Au Mali, une Cour suprême sous influence ?
Chargée de poursuivre plusieurs personnalités du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, la Cour suprême est critiquée par certains magistrats et avocats qui dénoncent une juridiction « caporalisée », aux ordres de la transition d’Assimi Goïta.
Le colonel Assimi Goïta au milieu de juges de la Cour suprême, lors de sa cérémonie de prestation de serment, le 7 juin 2021, à Bamako. © ANNIE RISEMBERG/AFP
Le ton tranche radicalement avec le devoir de réserve qu’observent généralement les magistrats. Désormais coordinateur des organisations de l’Appel du 20 février, plateforme de l’opposition initiée par Issa Kaou N’Djim, Cheick Mohamed Chérif Koné enchaîne les déclarations au vitriol contre la transition.
Il n’y a pas si longtemps, cette robe noire était pourtant le premier avocat général de la Cour suprême du Mali, poste duquel il a été révoqué en septembre 2021 après le « coup dans le coup » d’Assimi Goïta et de son quarteron de colonels.
Le voilà désormais qui multiplie les attaques en règle contre les autorités de la transition. Revenant récemment sur l’affaire qui a mené l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga (SBM) en prison, le magistrat s’en est pris aux tenants de l’exécutif et de l’autorité judiciaire. « [Boubèye] a exprimé son souhait de voir la transition prendre fin à date. Il a été ciblé. Les tenants de la transition […] voulaient une transition sans fin », a déclaré Chérif Koné au sujet de la mort du « Tigre » en détention, en mars 2022.
L’affaire Boubèye, une machination ?
Pour comprendre comment cet ancien cadre de la Cour suprême est devenu un fervent opposant, il faut remonter au mois d’août 2021. Amorcée trois mois plus tôt, la « deuxième phase de la transition » malienne s’est ouverte sur une kyrielle d’arrestations de figures de l’ancien régime. « La fin de l’impunité », promettent alors les nouveaux hommes forts de Bamako.
Tête d’affiche des personnalités poursuivies, Soumeylou Boubèye Maïga est placé sous mandat de dépôt le 26 août 2021. L’ancien Premier ministre est soupçonné de « faux, usage de faux », « d’escroquerie » et de « favoritisme » dans le cadre de l’achat d’un avion présidentiel en 2014, alors qu’il était ministre de la Défense.
À l’époque, c’est la Cour suprême malienne qui place l’homme politique sous mandat de dépôt. Et c’est bien là que le bât blesse. Car selon la Constitution malienne, les procédures visant les hautes personnalités de l’État, ministres inclus, relèvent de la Haute Cour de Justice et non de la Cour suprême.
Or, cette juridiction d’exception est une composante de l’Assemblée nationale, laquelle a été dissoute lors du coup d’État d’août 2020. « Faute d’une Haute Cour de Justice, la Cour suprême s’est auto-saisie des dossiers concernant d’anciens ministres, bien que cela ne relève pas de sa compétence », estime un avocat malien. Présidée par Wafi Ougadeye, qui deviendra en mars 2022 le conseiller spécial d’Assimi Goïta, la Cour suprême, elle, se défend en invoquant une jurisprudence qui lui permettrait de juger les grands commis de l’État.
Pressions politiques et lutte contre la corruption
Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. « Lorsque la Cour suprême a relancé le dossier Boubèye Maïga, tout le monde a pensé à une collusion entre la justice et les tenants de la transition. D’autant que le dossier avait déjà été classé par le parquet économique et financier », dénonce un juge malien.
« Les pressions ont commencé avant le deuxième coup d’État, du temps où Mahamadou Kassogué [qui deviendra ministre de la Justice] était procureur de la République », assure Cheick Mohamed Chérif Koné. « Les autorités voulaient des résultats dans la lutte contre la corruption et ont fait pression au plus haut niveau de la Cour suprême. Je me suis contenté de rappeler que la Cour suprême n’était pas un organe de la transition », ajoute l’intéressé.
Chérif Koné engage alors un bras de fer avec Wafi Ougadeye et Mahamadou Timbo, respectivement président et procureur général de la Cour suprême. Ces derniers auront la tête du premier, accusé d’avoir « violé son obligation de réserve ». Une sanction qui marquera la fin du premier épisode de la lutte d’influence au sein de la plus haute juridiction du pays.
Les dessous d’une grève
Le second acte interviendra un an plus tard, en novembre 2022. À l’époque, l’actualité fait la part belle à la visite au Mali du capitaine putschiste burkinabè Ibrahim Traoré pour son premier déplacement officiel, aux manifestations monstres contre le blasphème ou encore à la détention des 46 soldats ivoiriens à Bamako. Au point que la grève, entamée au même moment par les magistrats, passe relativement inaperçue.
Officiellement, leurs syndicats protestent contre un projet de loi repoussant l’âge de départ à la retraite des magistrats de la Cour suprême. Mais à huis clos, un autre match se joue, certains étant convaincus que le report « visait à maintenir à leur poste des magistrats favorables à la transition », affirme un juge.
Résultat, « la Cour suprême est désormais totalement caporalisée », dénonce un cacique du barreau malien. « La lutte est déjà perdue en interne, souffle notre avocat. Le ministère de la Justice a la main sur certains syndicats, et les hauts responsables de la Cour suprême ont décidé de se ranger du côté de la transition. »
Reste le terrain politique, sur lequel s’est engagé Cheick Mohamed Chérif Koné. « Je ne suis pas du côté des politiques, rétorque l’intéressé. Les magistrats ont, comme les autres, si ce n’est davantage, le droit de se dresser contre les violations de la loi lorsqu’il en va de l’intérêt général. »
Les sorties du magistrat ont en tout cas été remarquées par le procureur général de la Cour suprême qui a réagi par voie de communiqué, ce jeudi 16 mars. Ce dernier promet des « poursuites légales » contre des magistrats « en mal d’inspirations conformes aux bonnes mœurs », qui portent « de graves accusations à l’endroit des magistrats en charge » des dossiers d’instruction de la Cour suprême. Des mots qui visent notamment, sans le citer, Cheick Mohamed Chérif Koné.