Mohamed Ould Abdelaziz, un ancien président mauritanien à la barre

Le procès de l’ex-chef de l’État débute ce 25 janvier à Nouakchott. Hier tout-puissant, il va devoir répondre de sa gestion lors de ses dix années au pouvoir.

Mis à jour le 25 janvier 2023 à 08:45
 
 
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Le procès de l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz, ici le 10 avril 2021 à Nouakchott, s’ouvre ce 25 janvier. © Bechir Malum pour JA

 

À la fin de décembre, alors qu’une année éprouvante s’achève pour lui, Mohamed Ould Abdelaziz se remémore, à l’ombre d’une khaïma dressée dans son ranch de Benichab, l’un des épisodes les plus marquants de sa vie. Nous sommes en 2009. Alors en pleine campagne pour l’élection présidentielle, le tombeur, quelques mois plus tôt, du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi monte à bord d’un hélicoptère, avec une poignée de conseillers et de gardes du corps.

En vol, l’appareil subit une avarie et doit atterrir en urgence au milieu du désert, entre Nema et Oualata, dans la dangereuse région du Hodh el-Chargui, frontalière du Mali. L’équipage a frôlé la catastrophe, mais tous sont sains et saufs. Après une longue marche, ils sont recueillis par un berger pour la nuit. Ce souvenir est d’autant plus vivace qu’Aziz n’a envoyé ce soir-là qu’un seul message d’alerte, à son chef d’état-major : Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.

« Éternel rescapé »

Miraculé, Aziz l’est encore en 2010, quand son avion effectue une violente sortie de piste à Nouakchott, et deux ans plus tard, lorsqu’il est victime d’un tir d’arme à feu qui engage son pronostic vital. Mais il se relève toujours. Appelé à la barre du palais de justice le 25 janvier, surmontera-t-il cette nouvelle épreuve ? « Je n’ai strictement peur de rien », avait-il déclaré à Jeune Afrique en 2021, alors que nous le questionnions sur la possibilité qu’il soit emprisonné.

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« Sa vie est celle d’un éternel rescapé », témoigne l’un de ses anciens compagnons de route, qui rappelle qu’en 2003 Aziz avait aussi déjoué une sanglante tentative de coup d’État qui visait le colonel Maaouiya Ould Taya, dont il menait le Bataillon pour la sécurité présidentielle (Basep), et qu’il finira par renverser en 2005.

Cette fois, ce ne sont pas des hommes en armes qu’Aziz s’apprête à affronter, mais des magistrats. Il doit répondre, avec onze de ses ex-collaborateurs, de sa gestion durant ses dix années au pouvoir, durant lesquelles il est soupçonné, entre autres, de s’être enrichi et d’avoir dilapidé l’argent public.

Il sera le premier à témoigner dans ce procès inédit en Mauritanie – il est, selon le parquet, « l’accusé numéro un ». L’accusation promet d’exposer les « preuves accablantes » de sa culpabilité, tandis que lui garantit des révélations fracassantes sur « une affaire politique ». Mais, même dans ses pires cauchemars, Mohamed Ould Abdelaziz, 66 ans, n’a jamais imaginé se retrouver dans une telle situation. Et c’est sans doute ce qui a précipité sa chute.

Troisième mandat

Dès 2014, tout juste réélu, sa décision est prise et il s’en est d’ailleurs ouvert à ses proches : il ne briguera pas de troisième mandat en 2019, bien que plusieurs de ses conseillers et gradés l’y poussent. « Si c’était à refaire, je ne changerais rien », jure-t-il encore aujourd’hui.

À l’époque, il sait déjà qu’il soutiendra la candidature de son chef d’état-major, Mohamed Ould Ghazouani. Une manière de manifester sa reconnaissance à celui qui est resté à ses côtés pendant trente-trois ans, depuis leur rencontre lors d’une formation au grade de capitaine, en 1986, jusqu’à l’élection de 2019.

