Voix d'Afrique N°105.



Le palmarès du 67e Festival de Cannes 2014 en a déçu plus d’un ! Au soir de sa présentation, le 15 mai, beaucoup de journalistes et de critiques avaient salué Timbuktu comme « magistral », « sublime », « émouvant ». Premier film de la compétition, premier choc et une conviction :Timbuktu pourrait bien remporter la palme d’or. Ce serait alors une première pour l’Afrique noire et la Mauritanie. Malheureusement, il ne sera pas retenu.
Ce film du mauritanien Abderrahmane Sissako était l’unique film africain en compétition pour la palme d’Or. Inspiré de faits réels, il raconte l’histoire de la ville de Tombouctou au Mali, surnommée “la ville aux 333 saints” ou “la perle du désert”. Elle a été occupée pendant près d’un an en 2012 par les jihadistes d’Al-Qaïda qui ont instauré leurs lois rigides avec toutes les interdictions qu’ils imposent et la terreur qu’ils installent, avant d’être délogés par les forces françaises début 2013.

Drôle parfois, bouleversant souvent, cette chronique pudique évoque l’horreur avec une grande sensibilité et un sens de la poésie remarquable. Le réalisateur évite le manichéisme pour filmer ses héros à hauteur d’homme.

L’histoire

Tourné dans le plus grand secret près de la frontière malienne, dans l’extrême est de la Mauritanie, Timbuktu nous raconte deux histoires entrecroisées : celle bien connue et redoutée des djihadistes venus d’ailleurs qui occupent Tombouctou en 2012. Ils ne parlent pas la langue des habitants, mais, avec leurs kalachnikovs, infligent à la population leur cruelle interprétation de la loi islamiste : fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football ; obligation pour les femmes de se voiler, mariages forcés et la lapidation des amoureux non mariés… Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques. Et les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. La charia fait des ravages, tandis que l’imam tente de ramener du sens dans ce monde devenu totalement absurde : « Où est le pardon, la clémence? Où est Dieu dans tout ça? » .


Kidane mène une vie simple et heureuse au milieu des dunes

L’autre histoire nous fait vivre la vie de Kidane, un éleveur qui mène avec sa femme, sa fille et Issan, son petit berger âgé de 12 ans, une vie simple et heureuse au milieu des dunes. Cette existence paisible s’arrête brusquement. Il tue accidentellement Amadou le pêcheur pour venger la mort de sa vache préférée. Quelle justice possible après la mort d’un homme ?
« Timbuktu » raconte la lutte silencieuse et digne de femmes et d’hommes, l’avenir incertain des enfants et la course pour la vie, face à l’humiliation et aux sévices perpétrés par ces hommes aux multiples facettes. La plupart ne parlent ni tamacheq ni bambara mais un arabe que certains maîtrisent très mal, jeunes paumés déguisés en guerriers du désert qui soudain se prennent le bec en français pour débattre des mérites respectifs de Zidane et de Messi.

Le film est né de la colère que la guerre malienne a inspirée à l’auteur, et de la découverte d’un fait divers atroce : la lapidation à mort de deux jeunes parents, dans la petite ville d’Agelhok, au prétexte qu’ils n’étaient pas mariés. Ce crime n’est pas le point de focalisation du film. Il a inspiré une scène d’une violence sèche, effroyable, mais qui n’est qu’un élément du tableau que Sissako fait de la vie à Tombouctou au moment précis où les djihadistes cherchent à l’étouffer.

L’auteur

Abderrahmane Sissako est né le 13 octobre 1961 à Kiffa en Mauritanie d’un père malien et d’une mère mauritanienne. Peu après sa naissance, sa famille émigre au Mali. Après un court retour en 1980 en Mauritanie, il part à Moscou, où il étudie le cinéma au VGIK (Institut fédéral d’État du Cinéma) de 1983 à 1989. Il y apprend le cinéma comme une langue capable de raconter son continent d’une manière universelle.


