Coups d’État en Afrique : la démocratie pour les nuls, par Marwane Ben Yahmed

Contrairement à ce que pensent certains, qui la mettent en cause à chaque putsch ou crise politique, la démocratie n’est pas le problème. Elle est la solution.

Mis à jour le 4 septembre 2023 à 10:29
 
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ÉDITORIAL – Après le Mali (août 2020), la Guinée (septembre 2021), le Burkina (janvier 2022) – on vous passera les coups d’État dans le coup d’État à Bamako comme à Ouaga –, voici donc venu le tour du Niger et du Gabon, quatrième et cinquième dominos africains à tomber entre les mains de nos valeureux « sauveurs » en treillis.

Soyons clairs : nous avons condamné sans réserve les trois précédents putschs, quelles que soient les circonstances, les explications ou justifications, souvent fumeuses et hypocrites. Il en est de même pour ceux qui ont frappé Niamey et Libreville, et renversé Mohamed Bazoum et Ali Bongo Ondimba. Nous ne croyons ni en l’honnêteté, ni en la probité, ni aux intentions louables de ceux qui ont pris le pouvoir au prétexte, la main sur le cœur, de sauver la nation.

Populisme éhonté

Examinons les maux qu’ils mettent en avant pour justifier l’injustifiable. Corruption et népotisme ? Ces militaires comptent parmi les plus corrompues des nomenklaturas locales, plus habiles à surfacturer des contrats d’armement et à imposer leurs commissions qu’à traquer les jihadistes dans la zone des « trois frontières », plus prompts à nommer leurs proches qu’à promouvoir les plus compétents.

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Mauvaise gouvernance ? Depuis quand un obscur général, qui pendant des lustres a ciré les mocassins de son maître, et touché au passage de substantiels dividendes, serait plus apte qu’un civil formé à la gestion de l’État et de l’administration pour gouverner ? Quel diplôme, quelle expérience et, surtout, quelle élection, même imparfaite, autoriseraient des militaires à diriger une nation de plusieurs millions d’âmes, à décider de la trajectoire économique d’un pays ou encore à en penser le développement pour les générations à venir sans aucun contre-pouvoir ni opposition pour les ramener à la raison ?

Leurs promesses sont de la poudre aux yeux. Leur populisme éhonté – exacerber la fierté nationale et désigner des boucs émissaires est à la portée du premier petit satrape venu – n’est qu’un leurre destiné à tromper les foules. Dans le cas du Niger, le scénario est encore pire : le chef de la garde présidentielle, promis au limogeage, s’est subitement réveillé après avoir protégé douze ans durant le même régime (Issoufou d’abord, Bazoum ensuite). Pour défendre son pays, dit-il. Pour se défendre lui-même, en vérité. Depuis son élection il y a seulement deux ans, la trajectoire suivie par Bazoum en matière de lutte contre le terrorisme comme de réformes économiques incitait pourtant la plupart des observateurs à l’optimisme.

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Aucun discours, aucune diatribe ou explication ne sauraient masquer l’égoïsme de la suicidaire aventure ainsi engagée. C’est un véritable crève-cœur que d’en voir certains défendre ces militaires qui, prétendument au nom de la démocratie, ne font qu’accaparer le pouvoir pour leur seul bénéfice. Comme par hasard, les transitions qu’ils entendent assurer sont toutes vouées à durer au moins trois ans. Le temps de se remplir les poches, certainement…

Nous sommes les seuls responsables de notre destin

La démocratie, parlons-en justement. Après chacun de ces coups d’État ou après chaque crise politique d’ampleur sur le continent, c’est précisément elle qui est mise en cause. Tout serait de sa faute ! Dans nos colonnes, il y a un mois (voir JA n° 3127), l’excellent analyste et chroniqueur Yann Gwet proposait d’ « oser en finir avec la démocratie, ce carcan », justifiant sa thèse par le fait qu’elle était paradoxalement « l’assurance-vie et l’oxygène des dictateurs », et appelant l’Afrique à « réfléchir librement à son organisation propre ».

Yann me pardonnera – après tout c’est le principe qui a toujours guidé Jeune Afrique, être un espace de débat, fût-il contradictoire, voire animé –, mais je suis en total désaccord avec sa théorie. Le problème n’est pas la démocratie, mais ce que nous, Africains, en avons fait. Nous sommes sur la même longueur d’onde quant au constat : le sentiment largement partagé que les élections, et hélas par association la démocratie, ne servent à rien et ne reflètent même pas la volonté réelle des citoyens. Sur un continent où le quotidien rime souvent avec chômage, flambée des prix, mal-vie, systèmes éducatifs défaillants, problèmes d’eau et d’électricité, etc., on peut comprendre la défiance générale à l’encontre des dirigeants censés surmonter ces écueils ou convaincre de leur bonne foi.

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Nos avis divergent cependant largement sur les leçons à en tirer. La démocratie – le gouvernement par le peuple et pour le peuple – n’est pas fautive. L’Occident, qui prétendument nous l’imposerait, non plus. Nous sommes les seuls responsables de notre destin et de nos turpitudes politiques. C’est parce que les principes directeurs de la démocratie, en vigueur sous bien des latitudes, y compris dans des pays du Sud comme les nôtres, sont constamment foulés aux pieds que cela ne fonctionne pas ou pas assez sur le continent.

Ce n’est pas tant le système que son application qui est en cause. La démocratie n’est pas responsable de nos élections truquées, du manque d’indépendance de la justice, de la non-séparation des pouvoirs, du népotisme ou de la politisation des administrations, de la corruption, de la cupidité et de l’enrichissement illicite de nos classes dirigeantes (pouvoir comme opposition), du mépris de l’intérêt général, de l’absence d’États de droit ou, pis, d’États forts, efficaces, tournés vers le bien-être de leurs populations.

Besoin d’idées politiques nouvelles

Il suffit de regarder partout ailleurs dans le monde, à quelques exceptions près : nul militaire aux manettes mais, pour les plus méritants, un soin tout particulier apporté à l’éducation, à la formation, à la culture, à l’ouverture d’esprit, à l’innovation, à la science. Ce n’est pas la démocratie qui empêche cela, bien au contraire.

Quant à l’antienne qui voudrait que ce système nous soit imposé de l’extérieur – par « les Blancs » en somme – et ne correspondrait pas à nos spécificités culturelles, là encore l’argument ne tient pas. Les Japonais, les Indiens, les Coréens, les Israéliens, les Brésiliens et, plus près de nous, les Sud-Africains n’auraient-ils pas de spécificités culturelles ou identitaires ? Qui nous empêche d’adapter les nôtres à nos propres organisations nationales ou continentales pour rendre cette démocratie plus efficace ?

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Il y a d’autres alternatives que celles qui consistent à rejeter ou à copier l’Occident. Mais elles nécessitent au préalable l’engagement d’une réflexion. L’Afrique a besoin d’idées politiques nouvelles, de solutions adaptées au monde de demain. L’urgence est là, pas aux solutions paresseuses ou guidées par un nationalisme agressif et aveugle, à la désignation de pseudos-carcans ou bourreaux qui justifieraient à eux seuls nos propres échecs. La démocratie n’est pas le problème, elle est la solution. Mais si quelqu’un identifie une alternative crédible, un autre système politique plus propice à l’Afrique, arguments à l’appui, qu’il nous les signale. Nos colonnes, comme toujours depuis plus de soixante ans, lui sont ouvertes.