Mendicité de la part des talibés



Devant tant de mendicité de la part des talibés (enfants qui fréquentent les écoles coraniques), je me suis permis de poser quelques questions à M. Béchir Tall, professeur d’arabe au lycée de Bandiagara, membre du Cap de l’académie de Bandiagara et professeur de religion musulmane au collège privé de la paroisse de Bandiagara.

Vous ne trouvez pas que les mendiants sont extrêmement nombreux dans nos villes ? Cela ne fait-il pas honte à l’islam, comme vous l’avez dit dans votre rapport sur les écoles coraniques ?

Ils sont effectivement très nombreux, nous en sommes conscients et nous réfléchissons sur le problème. C’est que les écoles coraniques ne sont pas subventionnées par l’État comme les medersas, les écoles publiques ou privées.

D’où viennent ces enfants mendiants ?

Beaucoup de talibés viennent des écoles coraniques : leurs maîtres ne peuvent pas les nourrir, alors ils les envoient mendier. Ils ont été donnés au maître par les parents, parfois par conviction religieuse, parfois par pauvreté, parfois parce que l’enfant lui-même était un enfant difficile et c’est une manière de s’en débarrasser.
Il y a aussi des enfants mendiants de par eux-mêmes qui ont fui la famille. Il faut dire que ce ne sont pas toutes les écoles coraniques qui ont la pratique de la mendicité.

Quelles solutions envisagez-vous ?

L’idéal serait de transformer les écoles coraniques en medersas, écoles qui ont un programme normal avec géographie, maths, etc., en plus d’une formation religieuse coranique en arabe. Ces écoles sont encadrées par l’État. Les enfants rentrent en famille comme les autres enfants. C’est devenu le système en Mauritanie où vous n’avez plus de mendiants talibés.

Une autre solution partielle serait que l’instruction religieuse, selon la croyance des élèves, musulmane, catholique, etc., soit obligatoire dans toutes les écoles : les parents enverraient plus facilement leurs enfants à l’école publique et non à l’école coranique. Ainsi le fait que vous permettez l’enseignement coranique dans votre école privée catholique aux élèves musulmans dispose bien les parents à envoyer leurs enfants à l’école. A Dyenné, l’enseignement religieux coranique se fait tous les jours durant une heure au 2° cycle public.

Vous avez proposé de mettre des cantines en place pour les enfants talibés mendiants. Comment voyez-vous cela ?

L’enfant aura des repas réguliers tous les jours et ne devra plus mendier : c’est déjà un pas immense pour sa dignité, sa sécurité, sa santé. Mais c’est un système transitoire : le temps de réformer les écoles coraniques en medersas, de réformer les maîtres et de les conscientiser sur les droits de l’enfant, sur son avenir. Nous sommes bien conscients que les temps ont changé, qu’il faut équiper les enfants pour leur avenir, et que ce n’est pas avec le coran seul qu’ils pourront gagner leur vie plus tard.

Qu’en pensent les maîtres coraniques ?

Certains ne veulent pas de cantine : ils disent que la mendicité fait partie de l’éducation de l’enfant. C’est une éducation à l’humilité, à la sociabilité, à l’endurance.

Et le Coran, qu’en dit-il ?

Le Coran interdit la mendicité ; elle est venue par certains maîtres qui voulaient enseigner le Coran mais n’en avaient pas les moyens. Cela a débuté à Hamadallay, près de Mopti, le siècle passé, par Sékou Hamadou. La mendicité est donc venue avant l’arrivée des Toucouleurs.

Conclusion : Il y a encore beaucoup de travail à faire avant d’arriver aux réformes souhaitées !

P.Yves Pauwels,
Bandiagara, le 4 mars 2006