Assimi Goïta va-t-il libérer Bouaré Fily Sissoko, l’ancienne ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta ?

En détention provisoire depuis août 2021 dans le cadre de l’affaire dite de « l’avion présidentiel », l’ancienne ministre de l’Économie multiplie les appels à Assimi Goïta pour demander la tenue de son procès.

Mis à jour le 14 février 2023 à 16:57
 
 

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Bouaré Fily Sissoko © Doc Facebook Bouare Fily Sissoko

 

Sans doute son dossier aura-t-il longtemps été éclipsé par celui de Soumeylou Boubèye Maïga, décédé en détention le 21 mars 2022. Mais Bouaré Fily Sissoko, qui dort en prison depuis le 26 août 2021, semble bien décidée à attirer l’attention sur sa situation.

Il y a un peu plus de dix-huit mois, l’ancienne ministre de l’Économie et des Finances d’Ibrahim Boubacar Keïta était placée sous mandat de dépôt pour « atteintes aux biens publics », « faux et usages de faux » et « délit de favoritisme » dans l’affaire dite de « l’avion présidentiel » d’Ibrahim Boubacar Keïta. Un dossier qui vise également Mahamadou Camara, qui fut ministre de la Communication après avoir été le directeur de cabinet d’IBK.

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Alors que l’instruction traîne en longueur, Bouaré Fily Sissoko adressait, dès août 2022, un courrier au président de la transition Assimi Goïta. Un « recours ultime » dans l’espoir que la procédure « puisse connaître un dénouement rapide », écrivait-elle au colonel putschiste.

Dans sa lettre, l’ancienne ministre s’est dite prête à comparaître devant la justice malienne à tout moment, jugeant son maintien en détention provisoire « difficile à comprendre », l’ensemble des pièces nécessaires à la tenue d’un procès étant disponible.

Demandes de liberté provisoire

Le 5 janvier 2023, Bouaré Fily Sissoko prenait de nouveau la plume, espérant cette fois obtenir le soutien de l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP). Dans son courrier adressé à cette organisation, celle qui fût plusieurs fois ministre entre 2000 et 2015, précise avoir obtenu une réponse favorable à sa dernière demande de libération provisoire. Seul obstacle :  la caution de 500 millions de francs CFA, soit un peu plus de 760 000 euros, qui lui est demandée.

« À mon humble avis, demander à un fonctionnaire malien quel que soit son parcours, de constituer cette somme faramineuse, dans une procédure d’instruction conduite suivant le principe de la présomption d’innocence et par une chambre qui en principe a vocation à instruire à charge et à décharge, équivaut tout simplement à le traiter de criminel financier de classe exceptionnelle, sans en apporter les preuves », écrivait alors l’intéressée.

La Cour suprême incompétente ?

Si les autorités maliennes ne semblent pas vouloir réagir, l’AMPP s’est à son tour fendue d’un courrier, adressé au colonel Assimi Goïta le 7 février. Une lettre longue de huit pages, dans laquelle l’AMPP dénonce une « auto-saisine illégale de la Cour suprême du Mali, relativement à des affaires relevant de la compétence exclusive de la Haute Cour de justice ».

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En effet, selon la Constitution malienne, les procédures visant des ministres ou des hautes personnalités de l’État pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions étatiques relèvent de la Haute Cour de justice.

Or cette juridiction d’exception est une composante de l’Assemblée nationale, dissoute avec le coup d’État d’août 2020. « Aucune Haute Cour de justice n’ayant été mise en place depuis, la Cour suprême s’est auto-saisie des dossiers, bien qu’initialement elle n’est pas habilitée à juger ce genre d’affaires », explique un avocat malien. Mais selon l’AMPP, « aucune disposition particulière ou spéciale ne donne un quelconque pouvoir aux premiers responsables de la Cour suprême de s’auto-saisir de telles affaires ».

Selon Alhassane Sangaré, l’ancien bâtonnier qui défend Bouaré Fily Sissoko, la composition même des chambres dépendant de la Cour suprême pose problème. « Le président de la Cour suprême est à la tête de la chambre d’instruction en charge du dossier, quand son vice-président est à la tête de la chambre d’appel. On ne peut pas imaginer qu’un juge subalterne ait vocation à corriger en toute indépendance les erreurs de son supérieur hiérarchique », fait valoir le magistrat.

Aller au procès

Ayant épuisé les recours visant une révision de la caution demandée pour la libération provisoire de l’ancienne ministre, Me Sangaré réclame aujourd’hui la tenue d’un procès. « La procédure est aujourd’hui bloquée au niveau de la Cour suprême. La seule voie possible est d’organiser un procès rapidement. Et je pense que la justice ne sait pas quoi faire, car aucun véritable élément prouvant une infraction de la part de ma cliente ne figure au dossier. Si elle ne peut pas être jugée, alors elle doit être libérée », estime-t-il.

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Comme Bouaré Fily Sissoko, plusieurs caciques de l’ère IBK sont aujourd’hui en prison ou menacés de l’être, notamment dans des dossiers d’acquisition d’équipement militaire. C’est notamment le cas de l’ancien Premier ministre Boubou Cissé, poursuivi dans l’affaire dite « Paramount », concernant des soupçons d’irrégularités dans l’achat de véhicules blindés. Les anciens ministres Mamadou Igor Diarra et Tiéman Hubert Coulibaly, en exil comme Boubou Cissé, sont visés par la même procédure.

Depuis les deux putschs d’août 2020 et mai 2021, nombre d’anciennes personnalités politiques ont maille à partir avec la justice, dont le fils de l’ancien président Karim Keïta, réfugié en Côte d’Ivoire. Les anciens piliers du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta crient à l’instrumentalisation de la justice. La transition, elle, promet « la fin de l’impunité ».