« Ce choix s’imposait naturellement », rapporte un confident. Aziz et Ghazouani étaient très proches, sans être intimes. Le second fut l’homme de confiance du premier, mais il n’est par exemple jamais allé à Benichab, là où, plus qu’ailleurs, Aziz aime passer son temps libre. Certes, en vrai chef de clan familial, ce dernier protège sa sphère privée, mais il n’est pas sûr que son ami d’alors ait réellement souhaité y avoir accès.

Entre eux, aucun accord n’a été signé quant à un partage du pouvoir une fois Mohamed Ould Ghazouani élu, aucune condition n’a été posée. « C’est ainsi que fonctionne Aziz, il considère qu’il n’a pas besoin d’exprimer ses souhaits, son interlocuteur doit les comprendre et lui obéir », résume l’un de ses anciens collaborateurs.

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Avant de céder la place, le chef de l’État a pris soin de tout verrouiller, à commencer par le stratégique Basep, au sein duquel il a placé ses hommes. Il a aussi renforcé le pouvoir du parti de la majorité, l’Union pour la République, très puissant en Mauritanie. Tous ses ministres siègent au bureau politique, et convoquer ce dernier revient à rassembler le gouvernement. Est-ce son intention lorsqu’il tente de le réunir à son retour de voyage, en novembre 2019 ? Il est en tout cas extrêmement confiant et serein. Mais c’est compter sans la réaction de son ami de trente ans, désormais président. Non seulement Ghazouani refuse catégoriquement que son autorité puisse être affaiblie, mais il le lui fait aussitôt savoir. Depuis, ils ne se sont plus jamais adressé la parole.

Attaques médiatiques

Le nouveau chef de l’État attendait de son prédécesseur qu’il reconnaisse, comme lui-même l’avait fait par le passé, son statut et les prérogatives qu’il lui confère. Très apprécié dans les rangs de l’armée et issu d’une famille respectée par la société traditionnelle – qu’Aziz a plutôt cherché à défier lorsqu’il était à la tête du pays –, il révèle alors un vrai goût pour le pouvoir, sans doute longtemps cultivé dans la discrétion.

Ghazouani, que l’on dit très mesuré, avait-il l’intention d’aller aussi loin ? La situation lui a-t-elle échappé après qu’il a donné son feu vert à la création d’une commission d’enquête parlementaire, en janvier 2020 ? A-t-il été mis devant le fait accompli ?

Si Aziz tient son successeur et le cousin de celui-ci, le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, pour responsables de ses ennuis judiciaires, l’intéressé s’est toujours défendu d’avoir joué le moindre rôle dans cette affaire. « Les Mauritaniens savent très bien dans quelles conditions la commission d’enquête parlementaire a vu le jour. Je ne pense pas que l’on puisse me reprocher d’avoir interféré ni dans sa création ni dans la conduite de ses enquêtes », a-t-il déclaré à JA en juillet 2021, avant d’ajouter qu’il n’était « pas juge pour savoir si Mohamed Ould Abdelaziz [était] coupable ou non ».

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De son côté, ce dernier n’a cessé de multiplier les attaques médiatiques. « Mon unique erreur a été de lui avoir proposé de se présenter à la présidentielle et d’avoir appelé les électeurs à voter pour lui », s’est-il ainsi emporté dans une vidéo diffusée en direct sur Facebook, le 10 janvier.

« Et pourtant, rétorque un proche de Mohamed Ould Ghazouani, l’actuel président lui a toujours été d’une fidélité et d’une loyauté sans faille. D’ailleurs en 2012 [lorsque Aziz a été évacué durant plusieurs semaines en France, afin d’y être soigné] rien ne l’aurait empêché de prendre le pouvoir ! »

Mohamed Ould Abdelaziz a toujours pensé qu’il payait le prix de son intention de vouloir rester au centre du jeu politique. Après avoir créé, depuis Paris, une nouvelle alliance avec une partie des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), il a déclaré vouloir présenter des candidats sous la bannière de Ribat Al Watani (le parti qu’il a rejoint en 2021) aux élections locales, dont le premier tour devrait se tenir le 13 mai. Il jette donc toutes ses forces dans la bataille, d’autant qu’il sait qu’il risque jusqu’à vingt ans de prison et une peine d’inéligibilité… À un an de la présidentielle.