déplaçant dans d’autres quartiers de Conakry, parfois autour de grins.

La Direction des investigations judiciaires de la gendarmerie, qui l’a auditionné dans ses locaux du 4 au 6 janvier, l’a interrogé sur une réunion à laquelle il a participé, le 30 novembre dernier, à Tombolia, un quartier des faubourgs de Conakry proche de Coyah (est). Les enquêteurs voulaient en savoir plus sur la structuration du CPR, ses activités et ses sources de financement. « Il aurait été questionné sur des propos dérangeants qu’il aurait tenus à l’égard des autorités lors de cette réunion infiltrée par leurs services », confie un acteur politique guinéen. Abdourahmane Sano envisage d’organiser une conférence de presse ce mardi 10 janvier, au cours de laquelle il promet de projeter le film de la réunion incriminée.

Opposants en prison ou en exil

Après avoir applaudi le putsch qui a renversé, en septembre 2021, Alpha Condé, le FNDC que dirigeait Sano n’est plus en odeur de sainteté auprès de Mamadi Doumbouya. Certains de ses dirigeants, comme Sékou Koundouno, vivent en exil ou dans la clandestinité. D’autres, à l’instar de Oumar Sylla, alias Foniké Mengué (le successeur de Sano), et Ibrahima Diallo, croupissent en prison pour avoir organisé des manifestations en faveur d’une transition brève et inclusive.

À LIREUmaro Sissoco Embaló peut-il réconcilier Mamadi Doumbouya et l’opposition guinéenne ?

L’interpellation de l’ancien coordinateur du FNDC intrigue d’autant plus que la liberté de réunion est consacrée par la loi, à commencer par la Charte de la transition que la junte au pouvoir a élaborée. Pour l’expliquer, certains observateurs évoquent la politique de « chasse de notoriété » engagée par Doumbouya contre tous ceux qui pourraient lui porter ombrage. Depuis son arrivée au palais Mohammed V, nombre de caciques du régime d’Alpha Condé sont en prison et plusieurs membres de l’ex-opposition ont été contraints à l’exil.

La présidentielle en ligne de mire ?

Sano fait-il, lui aussi, les frais de ses ambitions politiques ? Certains estiment que le CPR n’est rien d’autre qu’un parti en gestation, et son leader un futur candidat aux prochaines échéances électorales. D’autres se rappellent qu’il a déjà formé et accompagné, notamment financièrement et techniquement, de jeunes candidats indépendants lors des élections législatives de 2018. « Dans le milieu, tout le monde pense qu’il a des ambitions pour la prochaine présidentielle », estime un homme politique. « Le CPR est davantage un mouvement qui encourage les jeunes à s’engager qu’un parti qui ambitionne de porter son chef au pouvoir », rétorque un ancien collaborateur d’Abdourahmane Sano au sein du FNDC.

Que ses ambitions soient avérées ou non, son procès braque de nouveau les projecteurs sur Sano. « C’est son jeu favori. La junte est tombée dans son piège. Il nous dit souvent que le tribunal est une tribune d’expression », conclut un membre du FNDC.