Stanley Lubungo (dit “Stan”), 45 ans, est né à Ndola en Zambie. Il a prononcé son serment missionnaire à Toulouse, en 1996. Après cinq ans de ministère à Badiya dans le diocèse de Bunia en RDC, il est parti aux études en vue de la formation. En 2005, il a rejoint notre maison de formation en Côte d’Ivoire et a enseigné au Centre de Formation Missionnaire d'Abidjan (CFMA) jusqu'en juin dernier. À Friant depuis septembre, il prépare un doctorat en ecclésiologie à l'Institut Catholique de Paris (ICP). Stan a accepté d’écrire pour le Lien son dernier travail à Abidjan.
Je suis entré chez les Missionnaires d’Afrique pour aller partager ma foi chrétienne là où le Christ n’était pas encore très connu. Les débuts de mon expérience missionnaire m’ont offert, au-delà des difficultés qui ne manquent jamais, des années heureuses et riches en expérience de la rencontre avec d’autres peuples africains dans le nord-est du Congo. Appelé par le Conseil Général en 2002, j’ai quitté le pays de mes premiers amours missionnaires pour aller me préparer à participer à la formation des candidats Missionnaires d’Afrique.
Ainsi, je laissais derrière moi la grande famille des confrères et des personnes avec lesquels j’ai partagé ma vie pendant mes deux ans de stage et cinq ans de ministère. Après trois ans d’études et de préparation j’ai atterri à Abidjan où se mettait en place notre toute nouvelle maison de formation de Côte d’Ivoire. Trois confrères avaient déjà passé la première année académique avec six étudiants.
Les débuts
Le début de mon séjour à Abidjan était particulier pour plusieurs aspects. Je commençais le ministère de formation dans un contexte tout à fait nouveau, je découvrais l’Afrique de l’ouest, je me lançais dans l’enseignement de la théologie et ce, dans une structure nouvelle – le Centre de Formation Missionnaire d’Abidjan (CFMA), consortium fondé conjointement par les Missionnaires d’Afrique, les Franciscains et la Société des Missions Africaines. Il a fallu intégrer un travail de collaboration avec ces instituts et d’autres qui envoyaient aussi leurs candidats au consortium. Pour commencer la deuxième année nous étions dix-huit et nous habitions un immeuble loué à Yopougon en attendant la construction de notre maison. Nous avons aménagé quelques pièces pour avoir une chapelle, un réfectoire et une salle d’ordinateur qui servait de petite bibliothèque. Chaque jour nous nous rendions au CFMA pour les cours à 20 km.
En 2006, la construction de notre maison de formation a commencé à Abobo Avocatier, tout près du CFMA, dans un quartier assez populaire. J’ai eu l’occasion de contempler notre maison sortir de terre et prendre forme petit à petit. Même si aujourd’hui on construit avec des outils plus modernes, ç’a été pour moi l’occasion de goûter à l’expérience des confrères qui nous ont précédés dans la mission et ont mis en place des structures qui facilitent aujourd’hui notre travail missionnaire.
Comme un aîné parmi les jeunes
La Fraternité Lavigerie d’Abidjan accueille des candidats Missionnaires d’Afrique pour la dernière étape de leur formation initiale. Dans les sept ans que j’y suis resté, j’ai vu venir et partir plusieurs candidats. Quand ils viennent à la Fraternité Lavigerie ils ont tous passé au moins six ans de formation : trois ans d’études en philosophie, une année spirituelle et deux ans de stage apostolique. Donc nous recevions des candidats plutôt adultes, soigneusement préparés par plusieurs confrères dans les étapes précédentes et recommandés à la dernière étape par le Conseil Général. À mon avis cela nous rendait quelque part la tâche plus facile en tant que formateurs. Nous n’avions pas à leur apprendre à prier, ils arrivaientt avec un bagage d’études et une bonne expérience de vie communautaire. Ce qui leur manque à ce niveau, c’est une formation théologique pour leur permettre d’approfondir le sens de la foi chrétienne afin de mieux intégrer l’expérience concrète de la mission faite au cours du stage apostolique. Pour cela ils suivent les cours aux CFMA.
