Adoption internationale : des historiens confirment la « récurrence » de pratiques illicites

Analyse 

Durant un an, deux chercheurs de l’université d’Angers ont épluché des milliers d’archives sur l’adoption internationale en France. Leur étude, publiée le 3 février, lève le voile sur des pratiques illicites surtout opérées dans les années 1980-1990.

  • Florence Pagneux, correspondante à Angers (Maine-et-Loire), 
Adoption internationale : des historiens confirment la « récurrence » de pratiques illicites
 
Alors que Marie Marre (à gauche) avait été adoptée, l’association Rayon de soleil de l’enfant étranger envoyait à sa mère, Fatoumata Ba Cisse (à droite), des photos afin de maintenir le lien et continuer de lui faire croire que sa fille reviendrait au Mali à la fin de sa scolarité.NICOLAS REMENE/LE PICTORIUM/MAXPPP

Après avoir ouvert 250 cartons d’archives et étudié 50 000 documents, les historiens Yves Denéchère et Fabio Macedo constatent que les pratiques illicites dans l’adoption internationale étaient non seulement « nombreuses », mais aussi « largement connues » de ses acteurs, des familles adoptantes aux services de l’État en passant par les associations et intermédiaires.

Alors que le gouvernement a lancé une mission d’inspection sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en novembre dernier, cette étude historique de l’université d’Angers publiée le 3 février lève le voile sur la zone grise qui a longtemps entouré les adoptions d’enfants étrangers en France, de la fin de la Seconde Guerre mondiale au début des années 2000. Au total, les chercheurs recensent plus de 120 000 adoptions pendant cette période.

Falsification de pièces, corruption, abus de confiance…

Cette enquête, financée par le ministère des affaires étrangères – qui n’a eu aucun droit de regard sur son contenu –, dresse une longue liste de pratiques illicites : falsification de pièces, corruption d’agents, absence de consentement de la mère biologique ou abus de confiance, fausses déclarations de naissance, de paternité ou maternité, faux abandons, fraudes aux règles de sortie et d’entrée dans les pays concernés.

Les crimes les plus graves ? Kidnappings, vol ou vente d’enfants opérés par des membres de la famille, des intermédiaires véreux ou des réseaux organisés. « Après 1945, la nouveauté du phénomène de l’adoption internationale et l’absence d’une réglementation spécifique ont été propices au développement de pratiques illicites », écrivent les chercheurs.

Des signalements « nombreux et très fréquents »

Dans les années 1980, avec son expansion, « les intermédiaires et les filières se sont multipliés, et il est devenu impossible de maîtriser, ou simplement de connaître, toutes les pratiques ayant cours en Asie et en Amérique du Sud, puis en Afrique ». Cette réalité, « parfaitement saisie par la diplomatie française dès les années 1960 et 1970 », fera l’objet de signalements « très nombreux et très fréquents » à partir des années 1980, poursuit l’étude, qui s’appuie pour une grande part sur les archives du ministère des affaires étrangères. «Leur récurrence, voire leur répétition, montre que le phénomène est demeuré considérable dans certains pays, au moins jusque dans les années 2000», ajoutent les auteurs, évoquant aussi bien les alertes des diplomates que celles des acteurs de l’adoption.

« Les pratiques illicites qui reviennent le plus sont les fraudes à l’état civil et la question du consentement forcé ou non éclairé des familles biologiques », décrit Fabio Macedo, post-doctorant en histoire contemporaine à l’université d’Angers. Les pays particulièrement concernés sont le Brésil, le Vietnam, le Népal, le Pérou, le Guatemala, le Salvador, le Sri Lanka, la Roumanie, le Mali ou l’Éthiopie, principalement dans les années 1980 et 1990.

Ces méthodes restent marginales

« Pour ceux qui ont travaillé pendant des années dans ce secteur, cette étude n’apporte pas de scoop, réagit Marie-Christine Le Boursicot, conseillère honoraire à la Cour de cassation. L’effet de loupe peut donner l’impression que l’adoption internationale génère automatiquement des dérives, ce qui n’est pas le cas. » Ces méthodes restent marginales à l’échelle globale, reconnaît Fabio Macedo, « mais à certaines époques et dans certains pays, ces pratiques illicites pouvaient être très importantes ».

Les historiens, qui n’ont pas eu accès aux archives sur la période récente, estiment que des pratiques illégales peuvent perdurer. « Mais elles sont certainement plus faciles à contrôler depuis la baisse drastique des adoptions internationales », note Yves Denéchère, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Angers, qui n’en dénombrait plus que 232 l’an dernier en France, contre plus de 4 000 en 2005. Les deux chercheurs vont désormais mesurer dans quelle proportion les enfants adoptés à l’étranger ont découvert, au cours de la quête de leurs origines, que leur adoption avait fait l’objet de pratiques illicites.

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« Ces pratiques ont détruit des familles et des vies »

Marie Marre

35 ans, fondatrice du collectif des adoptés français du Mali.

« Adoptée au Mali à 19 mois, j’ai grandi dans une famille aimante en Normandie. À la naissance de ma fille, je suis partie en quête de mes origines. Or, mon dossier d’adoption était plein de ratures et d’incohérences. J’ai découvert après quatre ans d’enquête que ma mère biologique n’avait jamais voulu m’abandonner. On lui avait fait croire que j’allais partir en France pour ma scolarité et revenir à 18 ans auprès d’elle. J’ai réussi à la retrouver et j’apprends le bambara pour renouer avec celle qui m’a toujours attendue. J’ai porté plainte, avec 8 autres enfants adoptés du Mali, contre notre organisme autorisé pour l’adoption (OAA). L’enquête est en cours. Cette étude historique apporte une preuve à ce qui est dénoncé par beaucoup d’adoptés depuis des années. J’espère que la France va avancer dans sa reconnaissance des victimes de ces pratiques qui ont détruit des familles et des vies. »