Immigration : comment l’UE veut accélérer les expulsions de migrants
Le sujet de l’immigration est à l’ordre du jour du Conseil européen extraordinaire des jeudi 9 et vendredi 10 février. Objectif, contraindre les pays d’origine à réadmettre leurs ressortissants.
Non, l’UE ne paiera pas pour barricader les frontières extérieures. La Commission a tenu cette position le 26 janvier à Stockholm, où les ministres de l’intérieur ont préparé le Conseil européen des 9 et 10 février. Peu importe le nombre grandissant d’États membres désireux d’envoyer la facture des barrières à Bruxelles. En revanche, les 27 pourront compter sur l’exécutif européen pour expulser plus efficacement les personnes qui se maintiennent dans l’UE sans droit de séjour.
Une coalition sécuritaire sédimente dans le paysage européen, encouragée par la Suède, à la présidence tournante de l’UE depuis janvier, pour durcir la politique aux frontières extérieures. Nommé en octobre, le premier ministre Ulf Kristersson, qui a besoin du soutien de l’extrême droite pour gouverner, en fait une priorité. Il a pour cela l’appui de l’Italie de Giorgia Meloni, arrivée elle aussi aux responsabilités à l’automne.
Des expulsions en augmentation début 2022
Voilà quinze jours, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a envoyé une lettre aux leaders européens pour leur demander d’utiliser « tous les instruments et tous les outils pertinents de l’UE » (développement, commerce, visas, possibilités de migration légale…) afin de « garantir des retours effectifs ». Objectif, endiguer l’envolée des arrivées irrégulières dans l’UE (330 000 en 2022, + 64 % par rapport à 2021).
Car dans les faits, les décisions d’éloignement sont peu exécutées. Sur 340 500 ressortissants de pays tiers qui ont reçu l’ordre de quitter l’UE en 2021, seuls 70 500 (21 %) ont été renvoyés, selon Eurostat. Mais le vent commence à tourner : au premier semestre 2022, les expulsions ont augmenté de 20 % par rapport au premier semestre 2021, et les États membres comptent bien garder ce cap en 2023.
Le jeudi 2 février 2023, la cheffe de l’exécutif européen a appelé à utiliser « drones, radars et autres moyens de surveillance » pour contrôler la frontière bulgaro-turque. Le premier ministre hongrois Viktor Orban s’est empressé d’ironiser sur cette récente conversion à la manière forte. « Bienvenue au club », a twitté le trublion de l’Europe, qui se targue d’avoir dix ans d’avance en la matière.
La Suède, aux côtés de l’Italie mais aussi de la France dont la loi immigration vise elle aussi un renforcement des expulsions, défend l’enclenchement de l’article 25-A du code des visas, clause intégrée en 2020. Les pays tiers qui rechignent à reprendre leurs ressortissants s’exposent en représailles à des complications pour accéder aux titres de séjour. Soit par une augmentation du prix des visas, soit par des procédures qui traînent en longueur.
« Le risque est d’entrer dans une spirale de chantages croisés »
L’Italien Ferruccio Pastore, directeur du Forum de la recherche internationale et européenne sur l’immigration (Fieri), est sceptique. « La peur peut engendrer des résultats à court terme. Mais je doute que cela soit tenable. Par cette forme de chantage, on oblige les leaders des pays d’origine à prendre des mesures terriblement impopulaires qui pourraient déstabiliser les sociétés et donner des impulsions aux départs. »
Pour l’heure, seule la Gambie s’est attiré les foudres de cet article 25-A, pour « manque de coopération ». Sous la menace, le Bangladesh a fini par obtempérer en 2021. La Commission a déjà brandi cette mesure contre l’Irak ou le Sénégal, et entend reproduire ce schéma avec le Pakistan, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie ou le Nigeria. « Avec ce registre antagonique, le risque est d’entrer dans une spirale de chantages croisés », ajoute Ferruccio Pastore, qui rappelle le relâchement des contrôles déjà intervenus dans des pays comme le Maroc ou la Turquie, dès que les désaccords resurgissent.
Plutôt que de recourir aux leviers européens, l’Allemagne préfère nouer elle-même ses accords. Berlin vient ainsi de nommer un « Monsieur retour ». La logique n’est pas si différente. Au poste de « représentant spécial », Joachim Stamp devra lui aussi négocier avec les États peu enclins à réadmettre les déboutés du droit d’asile, mettant dans la balance l’immigration choisie. L’Allemagne, en pénurie de main-d’œuvre, se fixe l’objectif d’attirer 400 000 travailleurs, afin d’enrayer son déclin démographique. « La coopération est la clé, mais elle ne pourra fonctionner que sur la base d’incitations positives », conclut Ferruccio Pastore.