Le réalisateur Abderrahmane Sissako

Au début des années 1990, Sissako s’installe en France. Son court métrage Le Jeu (1989) lui permet en 1991 d’assister à son premier festival de cinéma, le Fespaco, à Ouagadougou.

1993, il réalise Octobre qui est accueilli à bras ouverts par la sélection officielle ‘Un certain regard du Festival de Cannes en 1993. C’est l’histoire d’un amour impossible entre une Russe et un Africain.
1999, 9e Festival du cinéma africain de Milan, il reçoit le Prix du meilleur long métrage pour La Vie sur terre (1998).
2002, En attendant le bonheur (Heremakono) est primé avec le Grand prix-Étalon de Yenenga au Fespaco en 2003. Un récit qui dépeint les désillusions d’un jeune Mauritanien qui retrouve sa mère dans une minuscule chambre sans électricité.
2006, dans la maison de son père au Mali, il tourne Bamako, où il met en scène un procès des institutions internationales face aux injustices que subit l’Afrique. Sélectionné hors compétition au Festival de Cannes 2006, a obtenu le Grand Prix du Public aux Rencontres Paris Cinéma.
2007, il est membre du jury des longs-métrages au Festival de Cannes 2007.
2013, Timbuktu le chagrin des oiseaux, un plaidoyer contre l’obscurantisme religieux qui imprègne les esprits

L’œuvre de Sissako nous interpelle et nous enseigne que ses histoires ancrées sur la terre africaine sont devenues de plus en plus universelles quand il parle de la destruction du tissu social, des privatisations, des inégalités croissantes, de l’immigration, du rôle de la Banque centrale européenne qui ressemble, pour de plus en plus de pays, au rôle joué par la Banque mondiale : des dirigeants « non-élus » dotés d’un pouvoir décisif qui se réclament d’agir au service de l’intérêt général, d’être « neutres » et « apolitiques ». Quant à Sissako, il souligne que la cause défendue dans ses films n’appartient pas au continent africain.


« Timbuktu » raconte la lutte silencieuse et digne
de femmes et d’hommes


Critique

Abderrahmane Sissako réussit un film qui nous remplit d’effroi, nous arrache des rires, nous cloue sur notre siège. Terrible par la violence des faits, mais où l’humour et l’ironie ont autant leur place que les larmes et la colère. Timbuktu est un brulot anti-terroriste paradoxalement d’une grande poésie. «J e n’aime pas employer le mot “dénonciation”, mais je trouve important que mon film soit vu par le plus grand nombre de gens en raison du sujet qu’il aborde », dit-il.

Jay Weissberg / Variety : «La puissance de Timbuktu réside dans sa façon de mettre en scène des personnages pleins d’amour et de fierté, mais aussi leur dignité volée, en respectant leur humanité suffisamment pour ne pas montrer trop crûment lorsqu’ils sont battus, ou pire. »
Caroline Vié / 20 Minutes : « Drôle parfois, bouleversant souvent, cette chronique pudique évoque l’horreur avec une grande sensibilité et un sens de la poésie remarquable. Le réalisateur évite le manichéisme pour filmer ses héros à hauteur d’homme.»
Camille Esnault/Toutlecine.com
Le Timbuktu d’ Abderrahmane Sissako qui mêle l’absurde au tragique dans un seul but, dénoncer. Un long-métrage qui montre l’horreur oui, mais aussi l’envie de liberté, de bonheur, d’amour, de danse, de musique, de vie en somme.
TLC - Toute la Culture
Un film choquant et un antidote aux manichéismes qu’on nous inflige pour parler de l’extrémisme : ici, avec les nuances qui n’enlèvent rien à l’horreur, on a l’impression de saisir un peu plus cet absurde qui veut qu’on tue au nom de la vérité religieuse.

De sources diverses
Voix d’Afrique

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