Je voyais donc, et j’ai cherché à vivre mon ministère de formateur avant tout comme un aîné parmi les jeunes. En dehors de mon engagement en tant qu’enseignant au CFMA, j’ai compris ma mission dans notre maison de formation comme un témoignage. Je me sentais appelé à être témoin d’un style de vie Missionnaire d’Afrique. Nous avons un esprit, une tradition, à transmettre aux plus jeunes, qui selon ma compréhension modeste consiste dans notre style de vie, appelé à être simple surtout par une façon d’être, qui nous rend accessibles aux personnes de notre entourage. Je mentionnerai également l’amour de travailler ensemble dans la coresponsabilité, le fait d’avoir des moments pour prier ensemble, la pratique du discernement communautaire au cours de conseils communautaires et la récréation communautaire.
À l’école de la confiance
Les années vécues à Abidjan m’ont constamment invité à faire confiance, d’abord en Dieu, ensuite dans les candidats que Dieu lui-même appelle et en moi-même dans le ministère que je me suis vu confié au service de la Société. Quand on fait confiance, il ne faut pas oublier la part du risque que cela comporte. J’aime comparer la formation à la parabole des talents, de cet homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur remit sa fortune et qui, après un long temps, revient et règle ses comptes avec eux. C’est un peu la même chose dans la formation. Tous les candidats reçoivent la même formation, chacun s’en sert selon lui-même. J’ai fini par me rendre compte qu’il faut faire tout pour donner une formation solide, mais en fin de compte c’est le candidat qui est lui-même son véritable formateur, comme chacun de nous donne une réponse personnelle dans sa foi et la manière dont il la vit.
Contexte sociopolitique instable
Depuis notre arrivée à Abidjan, la Côte d’Ivoire a connu une situation sociopolitique tendue qui a souvent dégénéré dans la violence. Nous vivions quelques fois dans la peur et l’incertitude, mais nous avons tenu, continuant nos activités comme beaucoup d’Ivoiriens qui, pour survivre, devaient traverser des zones où ils risquaient leur vie pour chercher de quoi vivre et ne pas mourir de faim à la maison. C’était en quelque sorte une façon de désapprouver ceux qui cultivaient les rivalités qui plongeaient le pays dans le trouble. En décembre 2010 l’ordination diaconale de nos confrères a eu lieu dans l’atmosphère effrayante d’une matinée qui a suivi une nuit où on avait tiré sans arrêt. Encouragés par l’évêque célébrant, l’ordination a eu lieu comme prévu, mais sans les invités qui devaient venir des localités voisines. Ce jour-là, c’est la fête de l’ordination qui a redonné l’espoir et la joie aux gens du village !
Nous avons tenu ! Mais tenable jusqu’à quand ? Quand, le 25 février 2011, un obus est tombé et a explosé dans la chambre à coucher de notre responsable de communauté, nous avons compris que seul Dieu sait pourquoi il ne s’y trouvait pas en ce moment-là. Notre communauté a connu sa plus grande panique. Que faire ? Surtout quand cela se passe en fin d’après-midi. Les routes sont occupées par des militaires qui tirent des obus dont certains tombent chez nous, et que l’on a 24 jeunes candidats et confrères, tous étrangers . Il ne nous restait qu’à nous entasser tous sous un bunker improvisé, et prier toute la nuit que rien ne nous tombe dessus en attendant que ça cesse et que demain, il y ait une possibilité de quitter ce lieu. Cela a été sans aucun doute une expérience traumatisante. Mais elle nous a fait vivre durant quelques heures, beaucoup plus qu’aucun cours de théologie n’avait réussi à le faire, l’expérience quotidienne de tant des gens sur le continent Africain.
Le lendemain nous avons pu sortir en empruntant des petits chemins pour nous réfugier chez les Jésuites et les pères Eudistes avant de prendre le grand chemin de l’exil au Ghana et au Burkina, exil qui a duré deux mois !
Stanley Lubungo